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OPERA PHILOSOPHICA

QUAE EXSTANT

LATINA GALLICA GERMANICA

OMNIA.

EDITA RECOGNOVIT E TEMPORUM RATIONIBUS DISPOSITA PLURIBUS INEDITIS AUXIT
INTRODUCTIONE CRITICA ATQUE INDICIBUS

INSTRUXIT.

JOANNES EDUARDUS ERDMANN

PHIL. DOCT. PROF. PUBL. ORD. IN UNIVERS. HALENS. C. VITEBERG. CONSOC.

PARS ALTERA.

BEROLINI.

SUMTIBUS G. EICHLERI.

MDCCCXXXIX.

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LX.

CONSIDÉRATIONS

SUR

LE PRINCIPE DE VIE

ET SUR LES NATURES PLASTIQUES PAR L'AUTEUR DE L'HARMONIE PRÉÉTABLIE.

1 7 0 5.

(Histoire des Ouvrages des Savans. Mai 1705.

Leibn. Opp. Ed. Dutens Tom. II. P. 1. p. 39.)

Comme la dispute qui s'est élevée sur les Natures Plastiques, et sur les Principes de Vie, a donné occasion aux personnes célèbres, qui s'y intéressent, de parler de mon systême, dont il semble qu'on demande quelque éclaircissement (voyez Biblioth. chois. Tom. 5. art. 5. pag. 301. et puis l'Histoire des Ouvrages des Savans de 1704 art. 7. pag. 393.) j'ai cru qu'il seroit à propos d'ajoûter quelque chose sur ce sujet, à ce que j'ai déjà publié en divers endroits des Journaux cités par Mr. Bayle dans son Dictionnaire, article Rorarius. J'admets effectivement les principes de vie répandus dans toute la Nature, et immortels; puis que ce sont des substances indivisibles, ou bien des unités, comme les corps sont des multitudes sujettes à périr par la dissolution de leurs parties. Ces principes de vie, ou ces ames, ont perception et appetit. Quand on me demande, si ce sont des formes substantielles, je réponds en distinguant: car si ce terme est pris, comme le prend Mr. Descartes, quand il soutient contre Mr. Regis, que l'ame raisonnable est la forme substantielle de l'homme, je répondrai qu'oui. Mais je dirai que non, si quelqu'un prend le terme comme ceux qui s'imaginent qu'il y a une forme substantielle d'un morceau de pierre, ou d'un autre corps non organique; car les principes de vie n'appartiennent qu'aux corps organiques. Il est vrai (selon mon systême) qu'il n'y a point de portion de la matière, où il n'y ait une infinité de corps organiques et animés; sous lesquels je comprends non seulement les animaux et les plantes, mais encore d'autres sortes peut-être, qui nous sont entièrement inconnuës. Mais il ne faut point dire pour cela, que chaque portion de la matière est animée; c'est comme nous ne disons pas qu'un

étang plein de poissons est un corps animé, quoique le poisson le soit.

Cependant mon sentiment sur les Principes de Vie est différent en certains points de ce qu'on en a enseigné auparavant. L'un de ces points est, que tous ont cru que ces principes de vie changent le cours du mouvement des corps, ou donnent au moins occasion à Dieu de le changer; au lieu que suivant mon systême ce cours n'est point changé du tout dans l'ordre de la nature, Dieu l'ayant préétabli comme il faut. Les Péripatéticiens ont cru que les ames avoient de l'influence sur les corps, et que selon leur volonté ou appetit elles donnoient quelque impression aux corps; et les célèbres Auteurs, qui ont donné occasion à la contestation présente par leurs Principes de Vie et leurs Natures Plastiques, ont été du même sentiment, quoiqu'ils ne soient point Péripatéticiens. On ne peut dire autant de ceux qui ont employé des Archées, ou des Principes Hylarchiques, ou d'autres principes immatériels sous les différens noms. Descartes ayant bien reconnu, qu'il y a une loi de la Nature, qui porte, que la même quantité de la force se conserve, (quoiqu'il se soit trompé dans l'application, en confondant la quantité de la force avec la quantité du mouvement) a cru qu'il ne falloit pas accorder à l'ame le pouvoir d'augmenter ou de diminuer la force des corps; mais seulement celui d'en changer la direction, en changeant le cours des esprits animaux. Et ceux d'entre les Cartésiens, qui ont mis en vogue la doctrine des causes occasionnelles, ont cru que l'ame ne pouvant point avoir de l'influence sur le corps, il falloit que Dieu changeât le cours et la direction des esprits animaux suivant les volontés de l'ame. Mais si l'on avoit su

