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des lumières générales. S'il y a aujourd'hui, de l'aveu commun, plus de mœurs, plus de vertus dans les diverses communions chrétiennes qu'autrefois, cela ne tient-il pas sans aucun doute à l'influence et au contrôle de l'esprit philosophique? Sans ce vigilant et incommode adversaire, la discipline ecclésiastique ne retomberait-elle pas bientôt dans le même relâchement qu'au dernier siècle? Si bon nombre des abus ou des scandales que j'ai eu occasion de signaler dans le cours de ce chapitre ont disparu ou sont devenus excessivement rares, à qui le devons-nous? Est-ce au principe d'autorité ou à l'exercice du libre examen? Est-ce à la puissance de la foi ou à l'ascendant de la raison publique?

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ment des rigueurs de la guerre. Humanité envers les captifs.

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- Interdiction de la polygamie.-Réhabilitation du caractère des femmes. Suppression du divorce. — Émancipation des esclaves.

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-

Prohibition de la traite des noirs. Abolition des combats de gladiateurs. Réforme des rites du polythéisme.

sacrifices humains.

- Cessation des Immoralité païenne. Vices honteux. Écrits obscènes. Esthétique du christianisme.- Influence sur les beaux-arts, les lettres et la philosophie.

La plupart des apologistes attribuent à l'esprit de l'Évangile une influence décisive sur la civilisation, et ils énumèrent les services qu'il a rendus à la société moderne. Ils rappellent volontiers les abus qu'il a corrigés, ou les améliorations qu'il a introduites dans les mœurs et les lois. Le judicieux Paley résume ainsi les bienfaits du christianisme : « Il a modéré les rigueurs de la guerre et le traitement des captifs. Il a adouci l'administration des gouvernements despotiques. Il a

supprimé la polygamie. Il a restreint la licence des divorces. Il a mis fin à l'exposition des enfants et à l'immolation des esclaves. Il a aboli les combats de gladiateurs et les impuretés des rites du paganisme. Il a banni sinon les vices contre nature, du moins la tolérance de ces vices. Il a grandement amélioré la condition des classes laborieuses, c'est-à-dire de la masse de toute société, en leur procurant un jour de repos par semaine. Dans tous les pays où on le professe, il a produit de nombreux établissements pour le secours des malades et des indigents; dans quelques-uns même, une allocation spéciale et régulière en vertu des lois. Il a triomphé de l'esclavage établi dans l'empire romain: il lutte, et j'en ai la confiance, il prévaudra un jour contre l'esclavage pire encore des Indes occidentales 1. >>

Je n'ai pas voulu affaiblir l'effet général de ce tableau; mais voyons si les faits justifient complétement les assertions de l'auteur.

Avant Paley, Montesquieu avait dit dans un passage souvent cité par les apologistes: «On doit au christianisme dans le gouvernement un certain droit politique, et dans la guerre un certain droit des gens, que la nature humaine ne saurait assez reconnaître 2. » Le résultat dont parle ici l'éminent publiciste a été fort lent, et la philosophie peut en revendiquer une bonne part. Au moyen âge, presque tout le nord de l'Europe a été converti au christianisme par la force. Les mis

1. Evidences of christianity, p. 219.

2. Esprit des lois, liv. XXIV, chap. III.

sionnaires prêchaient l'Évangile, l'épée à la main. Charlemagne employa contre les Saxons, et Waldemar Ier contre les Slaves, les mêmes armes que Mahomet. Ainsi firent ensuite les croisés contre les musulmans. Milman a remarqué qu'on ne saurait concevoir un contraste plus complet que celui de Jésus enseignant sa doctrine sur les bords de la mer de Galilée et de saint Louis

massacrant les Sarrasins pour propager l'Évangile1.

Voici un spécimen des opérations militaires des chrétiens, à l'époque la plus triomphante de la foi. Un de nos anciens chroniqueurs, Jean-Pierre Sarrazin, témoin oculaire, retrace ainsi un des épisodes de la croisade de saint Louis: « Le comte d'Artois ayant passé le gué à la tête de son avant-garde, tous les musulmans qui se trouvaient en face de son camp furent déconfits, et presque tous passés au fil de l'épée. Nos gens se portaient dans les demeures des Turcs, tuant tout sans épargner ni hommes, ni femmes, ni enfants, ni vieux, ni jeunes, ni grands, ni petits, ni hauts, ni bas, ni riches, ni pauvres. Ils les découpaient, les tranchaient et les passaient tous au fil de l'épée. S'il se trouvait des vierges, des vieillards, des enfants, qui se fussent cachés pour éviter la mort, ni cris, ni gémissements, ni prières, n'obtenaient merci : tous étaient mis à mort 2. » Cependant saint Louis ne doutait pas un moment que son frère ne fût allé tout droit en paradis.

Plus tard, les Espagnols employèrent les mêmes moyens pour la conversion du nouveau monde. L'évêque

1. History of christianity, vol. II, p. 366.

2. Vie de Joinville, par Francisque Michel, p. xvI.

Las Cases évaluait à plus de douze millions le nombre des Indiens détruits par ses compatriotes, environ trentehuit ans après la découverte de l'Amérique. L'historien Herrera reconnaît que la population d'Hispaniola avait été réduite, en vingt-cinq ans, d'un million d'âmes à quatorze mille. Combien pâlissent les exploits des plus célèbres conquérants païens devant l'éloquence de pareils chiffres!

Les apologistes prétendent que le christianisme a réformé les coutumes grossières des barbares: l'histoire nous apprend, au contraire, qu'il s'y est longtemps associé et qu'il a consacré par des cérémonies religieuses les diverses formes de jugement de Dieu, comme les épreuves par l'eau froide, par le combat singulier, par le feu et par la croix. L'Église encourageait ces pratiques par la célébration du saint sacrifice. Le duel avait lieu même entre ecclésiastiques.

A l'époque du règne absolu de la foi, il n'était pas rare de voir des prêtres initiés au métier des armes. Christian, archevêque de Mayence au douzième siècle, portait habituellement une cotte de mailles sous son costume sacerdotal, et passait pour avoir tué neuf ennemis de sa main en divers combats. Le cardinal Ximénès, non moins belliqueux que le pape Jules II, disait que « l'odeur de la poudre lui était plus agréable que celle d'aucun parfum. » Même après la Réforme, et il n'y a guère plus de deux siècles, on a vu sous Louis XIII le cardinal de la Valette commander nos armées, en même temps que l'archevêque de Bordeaux, Sourdis, dirigeait les escadres françaises. On ne saurait

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