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CHAPITRE XIX

RESPECT DU CULTE PUBLIC.

Dissentiment des libres penseurs.

Analogie de la religion positive et

de la religion naturelle. Universalité du culte public. Grandeur des cérémonies du christianisme. - Importance de l'éducation

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- Injustice des apologistes à leur égard. Erreur de la philosophie du dix-huitième siècle. · Caractère et antiquité du théisme.

Il y a une différence notable entre le sort des défenseurs de la philosophie et l'accueil réservé aux apologistes dans les circonstances actuelles, je veux dire vers le milieu du dix-neuvième siècle. Ceux-ci ont pour eux le patronage d'un corps puissant et respectable, la protection de l'autorité, les sympathies des fidèles et la neutralité des indifférents. Les autres ont contre eux les préventions des gens de bien, les souvenirs de la révolution française et l'excès de résipis

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cence qui suit d'ordinaire les fautes ou les calamités nationales. Ils expient les torts de la propagande irréligieuse de l'âge précédent. Il n'y a pas à se plaindre de cette disposition des esprits, mais plutôt à s'en applaudir dans l'intérêt public. Le prosélytisme en faveur de la religion positive mérite des encouragements, tandis que le principe du libre examen n'a droit qu'à la tolérance. Il importe qu'il y ait dans l'État beaucoup de croyants, et il suffit d'un petit nombre de libres penseurs pour maintenir les droits de l'esprit humain.

Tous les hommes raisonnables sont d'accord sur l'obligation de respecter le culte public. L'intérêt commun, le bon sens, la bienséance même, à défaut d'autre considération, en font une loi. Mais ce devoir se borne-t-il à une attitude passive, à une sorte d'indifférence et de neutralité, à l'abstention d'attaques et de sarcasmes contre la foi, ou même à une adhésion silencieuse et intime, sans résultat visible sans résultat visible pour la pratique? En d'autres termes, le philosophe, sérieusement convaincu de l'utilité des croyances, est-il tenu de s'associer aux principaux actes des fidèles, par exemple, de participer à la prière en commun, aux cérémonies religieuses, aux hommages solennels que glise rend à Dieu ? Ici les avis se partagent. Les uns pensent qu'il y a de l'hypocrisie dans ces manifestations extérieures; les autres, au contraire, qu'une telle conduite est conséquente et parfaitement conforme à la raison. C'est à ce dernier sentiment que je me range et je vais rendre compte de mes motifs.

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Si la religion positive répugnait entièrement à la

raison, je concevrais le reproche d'hypocrisie appliqué à la pratique du culte; mais la religion positive repose partout sur la religion naturelle, qui est parfaitement d'accord avec la raison. Les accessoires qu'ajoutent les inventions humaines à cette loi primitive ne lui ôtent pas son caractère de sainteté. Le philosophe, persuadé que tous les hommages qui partent du cœur sont agréables à Dieu, ne doit donc avoir aucun scrupule d'unir sa prière à celle des croyants, et de se soumettre aux formes du culte prescrites par la coutume et par la loi de l'État.

Ainsi pensaient les anciens sages. Ils se conformaient aux pratiques religieuses de leur pays et de leur temps sans partager toutes les opinions vulgaires. Je crois qu'ils avaient raison sur ce point, et qu'il est permis de les imiter. En participant au culte, le philosophe ne rend pas hommage aux erreurs inséparables des religions positives: il rend hommage aux vérités qu'elles proclament. Vous croyez-vous plus éclairé que Pythagore, plus sage que Socrate ou meilleur citoyen que Cicéron? Eh bien! tous ces grands hommes ont honoré le culte de leur patrie, et ce culte était infiniment inférieur à celui dans lequel vous avez été élevé.

Lorsque je joins ma prière à celle des fidèles réunis dans un temple, je ne songe pas à ce qui nous sépare, mais à ce qui nous réunit et qui a une tout autre importance. Je ne m'occupe point des dogmes ni des mystères du christianisme : je pense au vrai Dieu devant lequel nous nous inclinons tous, et à la Providence qui nous protége également, orthodoxes, schis

matiques ou incrédules. Avec une libéralité digne d'éloge, l'Église ne demande pas de profession de foi au seuil du sanctuaire. Il est vrai que par un droit très-légitime elle ne reconnaît point pour ses enfants et ne traite point comme tels ceux qui n'obéissent pas à toutes ses prescriptions. C'est aux dissidents d'opter entre les avantages de l'orthodoxie et ceux de l'indépendance philosophique.

L'institution du culte public est une conséquence du sentiment religieux qui est inné en nous. Nous comprenons instinctivement que notre hommage ne doit pas rester solitaire. Nous éprouvons le besoin d'offrir ensemble nos témoignages d'amour, de reconnaissance et d'adoration au Père des hommes. L'expérience prouve que la ferveur est sympathique, et que les émotions de la piété gagnent à s'épancher en commun. Aussi tous les peuples, dans tous les temps et dans tous les lieux, ont-ils consacré à Dieu un culte public. Un tel accord est trop unanime pour qu'on puisse l'attribuer au préjugé ou à la superstition.

Diderot prétendait que « toutes les religions sont des hérésies de la religion naturelle. » Il ne réfléchissait pas que la religion naturelle, à peine suffisante pour les individus, est tout à fait insuffisante pour la société. Le pur déisme est une opinion particulière, contestable à plusieurs égards, irréductible à un symbole unique, stérile pour le bonheur de l'homme et sans efficacité pour son amélioration morale. C'est comme si dans l'ordre civil nous voulions nous borner aux règles de la justice naturelle sans instituer de tri

bunaux. Le culte public peut seul vivifier et féconder le sentiment religieux qui s'éteint bientôt sans la pratique et se réduit à une vaine spéculation.

Même asbtraction faite de la foi, le culte public est quelque chose qui parle au cœur et qui remue profondément. Aux yeux du philosophe, et je n'en suppose pas un seul incrédule en Dieu, c'est l'expression d'une gratitude légitime envers la Providence visible et le seul moyen par lequel de faibles créatures puissent témoigner leur amour au Père commun. C'est un legs que nos ancêtres nous ont transmis de génération en génération, et dont ils nous confient le dépôt. Il est impossible d'assister aux cérémonies de la religion positive sans partager l'émotion générale, sans mêler son humble hommage aux hommages des fidèles, sans en revenir avec des intentions meilleures et une âme plus sereine.

Les incrédules n'échappent pas à cette loi. On sait que la majesté du culte catholique fait impression sur ceux même qui n'admettent pas ses dogmes. Le sceptique Bolingbroke était frappé de la pompe du sacrifice dans la chapelle de Versailles. Le déiste Diderot était ému à l'aspect d'une procession de la Fête-Dieu. L'Église ouvre ses portes à quiconque sent le besoin de prier. Elle permet avec indulgence au philosophe, au libre penseur, au rationaliste, de se mêler à la foule des fidèles et de s'édifier à leur exemple. C'est là un admirable moyen de prosélytisme. La ferveur de la foi est communicative, et il est difficile de contempler sans aucune sympathie les témoignages d'une vive piété.

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