du tems de Mr. Descartes cette nouvelle loi de la Nature, que j'ai démontrée, qui porte que non seulement la même quantité de la force totale des corps, qui ont commerce entre eux, mais encore leur direction totale, se conserve, il seroit venu apparemment à mon Systême de l'Harmonie préétablie; car il auroit reconnu, qu'il est aussi raisonnable de dire, que l'ame ne change point la quantité de la direction des corps, qu'il est raisonnable de refuser à l'ame le pouvoir de changer la quantité de leur force, l'un et l'autre étant également contraire à l'ordre des choses, et aux loix de la Nature, comme l'un et l'autre est également inexplicable. Ainsi, selon mon systême, les ames ou les principes de vie ne changent rien dans le cours ordinaire des corps, et ne donnent pas même à Dieu occasion de le faire. Les ames suivent leurs loix, qui consistent dans un certain développement des perceptions selon les biens et les maux; et les corps suivent aussi les leurs, qui consistent dans les règles du mouvement: et cependant ces deux êtres d'un genre tout-à-fait différent, se rencontrent ensemble et se répondent comme deux pendules parfaitement bien réglées sur le même pied, quoique peut-être d'une construction toute différente. Et c'est ce que j'appelle l'Harmonie préétablie, qui écarte toute nation de miracle des actions pourement naturelles, et fait aller les choses leur train réglé d'une maniére intelligible: au lieu que le systême commun a recours à des influences absolument inexplicables, et que dans celui des causes occasionnelles, Dieu par une espèce de loi générale et comme par un pacte, s'est obligé de changer à tout moment le train naturel des pensées de l'ame pour les accommoder aux impressions des corps, et de troubler le cours naturel des mouvemens du corps selon les volontés de l'ame; ce qui ne se peut expliquer, que par un miracle perpétuel; pendant que j'explique le tout intelligiblement par les natures que Dieu a établies dans les choses.

Ce systême de l'harmonie préétablie fournit une nouvelle preuve inconnuë jusqu'ici de l'existence de Dieu, puis-qu'il est bien manifeste, que l'accord de tant de substances, dont l'une n'a point d'influence sur l'autre, ne sauroit venir que d'une cause générale, dont elles dépendent toutes, et qu'elle doit avoir une puissance et une sagesse infinie pour préétablir tous ces accords. Mr. Bayle même a jugé, qu'il n'y a jamais eu d'hypothèse, qui ait donné tant de relief à la connoissance que nous avons de la sagesse divine. Ce système a encore cet avantage, de conserver dans toute sa rigueur et généralité ce grand principe de la Physique, que jamais un corps ne reçoit un changement dans son

mouvement, que par un autre corps en mouvement, qui le pousse. Corpus non moveri nisi impulsum à corpore contiguo et moto. Cette loi a été violée jusqu'ici par tous ceux qui ont admis des ames ou d'autres principes immatériels, y compris même tous les Cartésiens. Les Démocritiens, Hobbes, et quelques autres Matérialistes tout purs, qui ont rejeté toute substance immatérielle, ayant seuls conservé cette loi jusqu'ici, ont cru y avoir trouvé un sujet d'insulter les autres Philosophes, comme s'ils soutenoient ainsi un sentiment fort déraisonnable. Mais le sujet de leur triomphe n'a été qu'apparent et ad hominem; et bien loin qu'il leur puisse servir, il sert à les terrasser. Car maintenant leur illusion étant découverte, et leur avantage tourné contre eux, il semble, qu'on peut dire, que c'est la première fois que la meilleure Philosophie se montre aussi la plus convenable en tout avec la raison, ne restant rien qu'on lui puisse opposer. Ce principe général, quoiqu'il donne l'exclusion aux premiers moteurs particuliers, en faisant refuser cette qualité aux ames ou aux principes immatériels créés, nous mène d'autant plus sûrement et clairement au premier Moteur universel, de qui vient également la suite et l'accord des perceptions et des mouvemens. Ce sont comme deux règnes, l'un des causes efficientes, l'autre des finales, dont chacun suffit à part dans le détail pour rendre raison de tout, comme si l'autre n'existoit point. Mais l'un ne suffit pas sans l'autre dans le général de leur origine; car ils émanent d'une source, où la puissance qui fait les causes efficientes, et la sagesse, qui règle les finales, se trouvent réunies. Cette maxime aussi, qu'il n'y a point de mouvement, suivant les règles méchaniques, nous mène au premier Moteur encore: parce que la matière étant indifférente en elle-même à tout mouvement, ou au repos, et possédant pourtant toujours le mouvement avec toute sa force et direction, il n'y peut avoir été mis que par l'Auteur même de la matière.

Il y a encore une autre différence entre les sentimens des autres Auteurs, qui sont pour les principes de vie, et entre les miens. C'est que je crois en même tems et que ces principes de vie sont immortels, et qu'il y en a par-tout; au lieu que suivant l'opinion commune les ames des bêtes périssent, et que selon les Cartésiens il n'y a que l'homme, qui ait véritablement une ame, et même qui ait perception et appetit; opinion, qui ne sera jamais approuvée, et où l'on ne s'est jeté que parce qu'on a vu, qu'il falloit, ou accorder aux bêtes des ames immortelles, ou avouer, que l'ame de l'homme pouvoit être mortelle. Mais il falloit dire plutôt,

