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Lorsque Constantius envoya Julien dans les Gaules, il trouva que cinquante villes le long du Rhin (1) avoient été prises par les barbares; que les provinces avoient été saccagées; qu'il n'y avoit plus que l'ombre d'une armée romaine que le seul nom des ennemis faisoit fuir.

Ce prince, par sa sagesse, sa constance, son économie, sa conduite, sa valeur, et une suite continuelle d'actions héroïques, rechassa les barbares (2); et la terreur de son nom les contint tant qu'il vécut. (3)

La brièveté des regnes, les divers partis politiques, les différentes religions, les sectes particulieres de ces religions, ont fait que le caractere des empereurs est venu à nous extrêmement défiguré. Je n'en donnerai que deux exemples. Cet Alexandre, si lâche dans Hérodien, paroît plein de courage dans Lampridius; ce Gratien, tant loué par les orthodoxes, Philostorgue le compare à Néron.

Valentinien sentit plus que personne la nécessité de l'ancien plan : il employa toute sa vie à fortifier les bords du Rhin, à y faire des levées, y bâtir des châteaux, y placer des troupes, leur donner le moyen d'y subsister. Mais il arriva dans le monde un évènement qui dé

(1) Ammien Marcellin, l. 16, 17, et 18.—(2) Id. ibid. -(3) Voyez le magnifique éloge qu'Ammien Marcellin fait de ce prince, l. 25. Voyez aussi les Fragments de L'histoire de Jean d'Antioche.

termina Valens son frere à ouvrir le Danube, et eut d'effroyables suites.

Dans le pays qui est entre les Palus-Méotides, les montagnes du Caucase, et la mer Caspienne, il y avoit plusieurs peuples qui étoient la plupart de la nation des Huns ou de celle des Alains; leurs terres étoient extrêmement fertiles; ils aimoient la guerre et le brigandage; ils étoient presque toujours à cheval ou sur leurs chariots, et erroient dans le pays où ils étoient enfermés : ils faisoient bien quelques ravages sur les frontieres de Perse et d'Arménie; mais on gardoit aisément les portes Caspiennes, et ils pouvoient difficilement pénétrer dans la Perse par ailleurs. Comme ils n'imaginoient point qu'il fût possible de traverser les Palus-Méotides (1), ils ne connoissoient pas les Romains; et, pendant que d'autres barbares ravageoient l'empire, ils restoient dans les limites que leur ignorance leur avoit données.

que

Quelques uns (2) ont dit le limon que le Tanaïs avoit apporté avoit formé une espece de croûte sur le Bosphore cimmérien, sur laquelle ils avoient passé; d'autres (3), que deux jeunes Scythes poursuivant une biche qui traversa ce bras de mer le traverserent aussi.

(1) Procope, histoire mêlée. —(2) Zosime, liv. 4.(3) Jornandès, de Rebus geticis, histoire mêlée de Procope.

Ils furent étonnés de voir un nouveau monde; et, retournant dans l'ancien, ils apprirent à leurs compatriotes les nouvelles terres, et, si j'ose me servir de ce terme, les Indes qu'ils avoient découvertes. (1)

D'abord des corps innombrables de Huns passerent; et, rencontrant les Goths les premiers, ils les chasserent devant eux. Il sembloit que ces nations se précipitassent les unes sur les autres, et que l'Asie, pour peser sur l'Europe, eût acquis un nouveau poids.

Les Goths effrayés se présenterent sur les bords du Danube, et, les mains jointes, demanderent une retraite. Les flatteurs de Valens saisirent cette occasion, et la lui représenterent comme une conquête heureuse d'un nouveau peuple qui venoit défendre l'empire et l'enrichir. (2)

Valens ordonna qu'ils passeroient sans armes; mais pour de l'argent ses officiers leur en laisserent tant qu'ils voulurent (3). Il leur fit distribuer des terres; mais, à la différence des Huns, les Goths n'en cultivoient

(1) Voyez Sozomene, 1. 6. —(2) Amm. Marcellin, 1. 29.-(3) De ceux qui avoient reçu ces ordres, celuici conçut un amour infâme; celui-là fut épris de la beauté d'une femme barbare; les autres furent corrompus par des présents, des habits de lin, et des couvertures bordées de franges: on n'eut d'autre soin que de remplir sa maison d'esclaves, et ses fermes de bétail. Histoire de Dexipe.

point (1); on les priva même du bled qu'on leur avoit promis: ils mouroient de faim, et ils étoient au milieu d'un pays riche; ils étoient armés, et on leur faisoit des injustices. Ils ravagerent tout depuis le Danube jusqu'au Bosphore, exterminerent Valens et son armée, et ne repasserent le Danube que pour abandonner l'affreuse solitude qu'ils avoient faite. (2)

(1) Voyez l'histoire gothique de Priscus, où cette différence est bien établie.

On demandera peut-être comment des nations qui ne cultivoient point les terres pouvoient devenir si puissan. tes, tandis que celles de l'Amérique sont si petites. C'est que les peuples pasteurs ont une subsistance bien plus assurée que les peuples chasseurs.

Il paroît par Ammien Marcellin que les Huns, dans leur premiere demeure, ne labouroient point les champs; ils ne vivoient que de leurs troupeaux dans un pays abondant en pâturages et arrosé par quantité de fleuves, comme font encore aujourd'hui les petits Tartares, qui habitent une partie du même pays. Il y a apparence que ces peuples, depuis leur départ, ayant habité des lieux moins propres à la nourriture des troupeaux, commencerent à cultiver les terres.

(2) Voyez Zosime, liv. 4. Voyez aussi Dexipe, dans l'Extrait des ambassades de Constantin Porphyrogénete.

CHAPITRE XVIII.

Nouvelles maximes prises par les Romains.

QUELQUEFOIS la lâcheté des empereurs, souvent la foiblesse de l'empire, firent que l'on chercha à appaiser par de l'argent les peuples qui menaçoient d'envahir (1). Mais la paix ne peut pas s'acheter, parceque celui qui l'a vendue n'en est que plus en état de la faire acheter

encore.

Il vaut mieux courir le risque de faire une guerre malheureuse que de donner de l'argent pour avoir la paix; car on respecte toujours un prince lorsqu'on sait qu'on ne le vaincra qu'après une longue résistance.

D'ailleurs ces sortes de gratifications se changeoient en tributs, et, libres au commencement, devenoient nécessaires : elles furent regardées comme des droits acquis; et lorsqu'un empereur les refusa à quelques peuples ou voulut donner moins, ils devinrent de mortels ennemis. Entre mille exemples, l'armée que Julien mena contre les Perses fut poursuivie dans sa retraite par des Arabes à qui il avoit

(1) On donna d'abord tout aux soldats; ensuite on donna tout aux ennemis.

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