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les

hommes véritablement dévoués à la liberté ; à côté de Maurice se plaçaient tous ces enthousiastes de la gloire militaire, à qui il importait simplement que le joug espagnol ne fût point rétabli, Le premier avait facilement démêlé les vues ambitieuses du général, et il y opposait dans toutes les occasions, les talens d'un homme consommé et les vertus d'un caractère antique. Les négociations s'étant ouvertes, vues contraires de ces deux illustres personnages se manifestèrent d'une manière plus marquée encore. Barneveld croyait avec raison qu'il ne manquait plus à la république que quelques années de paix pour fonder son existence sur des bases inébranlables; et Maurice se croyait sûr de déterminer la Hollande, avec quelques victoires de plus, à changer en sceptre son bâton de stathouder. Cette division ralentit, comme on le pense bien, la marche des négociations (1); mais enfin l'habileté du ministre que Henri IV avait fait accepter comme médiateur (le président Jeannin), triompha de tous les obstacles, et la trève de douze ans fut signée le 9 avril. La France porta, par cette mémorable transaction, le dernier coup à l'influence politique de l'Espagne en Europe, et ce fut son tour d'obtenir dans les affaires de ce continent une juste prépondérance.

En paix alors avec toute l'Europe, la nouvelle république marcha à grands pas dans la brillante carrière qu'elle s'était ouverte, La fameuse compagnie des Indes orientales avait pris naissance en 1602, et déjà elle avait fait refluer sur les provinces d'incalculables richesses. Chaque année fut alors marquée par un nouveau succès au-delà de la ligne; elle remplaça successivement partout les Portugais, anciens dominateurs des mers équatoriales; et l'accroissement rapide de sa marine lui fit entrevoir, dans un avenir plus éloigné, le rang qu'elle était appelée à occuper entre les peuples de l'Europe.

(1) Mémoires et négociations du président Jeannin, 3 vol. in-8o.

La guerré recommença à l'expiration de la trève de 1621, peu d'années après la sanglante catastrophe de cette que relle religieuse et politique des Arminiens et des Gomaristes, où Maurice trouva l'occasion de frapper Barneveld, et de se venger ainsi de l'opposition constante que ses projets avaient rencontrée dans ce grand homme; action infâme, qui doit souiller éternellement la mémoire de ce stathouder !

Maurice mourut en 1625. Frédéric-Henri, son frère} fut, immédiatement après sa mort, revêtu par les hautes puissances des charges de capitaine et d'amiral-général. Les états de Hollande le nommèrent stathouder peu de jours après. Les autres provinces adhérèrent successivement à cette élection, à l'exception de Gròningue et l'Ommeland, qui décernèrent ce titre à un autre prince de cette maison. Frédéric-Henri soutint la guerre avec courage et succès. Son administration fut juste et habile, et c'est de tous les stathouders celui qu'on regarde comme le plus pur de toutes atteintes contre les libertés de la république. Ce prince expira un peu avant la conclusion des traités de Westphalie. Son fils, Guillaume II, lui succéda, et vécut assez . pour prouver qu'il ne voulait pas marcher sur les traces de Frédéric-Henri. Il mourut deux ans après la conclusion du traité de Munster, 1648, par lequel l'Espagne reconnut définitivement les Provinces-Unies comme une puissance indépendante, et lui sacrifia l'existence commerciale des provinces belgiques en fermant l'Escaut; ce traité fut ainsi le complément de la grande trève conclue près de quarante années auparavant.

CHAPITRE II ET DERNIER.

Jusqu'à la création du royaume des Pays-Bas.

L'ESPRIT qui avait dirigé Elisabeth dans ses rapports avec les Provinces Unies lui survécut. La politique anglaise fut, après elle, comme sous son règne, d'aider la république pour s'en faire un rempart contre la puissance prépondérante sur le continent, mais en cherchant, par des voies détournées, à comprimer le développement prodigieux de ses relations commerciales. Tel fut, comme nous allons le voir, le principe de la conduite de l'Angleterre à l'égard de la Hollande, jusqu'à l'époque même à laquelle nous touchons (16599

La tombe de Guillaume II fut le berceau de Guillaume III. Il naquit huit jours après la mort de son père ; et cet en fant, que le ciel appelait à porter une couronne étrangère, se vit menacé de perdre, par une révolution, les dignités même que ses ancêtres avaient rendues, en quelque sorte, héréditaires dans leur maison.

