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CHAPITRE V.

Style de la Poëfie dramatique
du Dialogue.

Si dicentis erunt fortunis abfonia dicta,
Romani tollent equites peditesque cachinnum.

SI le ftyle de celui qui parle n'est
pas conforme à fon état actuel; tous
pas
les fpectateurs, inftruits ou ignorans,
la cour & le peuple, fe mocqueront
de l'auteur & de l'acteur. Voilà la
régle donnée par un maître.

L'état de celui qui parle doit être la régle du ftyle. Un roi, un fimple particulier, une femme, un commerçant, un laboureur paisible, ne doivent point parler du mêine ton. Mais ce n'eft pas affez ces mêmes hommes font dans la joie, ou dans la douleur, dans l'efpérance, ou dans la crainte cet état du moment doit donner encore une feconde conformation à leur ftyle, laquelle aura pour bafe

fa premiere, comme l'état du moment, a pour base l'état habituel, ce qu'on appelle, la condition de la perfonne.

En général tout acteur dramatique doit éviter ce qui peut fentir l'art, ou la déclamation. Il évitera donc.

1o. Les fentences ou les penfées morales, généralifées; parce qu'elles font au milieu du difcours, à-peuprès comme un corps étranger, qui ne tient à rien. Ainfi au lieu de dire: Il faut craindre jusqu'aux préfens qui viennent de nos ennemis, il dira: Je crains les Grecs, même dans leurs préfens. Les jeunes auteurs croient faire merveille que de détacher ainfi du tiffu, quelque maxime brillante, qu'un fpectateur frivole remportera chez lui pour la citer. Il eft mieux d'enchâffer ces maximes dans le texte : ainfi, au lieu de dire Quand on eft réfołu à la mort on n'a plus rien à craindre on dit: Je veux mourir, qu'ai – je à craindre: Quem metui moritura? La maxime ainfi attachée à un fait, à une perfonne, devient active, de fpécu

lative qu'elle étoit : elle en a plus de vérité, plus de vie, plus de chaleur : ce qui vaut infiniment mieux qu'un vain éclat. D'ailleurs, les fentences ont un air dogmatique & de déclama tion il femble qu'on veuille faire parade de doctrine & de beaux fentimens ce qui ne convient qu'à des fophiftes. Ce n'eft pas qu'en certains cas on ne puiffe pofer quelque maxi me pour principe; quelquefois même cela eft néceffaire; mais quand il n'y a point de néceffité ( on le voit aifément) & qu'on veut feulement faire du brillant, de l'étincellant, des demi- épigrammes, c'est une faute dans laquelle les bons auteurs fe font gardés de tomber.

2o. On évite les figures oratoires par - tour où elles pourroient fentir l'art, les comparaifons déployées, les répétitions, les descriptions, les élans lyriques; en un mot tout ce qui peut avertir que c'eft un poëte, ou un orateur qui fuggére aux acteurs ce qu'ils difent. Il eft aifé de pouffer loin ce

détail : ce que nous avons dit jufqu'ici fur le style, fuffit pour donner l'idée jufte de cette régle. Nous nous fom. mes affez étendus fur cette matiére dans le Ier. Volume ( a ).

Un acteur qui parle feul, fait ce qu'on appelle un monologue; & quand plufieurs parlent, & qu'ils parlent l'un à l'autre, c'est un dialogue.

Toute perfonne qui parle, doit avoir une raison, au moins apparente, pour parler.

Tout monologue doit être court, la raifon eft, qu'il eft prefque hors de la nature. S'il eft long, il faut que l'acteur foit dans une agitation violente. Un homme tranquille fe contente de penfer, de réfléchir : ce n'eft que quand il fent un grand trouble au-dedans de lui-même, qu'il éclate, qu'il marche à grands pas, qu'il fait des geftes, & prononce des mots. Tel eft le monologue de Médée dans P. Corneille. Tel eft celui d'Agamemnon dans Racine, lorsqu'il délibére tout (a) III. Partie, Chap. 4 & 6.

haut avec lui-même, s'il immolera ou non Iphigénie. Il y a alors une efpéce de dialogue de deux hommes en un feul. Le roi & le pere fe difputent leurs droits entre eux. L'un veut immoler, l'autre ne le veut pas.

Pour éviter les longs & fréquens monologues, on a inventé les confidens, dans le fein defquels les héros dépofent leurs chagrins & leurs deffeins; mais le rôle de ces confidens eft ordinairement fi froid › que le reméde ne vaut guéres mieux que le mal.

Dans le dialogue, il faut confidérer la parole comme un bien commun auquel tous les interlocuteurs ont droit, & qu'ils doivent fe partager felon leur intérêt, & felon la décence. On doit toujours fentir la raifon pourquoi elle paffe d'une bouche à l'autre. Cette diftribution demande d'autant plus d'art que cet art ne doit nullement paroître. Il faut que les idées & les intérêts fe mêlent, s'uniffent, se relévent, fe croisent, se

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