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à elle à rappeler les services qu'ils ont rendus à la religion, les victoires qu'ils ont remportées sur l'hérésie, les exemples qu'ils ont donnés de la sainteté pastorale, les lumières qu'ils ont répandues parmi les peuples, les tourmens qu'ils ont soufferts pour la foi; mais ils appartiennent aussi à l'histoire et aux lettres humaines. L'histoire, en nous affligeant du récit des crimes qui furent alors, comme dans tous les temps, ceux de la tyrannie, de l'ambition et du fanatisme, nous offre le contraste de tant d'horreurs dans le portrait fidèle et avoué de ces héros de l'évangile. L'histoire nous présente en eux les plus touchans modèles des plus pures vertus; nous les fait voir réunissant la dignité du caractère à celle du sacerdoce, une douceur inaltérable à une fermeté intrépide, adressant aux empereurs le langage de la vérité, au coupable celui de sa conscience qui le tourmente et de la justice céleste qui le menace, à tous les malheureux celui des consolations fraternelles. Les lettres les réclament à leur tour, et s'applaudissent d'avoir été pour quelque chose dans le bien qu'ils ont fait à l'humanité, et d'être encore, aux yeux du monde, une partie de leur gloire: elles aiment à se couvrir de l'éclat qu'ils

ont répandu sur leur siècle, et se croiront toujours en droit de dire qu'avant d'être des confesseurs et des martyrs, ils ont été de grands hommes; qu'avant d'être des saints, ils ont été des orateurs.

En les regardant sous ce point de vue, soit que l'on mette à part l'inspiration divine, soit que l'on reconnaisse encore la Providence dans les moyens naturels dont elle se sert, on peut observer les causes qui contribuèrent à donner cette nouvelle vie à l'éloquence, oubliée depuis si longtemps. Un nouvel ordre d'idées et de sentimens à développer, une foule d'obstacles à combattre et d'adversaires à confondre, la nécessité de vaincre par la persuasion et l'exemple, qui étaient les deux seules forces de la religion naissante, voilà ce qui dut animer le génie des fondateurs et des défenseurs du christianisme. Le paganisme, longtemps persécuteur, était encore redoutable, même depuis que Constantin eut fait régner l'évangile. Les zélateurs de l'ancienne religion avaient pour eux, selon les temps et les circonstances, des intérêts de parti, et dans tous les temps l'intérêt de toutes les passions divinisées par le polythéisme. Mais il faut avouer que ce n'étaient, sous aucun

rapport, des hommes à comparer aux prédicateurs de la foi chrétienne. Il s'en fallait de beaucoup que Celse, Porphyre, Symmaque, pussent balancer la dialectique d'un Tertullien, la science d'un Origène, ni les talens d'un Augustin et d'un Chrysostôme. Ce dernier, dont le nom seul rappelle la haute idée que ses contemporains avaient de son éloquence, peut être opposé à ce que l'antiquité avait eu de plus grand. Ce n'est pas que dans ses écrits, comme dans ceux de saint Augustin, de saint Basile, de saint Grégoire, la critique n'ait pu remarquer des défauts que n'ont pas eus les classiques grecs et romains. On s'aperçoit que les orateurs chrétiens n'ont pu échapper entièrement au goût général de leur temps, qui s'était fort corrompu. On y désirerait souvent plus de sévérité dans le style, plus d'attention aux convenances du genre, plus de méthode, plus de mesure dans les détails. On leur a reproché de la diffusion, des digressions trop fréquentes, et l'abus de l'érudition, qui, dans l'éloquence, doit être sobrement employée, de peur qu'en voulant trop instruire l'auditeur, on ne vienne à le refroidir. Mais aussi quel connaisseur impartial n'y admirera pas un mélange heureux d'élévation et de

douceur, de force et d'onction, de beaux mouvemens et de grandes idées, et en général cette élocution facile et naturelle, l'un des caractères distinctifs des siècles qui ont fait époque dans

l'histoire des lettres?

Celle où je m'arrête en ce moment présente une observation qu'il ne faut pas omettre : c'est la supériorité des Grecs sur les Latins. Ceux-ci nous offrent principalement comme écrivains et orateurs, dans ces premiers âges du christianisme, Tertullien, saint Ambroise, saint Cyprien et saint Augustin. Personne ne conteste au premier la vigueur des pensées et du raisonnement; mais personne aussi n'excuse la dureté africaine de son style, même dans ses deux ouvrages les plus célèbres, l'Apologie et les Prescriptions, dont les beautés frappantes sont mêlées d'affectation, d'obscurité et d'enflure. Saint Cyprien qui l'avait pris pour modèle, en a conservé le caractère, mais également affaibli dans les beautés et dans les défauts. Saint Ambroise a beaucoup plus de douceur et de pureté; mais il s'élève peu, et n'a pas comme eux cette foule de traits qui préparait pour la chaire tant de citations heureuses et brillantes. Saint Augustin est certainement le plus beau gé

nie de l'Église latine : il est impossible d'avoir plus d'esprit et d'imagination; mais on convient qu'il abuse de tous les deux. Son style nous rappelle Sénèque, comme celui de Grégoire, de Basile, de Chrysostôme rappelle Cicéron et Démosthènes, et c'est dire assez que les pères grecs ont la palme de l'éloquence.

A l'égard du paganisme, on trouve, vers le temps dont je parle, Libanius et Thémiste, distingués parmi les philosophes rhéteurs, mais qui avaient plus de littérature que de talent. Le plus glorieux titre du premier, c'est d'avoir eu deux disciples dont le nom éclipsa bientôt le sien, et ce sont ce même Grégoire et ce même Basile qui reçurent de leurs contemporains le nom de grand, et qui furent admirés des païens même. L'autre illustra sa plume et son caractère en se faisant, auprès de l'empereur arien, Valens, le défenseur des catholiques persécutés; et ce fut un païen qui eut la gloire de donner cette leçon de tolérance et cet exemple de courage, qui furent couronnés par le succès.

Après cet éclat passager que la religion seule rendit aux lettres, les irruptions des barbares, depuis le cinquième siècle jusqu'au dixième,

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