vit

*

Les stathouders précédens avaient trop clairement manifesté leurs projets ambitieux, pour que la république ne pas cette dignité avec ombrage. On saisit l'occasion qu'offrait la minorité de Guillaume III pour en suspendre d'abord l'exercice, et, plus tard, la province de Hollande non-seulement éteignit le stathoudérat, mais encore s'engagea à tout tenter pour que les autres provinces en fissent autant, ou du moins décidassent qu'on ne déférerait jamais les charges de capitaine et d'amiral-général à quiconque serait stathouder d'une ou de plusieurs provinces. L'administration devint alors toute républicaine; et pour mieux en assurer la perpétuité, il fut statué que l'élection des ma gistratures et la collation des charges resteraient irrévocablement aux villes. L'acte par lequel fut opérée cette révolution porta le titre d'édit perpétuel; il est de 1667. Son auteur

principal fut Jean de Witt, grand pensionnaire de Hollande.

L'influence étrangère s'était réunie au zèle patriotique pour abolir le stathoudérat. Cromwell, par haine contre la maison d'Orange, alliée à celle des Stuart, avait fait insérer dans la paix de Westminster, en 1654, un article secret, par lequel les états de Hollande et de Westfrise s'engageaient à ne jamais élire le jeune prince, fils de Guillaume[[ et d'une princesse anglaise. Il avait aussi précédemment proposé l'union des deux républiques en un seul état, dont les deux parties principales conserveraient leurs formes res pectives de gouvernement, et il y eut des conférences à la Haye à ce sujet; mais la proposition du protecteur fut repoussée avec une vivacité qui trahissait le véritable esprit régnant dans les Provinces-Unies à l'égard d'Albion. Il y a deux remarques à faire ici : la première, c'est cette union des maisons de Hollande et d'Angleterre, de tout temps suspecte au parti conservateur des principes et des vertus patriotiques de Barneveld; la seconde, c'est cette fixité de vues politiques dans les conseils de la Grande-Bretagne envers ou plutôt contre la Hollande, qui fit agir exactement de protecteur comme eût agi le monarque qu'il avait détrôné.

Cependant la république devenait chaque jour plus florissante par l'heureuse influence de l'illustre Jean de Witt; son administration intérieure était améliorée; son empire commercial s'étendait, C'est l'époque où Ruyter brûlait les vaisseaux anglais à Chattam, et portait l'épouvante jusque dans la rade de Londres,

Les intrigues de la cour d'Angleterre et les victoires de Louis XIV changèrent la face des affaires. Charles II devait, par la nature même des choses, tendre à rétablir le stathoudérat que Cromwell avait voulu renverser, Le parti de la maison d'Orange se réveilla donc par les instigations des agens de ce prince, et de nouveaux orages furent annoncés. Louis XIV, d'une autre part, brûlait de punir ces

fiers marchands, qui avaient récemment fait reculer ses armes par la triple alliance. Il parvint à rompre les liaisons du faible Stuart avec la république ; et passant le Rhin en 1672, il entra en Hollande. Ses conquêtes furent rapides. Les provinces de Gueldres, d'Utrecht et d'Over-Yssel furent soumises en quelques semaines. Les Français pénétrèrent jusqu'à Muyden, à quatre lieues d'Amsterdam. Le découragement était général. Quelques-uns proposaient de transporter le siége du gouvernement dans les Indes orientales, La république semblait perdue.

Dans ces fatales circonstances, le parti du stathoudérat prit une nouvelle énergie. On s'écria de toutes parts qu'un stathouder pouvait seul, comme au temps de Guillaume Io; sauver la patrie. Le peuple, qui n'entendait jamais ce nom du libérateur des Provinces-Unies sans un sentiment d'exaltation, répondit à ce cri en massacrant les deux frères de Witt, et en proclamant l'héritier de cette race illustre (1). Ainsi furent payés vingt ans de glorieux services; ainsi fut rétabli le stathoudérat !

Guillaume avait alors vingt-deux ans. Comme pour le récompenser, d'avance de tout ce qu'il allait faire l'enthousiasme du peuple voulait que le státhoudérat et les charges de capitaine et d'amiral-général fussent déclarés héréditaires dans sa famille; une province, celle de Gueldres, alla plus loin l'année d'après, car elle lui offrit le titre de duc souverain. Son cœur l'eut accepté, mais sa politique le refusa, et toutes les autres provinces qu'avait confondues cette offre inconsidérée retentirent de ses louanges.

Le génie du nouveau stathouder, aidé par les fautes de la France, sauva la république. Ses mesures énergiques opposèrent d'abord quelque résistance aux armes françaises, et bientôt après d'habiles négociations formèrent une ligue qui obligea Louis XIV à évacuer la Hollande. La guerre

(1) Basnage, t. 11.

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