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paroître devant lui avec un éclat que ses yeux ne pouvoient souffrir.

Auguste fut fort retenu à accorder le droit de bourgeoisie romaine 1; il fit des lois 2 pour empêcher qu'on n'affranchit trop d'esclaves; il recommanda par son testament que l'on gardàt ces deux maximes, et qu'on ne cherchât point à étendre l'empire par de nouvelles guerres.

Ces trois choses étoient très bien liées ensemble: dès qu'il n'y avoit plus de guerres, il ne falloit plus de bourgeoisie nouvelle, ni d'affranchissements.

:

Lorsque Rome avoit des guerres continuelles, il falloit qu'elle réparât continuellement ses habitants. Dans les commencements, on y mena une partie du peuple de la ville vaincue dans la suite, plusieurs citoyens des villes voisines y vinrent pour avoir part au droit de suffrage; et ils s'y établirent en si grand nombre que, sur les plaintes des alliés, on fut souvent obligé de les leur renvoyer; enfin on y arriva en foule des provinces. Les lois favorisèrent les mariages, et même les rendirent nécessaires. Rome fit dans toutes ses guerres un nombre d'esclaves prodigieux; et, lorsque ses citoyens furent comblés de richesses, ils en achetèrent de toutes parts, mais ils les affranchirent sans nombre, par générosité, par avarice, 'SUÉTONE, in August. (M.)

2 SUÉTONE, ibid. Voyez les Institutes, liv. I. (M.) 3 DION, in August. (M.)

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par foiblesse : les uns vouloient récompenser des esclaves fidèles; les autres vouloient recevoir en leur nom le blé que la république distribuoit aux pauvres citoyens; d'autres enfin desiroient d'avoir à leur pompe funèbre beaucoup de gens qui la suivissent avec un chapeau de fleurs. Le peuple fut presque composé d'affranchis 2: de façon que ces maîtres du monde, non seulement dans les commencements, mais dans tous les temps, furent la plupart d'origine servile.

Le nombre du petit peuple, presque tout composé d'affranchis, ou de fils d'affranchis, devenant incommode, on en fit des colonies, par le moyen desquelles on s'assura de la fidélité des provinces. C'étoit une circulation des hommes de tout l'univers. Rome les recevoit esclaves, et les renvoyoit Romains.

Sous prétexte de quelques tumultes arrivés dans les élections, Auguste mit dans la ville un gouverneur et une garnison; il rendit les corps des légions éternels, les plaça sur les frontières, et établit des fonds particuliers pour les payer; enfin il ordonna que les vétérans recevroient leur récompense en argent, et non pas en terres 3.

1 DENYS D'HALICARNASSE, liv. IV. (M.)

2 Voyez Tacite. Annales, liv. XIII, late fusum id corpus, etc. (M.) 3 Il régla que les soldats prétoriens auroient cinq mille drachmes deux après seize ans de service, et les autres trois mille drachmes après vingt ans. (DION, in Aug.) (M.)

Il résultoit plusieurs mauvais effets de cette distribution des terres que l'on faisoit depuis Sylla. La propriété des biens des citoyens étoit rendue incertaine. Si on ne menoit pas dans un même lieu les soldats d'une cohorte, ils se dégoûtoient de leur établissement, laissoient les terres incultes, et devenoient de dangereux citoyens : mais, si on les distribuoit par légions, les ambitieux pouvoient trouver contre la république des armées dans un moment.

Auguste fit des établissements fixes pour la marine. Comme avant lui les Romains n'avoient point eu des corps perpétuels de troupes de terre, ils n'en avoient point non plus de troupes de mer. Les flottes d'Auguste eurent pour objet principal la sûreté des convois, et la communication des diverses parties de l'empire; car d'ailleurs les Romains étoient les maîtres de toute la Méditerranée : on ne navigeoit dans ces temps-là que dans cette mer, et ils n'avoient aucun ennemi à craindre.

Dion remarque très bien que depuis les empereurs il fut plus difficile d'écrire l'histoire tout devint secret; toutes les dépêches des provinces furent portées dans le cabinet des empereurs; on ne sut plus que ce que la folie et la hardiesse des tyrans ne voulut point cacher, ou ce que les historiens conjecturèrent.

1 Voyez Tacite, Annales, liv. XIV, sur les soldats menés à Tarente et à Antium. (M.)

CHAPITRE XIV.

Tibère.

Comme on voit un fleuve miner lentement et sans bruit les digues qu'on lui oppose, et enfin les renverser dans un moment, et couvrir les campagnes qu'elles conservoient, ainsi la puissance souveraine sous Auguste agit insensiblement et renversa sous Tibère avec violence.

II y avoit une loi de majesté contre ceux qui commettoient quelque attentat contre le peuple romain. Tibère se saisit de cette loi, et l'appliqua, non pas aux cas pour lesquels elle avoit été faite, mais à tout ce qui put servir sa haine ou ses défiances. Ce n'étoient pas seulement les actions qui tomboient dans le cas de cette loi, mais des paroles, des signes, et des pensées même; car ce qui se dit dans ces épanchements de cœur que la conversation produit entre deux amis ne peut être regardé que comme des pensées. Il n'y eut donc plus de liberté dans les festins, de confiance dans les parentés, de fidélité dans les

esclaves; la dissimulation et la tristesse du prince se communiquant par-tout, l'amitié fut regardée comme un écueil; l'ingénuité, comme une imprudence; la vertu, comme une affectation qui pouvoit rappeler dans l'esprit des peuples le bonheur des temps précédents.

Il n'y a point de plus cruelle tyrannie que celle que l'on exerce à l'ombre des lois, et avec les couleurs de la justice, lorsqu'on va pour ainsi dire noyer des malheureux sur la planche même sur laquelle ils s'étoient sauvés.

Et, comme il n'est jamais arrivé qu'un tyran ait manqué d'instruments de sa tyrannie, Tibère trouva toujours des juges prêts à condamner autant de gens qu'il en put soupçonner. Du temps de la république, le sénat qui ne jugeoit point en corps les affaires des particuliers, connoissoit, par une délégation du peuple, des crimes qu'on imputoit aux alliés. Tibère lui renvoya de même le jugement de tout ce qu'il appeloit crime de lèse-majesté contre lui. Ce corps tomba dans un état de bassesse qui ne peut s'exprimer : les sénateurs alloient au-devant de la servitude; sous la faveur de Séjan, les plus illustres d'entre eux faisoient le métier de délateurs.

Il me semble que je vois plusieurs causes de cet esprit de servitude qui régnoit pour lors dans le sénat. Après que César eut vaincu le parti de la république, les amis et les ennemis qu'il avoit dans le sénat con

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