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Il rejette en dormant l'effroyable mélange,
On invoque les dieux, en ordre l'on se range,

Et nous crevons soudain, à l'aide d'un long pieu,
L'œil qui, seul sur son front, en remplit le milieu;
Œil énorme, égalant la grandeur circulaire
D'un bouclier d'Argos ou du disque solaire.

Traduction de M. Gaston :

La mort suit en tous lieux ce monstre impitoyable,
Qui du sang des humains avide, insatiable,
Entasse autour de lui leurs cadavres hideux.
Moi-même je l'ai vu, dans son repaire affreux,
(Enfers, pour le punir, entr'ouvrez vos abymes!)
D'une main, sur le roc écraser deux victimes
Dont le sang jaillissoit sur nos amis tremblaus;
De l'autre, déchirer leurs membres palpitans :
Je l'ai vu, dévorant cette horrible pâture,
Étouffer sous sa dent le cri de la nature.

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Mais de ses compagnons pleurant le triste sort,
Ulysse nous rassemble, et court venger leur mort.
Lorsqu'ivre des vapeurs de ce festin impie,

La tête du géant se trouve appesantic,

Sous ce poids qui l'accable, il s'endort, et soudain
Rejette en noirs torrens et le sang et le vin.

Nous invoquons les dieux; tous nos Grees, en silence,
Autour de lui rangés dans sa caverne immense,

S'élancent, et cent bras armés par la fureur
Enfoncent dans son œil un javelot vengeur.
Cet oil rendoit son front aux humains formidable;
Au bouclier d'Ajax sa forme étoit semblable;
Que dis-je ? il égaloit le disque du soleil.
Ulysse l'a puni; mais craignez son réveil.

Voici maintenant celle de M. Delille :

A peine ivre de vin et gorgé de carnage,
Sous le poids du sommeil, qui seul dompte su rage,

Il a courbé sa tête, et, tombant de langueur,
De son corps monstrueux déployé la longueur;
Tandis que, rejetés par ce monstre farouche,
La chair, le vin, le sang, jaillissoient de sa bouche,
Nous invoquons les dieux; on l'entoure : à l'instant
Nous fondons à l'envi sur l'horrible géant;
Une poutre à l'instant a crevé l'œil énorme

Qui brilloit seul au front de ce géant difforme :
Moins grand nous apparoît, dans son vaste contour,
Un bouclier d'Argos ou l'oeil ardent du jour.

Quelques critiques un peu chagrins ont dit que l'histoire de Polyphême ressembloit aux contes de l'Ogre du Petit-Poucet ou de la Barbe-Bleue, dont on berce les enfans, et ils ont paru s'étonner de la trouver dans deux des trois poëmes les plus célèbres de l'antiquité. Mais il falloit sans doute que ce morceau d'Homère fût trèsgoûté autrefois, puisqué Virgile, et Ovide après lui, s'en sont emparés; et qu'Horace le mettoit au rang des choses merveilleuses enfantées par le poëte grec.

Au reste, on ne peut s'empêcher d'admirer dans cette description la fécondité du génie de Virgile, la raison et le goût qui guident toujours sa brillante imagination : le merveilleux naît du fond du sujet, et l'on ne pourroit l'en détacher sans nuire à l'ensemble du poëme. La rencontre d'Achéménide, abandonné par. Ulysse, étoit une occasion naturelle de raconter les excès de Polyphême, et de rappeler la vengeance qu'en tira le prince Grec. (Note de l'Éditeur.)

FIN DU TOME TROISIÈME.

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De la forme du Poëme épique, ou de la Narration.

62

De la Narration proprement dite, et de ses qualités.

83

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