Page images
PDF
EPUB

et chacun, dans la vue de ruiner ses ennemis, concourut à détruire la nation.

Bajazet ayant soumis tous les autres sultans, les Turcs auroient fait pour lors ce qu'ils firent depuis sous Mahomet II, s'ils n'avoient pas été eux-mêmes sur le point d'être exterminés par les Tartares.

sous les

Je n'ai pas le courage de parler des miseres qui suivirent: je dirai seulement que, derniers empereurs, l'empire, réduit aux faubourgs de Constantinople, finit comme le Rhin, qui n'est plus qu'un ruisseau lorsqu'il se perd dans l'océan.

FIN DES CONSIDÉRATIONS SUR LA GRANDEUR ET LA DÉCADENCE DES ROMAINS.

DE SYLLA

ET D'EUCRATE.

QUEL

UELQUES jours après que Sylla se fut démis de la dictature, j'appris que la réputation que j'avois parmi les philosophes lui faisoit souhaiter de me voir. Il étoit à sa maison de Tibur, où il jouissoit des premiers moments tranquilles de sa vie. Je ne sentis point devant lui le désordre où nous jette ordinairement la présence des grands hommes. Et dès que nous fùmes seuls: SYLLA, lui dis-je, vous vous êtes donc mis vous-même dans cet état de médiocrité qui afflige presque tous les humains? Vous avez renoncé à cet empire que votre gloire et vos vertus vous donnoient sur tous les hommes ? La fortune semble être gênée de ne plus vous élever aux honneurs.

EUCRATE, me dit-il, si je ne suis plus en spectacle à l'univers, c'est la faute des choses humaines, qui ont des bornes, et non pas la mienne. J'ai cru avoir rempli ma destinée dès que je n'ai plus eu à faire de grandes choses. Je n'étois point fait pour gouverner tranquil

CR. DES ROM.

20

lement un peuple esclave. J'aime à remporter des victoires, à fonder ou détruire des états, à faire des ligues, à punir un usurpateur: mais pour ces minces détails du gouvernement, où les génies médiocres ont tant d'avantages, cette lente exécution des lois, cette discipline d'une milice tranquille, mon ame ne sauroit s'en occuper.

IL est singulier, lui dis-je, que vous ayez porté tant de délicatesse dans l'ambition. Nous avons bien vu des grands hommes peu touchés du vain éclat et de la pompe qui entourent ceux qui gouvernent; mais il y en a bien peu qui n'aient été sensibles au plaisir de gouverner, et de faire rendre à leurs fantaisies le respect qui n'est dû qu'aux lois.

Er moi, me dit-il, Eucrate, je n'ai jamais été si peu content que lorsque je me suis vu maître absolu dans Rome, que j'ai regardé autour de moi, et que je n'ai trouvé ni rivaux ni ennemis.

J'ai cru qu'on diroit quelque jour que je n'avois châtié que des esclaves. Veux-tu, me suisje dit, que dans ta patrie il n'y ait plus d'hommes qui puissent être touchés de ta gloire? Et, puisque tu établis la tyrannie, ne vois-tu pas bien qu'il n'y aura point après toi de prince si lâche que la flatterie ne t'égale et ne pare de ton nom, de tes titres, et de tes vertus même ?

SEIGNEUR, Vous changez toutes mes idées, de la façon dont je vous vois agir. Je croyois que vous aviez de l'ambition, mais aucun amour pour la gloire: je voyois bien que votre ame étoit haute; mais je ne soupçonnois pas qu'elle fût grande: tout dans votre vie sembloit me montrer un homme dévoré du desir de commander, et qui, plein des plus funestes passions, se chargeoit avec plaisir de la honte, des remords, et de la bassesse même, attachés à la tyrannie. Car enfin vous avez tout sacrifié à votre puissance; vous vous êtes rendu redoutable à tous les Romains ; vous avez exercé sans pitié les fonctions de la plus terrible magistrature qui fût jamais. Le sénat ne vit qu'en tremblant un défenseur si impitoyable. Quelqu'un vous dit: Sylla, jusqu'à quand répandras-tu le sang romain? veux-tu ne commander qu'à des murailles? Pour lors vous publiâtes ces tables qui déciderent de la vie et de la mort de chaque citoyen.

ET c'est tout le sang que j'ai versé qui m'a mis en état de faire la plus grande de toutes mes actions. Si j'avois gouverné les Romains avec douceur, quelle merveille que l'ennui, que le dégoût, qu'un caprice, m'eussent fait quitter le gouvernement? mais je me suis démis de la dictature dans le temps qu'il n'y avoit pas un seul homme dans l'univers qui ne crût que la dictature étoit mon seul asyle. J'ai paru devant les Romains, citoyen au milieu de mes

« PreviousContinue »