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contribué à la grandeur de Rome, se perdit sous Auguste; ou plutôt cet honneur devint un privilege de la souveraineté (1). La plupart des choses qui arriverent sous les empereurs avoient leur origine dans la république (2), et il faut les rapprocher: celui-là seul avoit le droit de demander le triomphe, sous les auspices duquel la guerre s'étoit faite (3): or elle se faisoit toujours sous les auspices du chef, et par conséquent de l'empereur, qui étoit le chef de toutes les armées.

Comme, du temps de la république, on eut pour principe de faire continuellement la guerre; sous les empereurs, la maxime fut d'entretenir la paix : les victoires ne furent regardées que comme des suites d'inquiétude, avec des armées qui pouvoient mettre leurs services à trop haut prix.

Ceux qui eurent quelque commandement craignirent d'entreprendre de trop grandes

(1) On ne donnoit plus aux particuliers que les ornements triomphaux. Dion, in Aug.—(2) Les Romains ayant changé de gouvernement sans avoir été envahis, les mêmes coutumes resterent après le changement du gouvernement, dont la forme même resta à-peu-près.(3) Dion, in Aug. lib. 54, dit qu'Agrippa négligea, par. modestie, de rendre compte au sénat de son expédition contre les peuples du Bosphore, et refusa même le triomphe; et que, depuis lui, personne de ses pareils ne triompha: mais c'étoit une grace qu'Auguste vouloit faire à Agrippa, et qu'Antoine ne fit point à Ventidius la premiere fois qu'il vainquit les Parthes.

choses: il fallut modérer sa gloire de façon qu'elle ne réveillât que l'attention, et non pas la jalousie du prince; et ne point paroître devant lui avec un éclat que ses yeux ne pouvoient souffrir.

Auguste fut fort retenu à accorder le droit de bourgeoisie romaine (1); il fit des lois (2) pour empêcher qu'on n'affranchit trop d'esclaves (3); il recommanda par son testament que l'on gardât ces deux maximes, et qu'on ne cherchât point à étendre l'empire par de nouvelles guerres.

guerres

Ces trois choses étoient très bien liées ensemble: dès qu'il n'y avoit plus de guerres, il ne falloit plus de bourgeoisie nouvelle, ni d'affranchissements. Lorsque Rome avoit des continuelles, il falloit qu'elle réparât continuellement ses habitants. Dans les commencements on y mena une partie du peuple de la ville vaincue: dans la suite plusieurs citoyens des villes voisines Ꭹ vinrent pour avoir part au droit de suffrage; et ils s'y établirent en si grand nombre, que, sur les plaintes des alliés, on fut souvent obligé de les leur renvoyer: enfin on y arriva en foule des provinces. Les lois favoriserent les mariages, et même les rendirent nécessaires. Rome fit, dans toutes ses

(1) Suétone, in Aug. —(2) Idem, ibid. Voyez les Institutes, liv. 1.—(3) Dion, in Aug.

guerres, un nombre d'esclaves prodigieux; et lorsque ses citoyens furent comblés de richesses, ils en acheterent de toutes parts, mais ils les affranchirent sans nombre, par générosité, par avarice, par foiblesse (1): les uns vouloient récompenser des esclaves fideles; les autres vouloient recevoir en leur nom le bled que la république distribuoit aux pauvres citoyens ; d'autres enfin desiroient d'avoir à leur pompe funebre beaucoup de gens qui la suivissent avec un chapeau de fleurs. Le peuple fut presque composé d'affranchis (2); de façon que ces maîtres du monde, non seulement dans les commencements, mais dans tous les temps, furent la plupart d'origine servile.

Le nombre du petit peuple, presque tout composé d'affranchis ou de fils d'affranchis, devenant incommode, on en fit des colonies, par le moyen desquelles on s'assura de la fidélité des provinces. C'étoit une circulation des hommes de tout l'univers. Rome les recevoit esclaves, et les renvoyoit Romains.

Sous prétexte de quelques tumultes arrivés dans les élections, Auguste mit dans la ville un gouverneur et une garnison; il rendit les corps des légions éternels, les plaça sur les frontieres, et établit des fonds particuliers pour les payer; enfin il ordonna que les vé

(1) Denys d'Halicarnasse, I. 4, p. 227. —(2) Voyez Tacite, Annal., l. 13, ch. 27. Late fusum in corpus, etc.

térans recevroient leur récompense en argent, et non pas en terres. (1)

Il résultoit plusieurs mauvais effets de cette distribution des terres que l'on faisoit depuis Sylla. La propriété des biens des citoyens étoit rendue incertaine. Si on ne menoit pas dans un même lieu les soldats d'une cohorte, ils se dégoûtoient de leur établissement, laissoient les terres incultes, et devenoient de dangereux citoyens (2): mais, si on les distribuoit par légions, les ambitieux pouvoient trouver contre la république des armées dans un moment.

Auguste fit des établissements fixes pour la marine. Comme, avant lui, les Romains n'avoient point eu des corps perpétuels de troupes de terre, ils n'en avoient point non plus de troupes de mer. Les flottes d'Auguste eurent pour objet principal la sûreté des convois et la communication des diverses parties de l'empire car d'ailleurs les Romains étoient les maîtres de toute la Méditerranée; on ne naviguoit dans ces temps-là que dans cette mer, et ils n'avoient aucun ennemi à craindre.

Dion remarque très bien que depuis les empereurs, il fut plus difficile d'écrire l'histoire: tout devint secret; toutes les dépêches des provinces furent portées dans le cabinet des

(1) Il régla que les soldats prétoriens auroient cinq mille drachmes; deux après seize ans de service, et les trois autres mille drachmes après vingt ans de service. Dion, in August.—(2) Voyez Tacite, Annal. 1 14, ch. 27, sur les soldats menés à Tarente et à Antium.

empereurs; on ne sut plus que ce que la folie et la hardiesse des tyrans ne voulut point cacher, ou ce que les historiens conjecturerent.

CHAPITRE XIV.

Tibere.

COMME on voit un fleuve miner lentement et sans bruit les digues qu'on lui oppose, et enfin les renverser dans un moment, et couvrir les campagnes qu'elles conservoient, ainsi la puissance souveraine, sous Auguste, agit insensiblement, et renversa, sous Tibere, avec violence.

Il Ꭹ avoit une loi de majesté contre ceux qui commettoient quelque attentat contre le peuple romain. Tibere se saisit de cette loi, et l'appliqua, non pas aux cas pour lesquels elle avoit été faite, mais à tout ce qui put servir sa haine ou ses défiances. Ce n'étoient pas seulement les actions qui tomboient dans le cas de cette loi, mais des paroles, des signes, et des pensées même: car ce qui se dit dans ces épanchements de cœur que la conversation produit entre deux amis ne peut être regardé que comme des pensées. Il n'y eut donc plus de liberté dans les festins, de confiance dans les parentés, de fidélité dans les esclaves : la

GR. DES ROM.

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