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barbares qui occupèrent ou subjuguèrent le reste de l'Europe, se réunirent dans son sein. Aucune religion nouvelle ne s'éleva pour lui disputer la suprématie, et la faible tentative de Julien pour susciter un paganisme platonicien devait échouer, lors même qu'elle n'aurait pas été arrêtée, à son début, par la mort prématurée de son protecteur 1. >>

L'entreprise conçue par Julien pour remettre en honneur le polythéisme eut le caractère d'une réaction, mais d'une réaction sans violence et d'ailleurs passagère, puisque son règne dura moins de deux ans. Il se borna à relever les temples et les idoles des dieux, à rétablir les sacrifices et les cérémonies de l'ancien culte, à introduire une meilleure discipline dans le sacerdoce païen. Il emprunta au christianisme plusieurs de ses établissements charitables; il fonda des hôpitaux pour les vieillards et les malades, et institua une taxe pour les pauvres. Toutefois son œuvre échoua, et aurait probablement échoué, lors même que l'empereur eût vécu plus longtemps pour accomplir ses desseins. Il est possible de restaurer une religion proscrite par la violence des passions humaines; mais il n'y a pas d'exemple qu'un culte ait pu renaître de ses cendres, après avoir fait place à un culte plus pur, plus moral et plus élevé. Du reste, Julien était moins propre qu'un autre à tenter la résurrection du polythéisme. Selon la remarque de Milman, «< il avait toute l'austérité d'un moine païen 2. » Plein de mépris pour

1. History of christianity, vol. I, p. 283.

2. Ibid., vol. II, p. 121, note.

les jeux publics, pour les amusements du théâtre et pour les fêtes mondaines, il ne savait pas flatter les instincts populaires.

Quoi qu'il en soit, Julien montra la tolérance la plus libérale envers les chrétiens. Son orateur favori, Libanius, expose ainsi sa politique religieuse : « Il pensait que ni le feu ni le glaive ne peuvent changer la foi du genre humain; le cœur désavoue la main contrainte par la terreur au sacrifice. Les persécutions ne font que des hypocrites qui demeurent incrédules tout le reste de leur vie, ou des martyrs qui sont honorés après leur mort 1. » Aucune persécution n'eut lieu sous ce prince, en vertu d'édits impériaux. Son plus grand acte de malveillance fut d'interdire aux chrétiens, non pas l'étude, mais l'enseignement des auteurs profanes. Suivant la réflexion d'un critique judicieux, « l'empereur pouvait prétendre avec raison que les fonctionnaires de l'instruction publique, entretenus par l'État, ne doivent pas être hostiles à la religion de l'État. » C'est une thèse qui ne rencontrerait pas maintenant de contradicteur parmi les apologistes. Il est remarquable que, de nos jours, des catholiques zélés et des écrivains fort orthodoxes ont voulu exclure formellement les auteurs profanes du programme de l'enseignement classique, et ont réclamé comme une mesure salutaire ce qu'on blâme comme un trait d'intolérance chez Julien. Il est vrai que, par compensation, saint Basile, bien différent de certains dogma

1. History of christianity, vol. II, p. 137.

tistes modernes, a toujours parlé des lettres profanes avec estime, et qu'il en est de même de saint Augustin.

La mort héroïque de Julien l'Apostat fut digne à la fois d'Épaminondas et de Socrate. Il consola ses amis, témoigna une résignation complète à la volonté divine et s'entretint de sa fin prochaine avec un calme qu'aurait pu lui envier un philosophe chrétien. Le poëte Prudence a rendu pleine justice aux grandes qualités de ce prince qu'il représente comme un héros législateur 1.

Le triomphe définitif du christianisme sur son vieil adversaire, le polythéisme, sous le règne de Théodose, manqua entièrement de générosité. Non content de l'abolition des sacrifices, il signala son avénement par la destruction des temples et des plus splendides monuments de l'art. L'historien Milman donne une raison singulière de cet acte de vandalisme. « Les chrétiens croyaient à l'existence des divinités païennes avec une foi peut-être plus absolue que les païens eux-mêmes. Les démons qui habitaient les temples étaient des esprits d'une nature malfaisante et nuisible, que les fidèles avaient intérêt à expulser de leurs demeures favorites... Les idoles, il est vrai, n'étaient que du bois et de la pierre, mais les êtres qu'elles représentaient étaient réels; ils étaient présents sur le

1.

α... Ductor fortissimus armis,

« Conditor et legum celeberrimus, ore manuque

« Consultor patriæ, sed non consultor habendæ
<< Relligionis...

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lieu consacré, et, quoique intimidés et contenus par le nom plus puissant du Christ, ils pouvaient surpendre à l'improviste le chrétien dans des moments de négligence ou de relâchement de sa foi . » Ainsi une honteuse et puérile superstition se mêlait aux croyances religieuses introduites par l'Évangile.

La substitution du christianisme à l'ancien culte continua de s'accomplir lentement, et non sans quelques concessions aux coutumes ou aux traditions locales. Plus profondément enraciné dans les campagnes, comme l'indique son nom, le paganisme y opposa une résistance plus opiniâtre aux progrès de la religion nouvelle. Selon la remarque de Milman, « tout le rituel païen était associé aux travaux de l'agriculture; c'était la plus antique portion du culte grec et romain, celle qui avait le moins ressenti l'influence de l'esprit du temps. Dans chaque champ, dans chaque jardin, s'élevait une divinité; des chapelles et des sanctuaires apparaissaient dans chaque bocage ou auprès de chaque fontaine... Même devenu chrétien, l'habitant des campagnes redoutait les conséquences de son apostasie; et il est probable que le christianisme ne s'établit d'une manière étendue ou permanente dans les régions rurales que lorsque tout le cortége des divinités tutélaires eut été remplacé peu à peu par ce qu'on peut appeler la hiérarchie inférieure du paganisme chrétien, anges, saints et martyrs 2. »

1. History of christianity, vol. II, p. 170.

2. « Paganising christianity... History of christianity, vol. II, p. 171.

Le polythéisme avait pénétré si avant dans les mœurs que, près de quatre siècles après la naissance de JésusChrist, et malgré la protection du gouvernement impérial, les abjurations du christianisme n'étaient pas sans exemple. Les lois de Gratien, de Théodose, d'Arcadius et de Valentinien III, prouvent, par la sévérité de leurs prescriptions, la fréquence des apostasies. On trouve particulièrement dans le code Théodosien des dispositions pénales, telles que la privation d'une partie des droits civils, prononcée contre les chrétiens relaps ou apostats 1.

Le paganisme conserva presque jusqu'à la fin de sa longue lutte la supériorité intellectuelle sur le christianisme, du moins en Occident. Le docte Heyne place l'éloquence de Symmaque fort au-dessus de celle de saint Ambroise, dans son jugement sur l'apologie du préfet de Rome, comparée à la polémique de l'évêque 2. Même en Orient, Libanius fut le maître de saint Jean Chrysostome et peut-être de saint Basile.

En résumé, parmi les adversaires que le christianisme rencontrait à sa naissance, il échoua contre le roc du judaïsme ou n'en détacha que des fragments épars; il triompha à la longue de l'inertie ou de la résistance passive du polythéisme romain; et bientôt il se dénatura au contact du mysticisme asiatique pour céder ensuite une partie de son domaine à l'islamisme.

1. « Qui ex christianis pagani facti sunt; qui ad paganos ritus cultusque migrarunt; qui, venerabili religione neglectâ, ad aras et templa transierunt. » Codex Theodos., XVI, de Apostatis.

2. Opuscula.

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