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tout n'a connu que le théâtre d'Athènes; & s'il eft vrai que les génies les plus hardis dans leurs fpéculations fur les arts, ne vont guéres au-delà des modéles même que les artiftes inventeurs leur ont fournis, le Philofophe grec n'a dû donner que le beau idéal du théâtre Athénien. D'un autre côté, s'il eft de fait que, lorfqu'un nouveau genre, comme une forte de phénoméne, paroît dans la littérature, & qu'il a frappé vivement les efprits, il est bien-tôt porté à fa perfection, par l'ardeur des rivaux qu'une gloire nouvelle aiguillonne on pourroit croire que la Tragédie étoit déja parfaite chez les poëtes Grecs, qui ont fervi de modéles aux régles d'Ariftote, & que les autres qui font venus après, n'ont pû y ajouter que des rafinemens capables d'abâtardir ce genre, en voulant lui donner un air de nouveauté.

;

Enfin une derniére raifon qui peut diminuer l'autorité du poëte François, c'eft que lui-même étoit auteur; &

on a obfervé que tous ceux qui ont donné des régles après avoir fait des ouvrages, n'ont été, quelque courage qu'ils aient eu, que des légiflateurs réfervés & difcrets. Semblables au pere dont parle Horace, ou à l'amant d'Agna, ils prennent quelquefois les défauts mêmes pour des agrémens; ou s'ils les reconnoiffent pour des défauts, ils n'en parlent qu'en les défignant par des noms qui approchent fort de ceux de la vertu.

CHAPITRE II.

Ce que c'est qu'Action héroïque. TOUTE action théâtrale est l'entreprife de quelque homme contre un autre homme. C'eft proprement le choc des intérêts, & par conféquent celui des paffions. Mais l'action de la Tragédie eft un choc violent; parce qu'il s'y agit des plus grands intérêts, & que ce font des forces extraordinaires, des forces de héros, c'està-dire, d'hommes fort fupérieurs aux autres hommes, qui fe choquent entr'elles.

Qu'est-ce qu'on entend par une action héroïque ?

,

Chez les Sculpteurs une ftatue d'homme eft de grandeur naturelle quand elle eft en- deçà de fix pieds. Elle eft héroïque, quand elle eft entre fix & dix; & au-delà c'est une ftatue coloffale.

que,

En fuivant l'analogie de cet exemple l'action de la Tragédie fera héroïfi elle eft l'effet d'une qualité de l'ame portée à un degré extraordinaire jufqu'à un certain point. Si cette action ne demande qu'une vertu commune; elle ne peut avoir de mérite que la vraisemblance; parce qu'on en trouve aifément des modéles. Si elle eft au-delà de certaines bornes, & hors de ce vraisemblable dont les hommes ont la mefure dans leurs idées; c'eft du gigantefque. Le grand, le beau, le noble, en un mot l'héroïq un courage, une valeur, une que, fe trouve donc dans le milieu. générofité qui eft au-deffus des ames vulgaires. C'eft Heraclius qui veut mourir pour Martian, c'eft Pulcherie qui dit à l'ufurpateur Phocas, avec une fierté digne de fa naissance :

Tyran, defcend du thrône, & fais place à ton maître.

Les vices mêmes entrent dans l'idée de cet héroïfme. Un ftatuaire peut

figurer un Néron de huit pieds. Un poëte peut donc auffi le peindre, finon comme un héros, du moins comme un homme d'une cruauté extraordinaire, & qui a quelque chofe d'héroïque; parce qu'en général, les vices font héroïques, quand ils ont pour principe quelque qualité qui fuppofe une hardieffe & une fermeté peu commune telle eft la hardieffe de Catilina, la force de Médée, l'intrépidité de Cléopâtre dans Rodogune.

L'action héroïque l'eft, ou par ellemême, ou par le caractére de ceux qui la font.

Elle eft héroïque par elle-même quand elle a un grand objet; comme d'acquérir un trône, de punir un tyran, de fe vaincre foi-même dans l'accès d'un grande passion.

Elle eft héroïque par le caractére de ceux qui la font, quand ce font des rois, des princes qui agiffent, ou contre qui on agit. Quand l'entreprise eft d'un roi; elle s'éléve,

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