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Bourgogne auraient nommément consenti, les provinces demeureraient exemptes de toutes obligations envers l'Empire, ainsi que de toutes jurisdictions impériales. » Tels sont les points sur lesquels nous devions nous arrêter; (1) reprenons la suite des événemens.

L'humeur turbulente des Belges avait marqué de quelques troubles le règne brillant de Charles V; mais ils furent passagers, et n'altérèrent que partiellement les prospérités commerciales et industrielles de ces provinces. Toutefois un orage se formait. Les nouvelles doctrines religieuses agitaient les esprits, et malgré les soins du gouvernement de l'empereur, elles faisaient des progrès, surtout dans les parties septentrionales. Telle était la situation du pays à l'époque où Charles, las de gloire et de pouvoir, quitta la pourpre

et endossa le froc.

Le règne de celui qu'on devait surnommer le démon du midi s'ouvrit sous de brillans auspices. Les Belges attachés à son sang se montraient disposés à le servir avec enthousiasme. C'était par leur belle gendarmerie, si renommée sous Charles V, qu'il triomphait à Saint-Quentin et à Gravelines; et leur célèbre et malheureux comte d'Egmont avait dans son armée la plus grande part à ces victoires. Cependant, on devait prévoir dès-lors que la guerre étrangère pouvait seule maintenir des dispositions amicales entre un prince comme Philippe, dont le naturel paraissait porté vers le plus sombre despotisme, et un peuple comme les Belges, dont l'esprit de liberté fondait surtout le caractère national.

A peine la paix de Cateau-Cambresis fut-elle signée, que Philippe se hâta de retourner dans son Espagne, où l'action de son gouvernement pouvait mieux répondre aux inspirations de son farouche et sanglant génie. Il laissa, pour gouverner les Pays-Bas, Marguerite d'Autriche, fille naturelle de Charles V,

(1) Histoire de l'Empire, etc..

et lui donna pour conseil le fameux évêque d'Arras, cardinal de Granvelle. Il ne crut plus alors devoir garder de mesures; ses ordres formels furent de détruire l'hérésie avec le fer et la flamme. Les édits barbares que Charles-Quint semblait avoir abandonnés dans ses dernières années furent remis en vigueur; enfin un conseil de sang ( c'est le nom qu'on lui donna à cette époque), un tribunal d'inquisition, vint siéger dans ces belles contrées pour en faire une arène de carnage, et y assurer le triomphe de l'hérésie.

Par tout ce qu'on a dit précédemment, on doit comprendre quelle impression produisirent ces mesures. L'agitation fit en peu de temps de rapides progrès. De fortes représentations parvinrent au pied du trône. Le roi parut y céder d'abord en éloignant le cardinal, mais ce fut pour combler bientôt après la mesure, en y envoyant ce farouche duc d'Albe, dont la mémoire doit être éternellement en horreur à tous les amis de l'humanité. La gouvernante Marguerite demanda son rappel, et l'obtint. Les provinces se trouvèrent alors entièrement livrées au glaive du misérable Espagnol. Il n'y eut plus de lois que ses caprices. Toutes les antiques libertés furent outragées, toutes les jurisdictions mécon nues; des échafauds furent dressés partout, et des satellites transformés en juges, envoyèrent chaque jour des victimes à la mort.

Cependant l'aurore d'un temps plus heureux luisait déjà. Un homme, doué d'une âme forte et d'un esprit ardent, dévorait en silence les outrages et les calamités qu'on prodiguait à sa patrie. Il observait les progrès du mécontentement public, et méditait une lutte qui devait renverser la tyrannie. C'était le célèbre Guillaume de Nassau, prince d'Orange. Deux seigneurs, le comte d'Egmont, dont nous avons parlé, et le comte de Horn, issu d'une des plus illustres familles des Pays-Bas, secondaient ses généreuses résolutions: toutes les espérances étaient tournées vers ces trois grands citoyens, et c'était le point où se concentraient les

dispositions hostiles et violentes que le gouvernement accu mulait contre lui.

Quelques associations partielles s'étaient formées dans les provinces. Une réunion de quatre cents gentilshommes ose, en 1566, venir porter une requête à la gouvernante. Là, cette princesse ayant témoigné quelque crainte en voyant le chef de cette troupe aussi bien accompagné : Ne craignez rien, madame, répond un courtisan, CE SONT DES GUEUX! Ce mot retentit aussitôt dans toutes les provinces, et il aide à réunir des élémens épars. Les gueux forment alors une vaste confédération, qui n'attend plus que le moment de prendre les armes. La noblesse prend avec enthousiasme les emblêmès de la gueuserie. Elle porte un vêtement gris, et l'humble besace du mendiant; on voit au cou des plus har1 dis une médaille sur laquelle est l'effigie du roi, et de l'autre deux mains jointes, avec ces mots : Fideles jusqu'à la besace. Les écussons et les valets sont décorés des mêmes signes. Enfin tous les chants des assemblées évangéliques se terminent toujours par ces cris mille fois répétés ; VIVENT LES GUEUX (1)!