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que toute substance simple étant impérissable, et toute ame par conséquent étant immortelle, celle qu'on ne sauroit refuser raisonnablement aux bêtes, ne peut manquer de subsister aussi toujours, quoique d'une manière bien différente de la nôtre, puisque les bêtes autant qu'on en peut juger, manquent de cette réflexion, qui nous fait penser à nous-mêmes: si l'on ne voit point, pourquoi les hommes ont eu tant de répugance à accorder aux corps des autres créatures organiques des substances immatérielles impérissables; puisque les défenseurs des atomes ont introduit des substances matérielles, qui ne périssent point, et que l'ame de la bête n'a pas plus de réflexion qu'un atome. Car il y a bien de la distance entre le sentiment, qui est commun à ces ames, et la réflexion qui accompagne la raison, puisque nous avons mille sentimens sans y faire réflexion; et je ne trouve point que les Cartésiens aient jamais prouvé ni qu'ils puissent prouver, que toute perception est accompagnée de conscience. Il est raisonnable aussi, qu'il y ait des substances capables de perception au dessous de nous, comme il y en a au dessus; et que notre ame, bien loin d'être la dernière de toutes, se trouve dans un milieu, dont on puisse descendre et monter; autrement ce seroit un défaut d'ordre, que certains Philosophes appellent vacuum formarum. Ainsi la Raison et la Nature portent les hommes au sentiment que je viens de proposer; mais les préjugés les en ont détournés.

Ce sentiment mène à un autre, où je suis encore obligé de quitter l'opinion reçue. On demandera à ceux qui sont de la mienne, ce que feront les ames des bêtes après la mort de l'animal: et on nous imputera le dogme de Pythagore, qui croyoit la transmigration des ames, que non-seulement feu Mr. van Helmont le fils, mais encore un Auteur de certaines méditations métaphysiques publiées à Paris, a voulu resusciter. Mais il faut savoir, que j'en suis fort éloigné, parce que je crois que nonseulement l'ame, mais encore le même animal subsiste. Des personnes fort exactes aux expériences se sont déjà apperçues de notre tems, qu'on peut douter, si jamais un animal tout-à-fait nouveau est produit, et si les animaux tout en vie ne sont déjà en petit avant la conception dans les semences aussibien que les plantes. Cette doctrine étant posée, il sera raisonnable de juger, que ce qui ne commence pas de vivre, ne cesse pas de vivre non plus; et que la mort, comme la génération, n'est que la transformation du même animal, qui est tantôt augmenté, et tantôt diminué. Ce qui nous découvre encore des merveilles de l'artifice divin, où l'on n'avoit jamais pensé, c'est que les machines de la

Je

Nature, étant machines jusques dans leurs moindres parties, sont indestructibles, à cause de l'enveloppement d'une petite machine dans une plus grande à l'infini. Ainsi on se trouve obligé de soutenir en même tems et la pré-existence de l'ame comme de l'animal, et la substance de l'animal commne de l'ame. ♫♬ Je suis venu insensiblement à expliquer mon sentiment de la formation des plantes et des animaux, puisqu'il paroît par ce que je viens de dire, qu'ils ne sont jamais formés tout de nouveau. suis donc de l'avis de Mr. Cudworth (dont l'excellent ouvrage me revient extrêmement dans la plus grande partie) que les loix du Méchanisme toutes seules ne sauroient former un animal, là où il n'y a rien encore d'organisé; et je trouve, qu'il s'oppose avec raison à ce que quelques Anciens ont imaginé sur ce sujet, et même Mr. Descartes dans son homme, dont la formation lui coûte si peu, mais approche aussi très peu de l'homme véritable. Et je fortifie ce sentiment de Mr. Cudworth en donnant à considérer que la matière arrangée par une sagesse divine doit être essentiellement organisée partout; et qu'ainsi il y a machine dans les parties de la machine naturelle à l'infini, et tant d'enveloppeés les uns dans les autres, qu'on ne sauroit jamais produire un corps organique tout-à fait nouveau, et sans aucune préformation, et qu'on ne sauroit détruire entièrement non plus un animal déjà subsistant. Ainsi je n'ai pas besoin de recourir avec Mr. Cudworth à certaines Natures Plastiques immatérielles, quoique je me souvienne, que Jules Scaliger et autres Péripatéticiens, et aussi quelques sectateurs de la doctrine Helmontienne des Archées, ont cru, que l'ame se fabrique son corps. J'en puis dire, Non mi bisogna, e non mi basta, par cette raison même de la préformation et d'un organisme à l'infini, qui me fournit des Natures Plastiques matérielles propres à ce qu'on demande; au lieu que les Principes Plastiques immatériels sont aussi peu nécessaires, qu'ils sont peu capables d'y satisfaire. Car les animaux n'étant jamais formés naturellement d'une masse non organique, le méchanisme incapable de produire de nouveau ces organes infiniment variés, les peut fort bien tirer par un développement et par une transformation d'un corps organique préexistant. Cependant, ceux qui emploient des Natures Plastiques, soit matérielles, soit immatérielles, n'affoiblissent nullement la preuve de l'existence de Dieu tirée des merveilles de la Nature, qui paroissent particulièrement dans la structure des animaux, supposé que ces défenseurs des Natures Plastiques immatérielles y ajoutent une direction particulière de Dieu; et supposé que ceux qui se serviront d'une

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