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pas comment il peut en sortir, de même lorsqu'il est en paix et qu'on respecte sa puissance il ne vient point dans l'esprit comment cela peut changer: il néglige donc la milice dont il croit n'avoir rien à espérer et tout à craindre, et souvent même il cherche à l'affoiblir.

C'étoit une regle inviolable des premiers Romains que quiconque avoit abandonné son poste, ou laissé ses armes dans le combat, étoit puni de mort. Julien et Valentinien avoient à cet égard rétabli les anciennes peines. Mais les barbares pris à la solde des Romains, accoutumés à faire la guerre comme la font aujourd'hui les Tartares, à fuir pour combattre encore, à chercher le pillage plus que l'honneur (1), étoient incapables d'une pareille discipline.

Telle étoit la discipline des premiers Romains, qu'on y avoit vu des généraux condamner leurs enfants à mourir, pour avoir sans leur ordre gagné la victoire : mais, quand ils furent mêlés parmi les barbares, ils y contracterent un esprit d'indépendance qui faisoit le caractere de ces nations; et, si l'on lit les guerres de Bélisaire contre les Goths, on verra un général presque toujours désobéi par ses officiers.

(1) Ils ne vouloient pas s'assujettir aux travaux des soldats romains. Voyez Ammien Marcellin, 1. 18, qui dit, comme une chose extraordinaire, qu'ils s'y soumirent en une occasion, pour plaire à Julien, qui vouloit mettre des places en état de défense.

Sylla et Sertorius, dans la fureur des guerres civiles, aimoient mieux périr que de faire quelque chose dont Mithridate pût tirer avantage: mais dans les temps qui suivirent, dès qu'un ministre ou quelque grand crut qu'il impor toit à son avarice, à sa vengeance, à son ambition, de faire entrer les barbares dans l'empire, il le leur donna d'abord à ravager. (1)

Il n'y a point d'état où l'on ait plus besoin de tributs que dans ceux qui s'affoiblissent; de sorte que l'on est obligé d'augmenter les charges à mesure que l'on est moins en état de les porter: bientôt, dans les provinces romaines, les tributs devinrent intolérables.

Il faut lire dans Salvien les horribles exactions que l'on faisoit sur les peuples (2). Les citoyens poursuivis par les traitants n'avoient d'autre ressource que de se réfugier chez les barbares, ou de donner leur liberté au premier qui la vouloit prendre.

Ceci servira à expliquer, dans notre histoire françoise, cette patience avec laquelle les Gaulois souffrirent la révolution qui devoit

(1) Cela n'étoit pas étonnant dans ce mélange avec des nations qui avoient été errantes, qui ne connoissoient point de patrie, et où souvent des corps entiers de troupes se joignoient à l'ennemi qui les avoit vaincus contre leur nation même. Voyez dans Procope ce que c'étoit que les Goths sous Vitigès. — (2) Voyez tout le liv. 5 de Gubernatione Dei. Voyez aussi, dans l'Ambassade écrite par Priscus, le discours d'un Romain établi parmi les Huns, sur sa félicité dans ces pays-là.

établir cette différence accablante entre une nation noble et une nation roturiere. Les barbares, en rendant tant de citoyens esclaves de la glebe, c'est-à-dire du champ auquel ils étoient attachés, n'introduisirent guere rien qui n'eût été plus cruellement exercé avant eux. (1)

(1) Voyez encore Salvien, 1.5; et les lois du Code et du Digeste là-dessus.

CHAPITRE XIX.

1. Grandeur d'Attila. 2. Cause de l'établissement des barbares. 3. Raisons pourquoi l'empire d'occident fut le premier abattu.

COMME dans le temps que l'empire s'affoiblissoit la religion chrétienne s'établissoit, les chrétiens reprochoient aux païens cette décadence, et ceux-ci en demandoient compte à la religion chrétienne. Les chrétiens disoient que Dioclétien avoit perdu l'empire en s'associant trois collegues (1), parceque chaque empereur vouloit faire d'aussi grandes dépenses et entretenir d'aussi fortes armées que s'il avoit été seul; que par-là le nombre de ceux qui recevoient n'étant pas proportionné au nombre de

(1) Lactance, de la mort des persécuteurs, cb. 7.

ceux qui donnoient, les charges devinrent si grandes, que les terres furent abandonnées par les laboureurs, et se changerent en forêts. Les païens au contraire ne cessoient de crier contre un culte nouveau, inoui jusqu'alors: et comme autrefois, dans Rome florissante, on attribuoit les débordements du Tibre et les autres effets de la nature à la colere des dieux, de même, dans Rome mourante, on imputoit les malheurs à un nouveau culte et au renversement des anciens autels.

Ce fut le préfet Symmaque qui, dans une lettre écrite aux empereurs au sujet de l'autel de la Victoire, fit le plus valoir contre la religion chrétienne des raisons populaires, et par conséquent très capables de séduire.

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Quelle chose peut mieux nous conduire à << la connoissance des dieux, disoit-il, que l'expérience de nos prospérités passées ? Nous « devons être fideles à tant de siecles, et suivre « nos peres qui ont suivi si heureusement les «<leurs. Pensez que Rome vous parle et vous << dit: Grands princes, peres de la patrie, res« pectez mes années pendant lesquelles j'ai tou« jours observé les cérémonies de mes ancêtres: «< ce culte a soumis l'univers à mes lois; c'est « par-là qu'Annibal a été repoussé de mes murailles, et que les Gaulois l'ont été du capitole. " C'est pour les dieux de la patrie que nous demandons la paix; nous la demandons pour « les dieux indigetes. Nous n'entrons point « dans des disputes qui ne conviennent qu'à

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<< des gens oisifs; et nous voulons offrir des prieres, et non pas des combats. » (1)

Trois auteurs célebres répondirent à Symmaque. Orose composa son histoire pour prouver qu'il y avoit toujours eu dans le monde d'aussi grands malheurs que ceux dont se plaignoient les païens. Salvien fit son livre, où il soutient que c'étoient les déréglements des chrétiens qui avoient attiré les ravages des barbares (2): et S. Augustin fit voir que la cité du ciel étoit différente de cette cité de la terre (3), où les anciens Romains, pour quelques vertus humaines, avoient reçu des récompenses aussi vaines que ces vertus.

Nous avons dit que, dans les premiers temps, la politique des Romains fut de diviser toutes les puissances qui leur faisoient ombrage: dans la suite ils n'y purent réussir. Il fallut souffrir qu'Attila soumît toutes les nations du nord : il s'étendit depuis le Danube jusqu'au Rhin, détruisit tous les forts et tous les ouvrages qu'on avoit faits sur ces fleuves, et rendit les deux empires tributaires.

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Théodose, disoit-il insolemment, est fils d'un pere très noble, aussi-bien que moi; << mais, en me payant le tribut, il est déchu de « sa noblesse, et est devenu mon esclave; il « n'est pas juste qu'il dresse des embûches à

(1) Lettres de Symmaque, l. 10, lettre 54.—(2) Du Gouvernement de Dieu.—(3) De la Cité de Dieu.

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