Le duc d'Albe crut abattre les esprits en redoublant de fureur. Les comtes d'Egmont et de Horn furent traînés à l'échafaud, comme pour apprendre aux peuples jusqu'où pouvait aller le confident de Philippe II: ses agens remplis du cruel délire qui l'agitait, se signalèrent par les plus déplorables excès; et pour célébrer de sanglans triomphes, ils érigèrent une statue au scélérat pour qui l'on eût dû créer de nouveaux supplices.

Des taxes ruineuses qu'il voulut établir amenèrent la fin de sa tyrannie. C'était dépasser toutes les bornes; aussi le soulèvement fut-il général. On courut aux armes de toutes parts; les ecclésiastiques mêmes déclarèrent qu'on devait résister à l'oppression. Il fut rappelé en Espagne. Les habitans

(1) Introduction à la révolution des Pays-Bas, 1784.

de ces contrées s'imposèrent à eux-mêmes dans la suite des sacrifices bien plus considérables que ceux qu'on exigeait alors d'eux; mais ils aimaient mieux, dit Grotius à ce sujet, donner tout de leur plein gré que payer un dixième contre leurs priviléges (1). Cette réflexion s'applique à tous les temps comme à tous les peuples: il y a là une vérité générale qui est la base de la société politique, et que le pouvoir devrait méditer sans cesse.

Mais le sanguinaire Espagnol était rappelé trop tard. Ses excès portaient déjà leurs fruits. La guerre civile avait éclaté partout, et dans les parties septentrionales la révolte avait déjà un caractère qui annonçait de grands événemens. Le prince d'Orange s'y était rendu, et, à la tête de ces hardis wassergueusen (gueux de mer), il avait enlevé le port de Brille l'année précédente. Ce succès avait produit une révolution dans la Zélande. Enfin les états de cette province, ainsi que ceux de la Hollande et d'Utrecht, s'étaient réunis à Dordrecht, et avaient reconnu le prince d'Orange pour stathouder au nom du roi. Ils déclaraient par leur acte d'union, que les provinces ne pourraient traiter que conjointement, et reconnaissaient solennellement le calvinisme. Une scission existait donc par le fait. Mais ces peuples, fidèles et loyaux, voulaient être absolument forcés à rompre le joug de la soumission.

La réaction produite dans toutes les provinces par suite des succès de Guillaume et de la retraite du duc d'Albe, eut pour résultat la pacification de Gand: cet acte fameux était une union entre toutes les provinces. Il y était déclaré que les troupes espagnoles sortiraient du territoire des PaysBas; qu'immédiatement après leur sortie, il serait formé une assemblée des états-généraux pour rétablir l'ordre dans les affaires publiques; que les sujets de toutes les provinces seraient tenus de respecter la religion catholique; que les

(1) Annales. de rebus Belgicis.

ordonnances criminelles du duc d'Albe seraient suspendues; les biens par lui confisqués rendus, et les statues élevées en son honneur, détruites. La cour de Madrid dut donner son consentement à cet acte si grave, pour voir reconnaître par les états les gouverneurs qu'elle envoyait. Le règne des Espagnols dans les Pays-Bas paraissait alors sur le point d'être renversé; leurs troupes ne tenaient plus que dans quelques provinces, et la guerre civile, que les accommodemens des assemblées et des conseils ne terminaient pas, était tout à l'avantage des confédérés. Le prince de Parme, envoyé comme gouverneur en 1578, changea la face des choses. Son épée reconquit plusieurs provinces, et son génie sut habilement profiter des divisions qui se manifestaient parmi les confédérés. Guillaume désespérant alors de maintenir l'union générale, conçut l'idée d'une confédération particulière de certaines provinces plus propres, par leur position, à résister à l'Espagne. C'étaient les sept provinces du Nord, unies par les mêmes intérêts maritimes comme aussi par les principes de la foi commune qu'elles avaient adoptée. L'acte d'union fut conclu à Utrecht le 23 janvier 1579. Il fonda la république de Hollande (1).

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Ce premier et grand démembrement du cercle de Bourgogne doit terminer notre première partie. Nous allons dans la seconde poursuivre l'histoire des dix provinces qui vont maintenant composer la souveraineté des Pays-Bas.

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Nous n'avons qu'un petit nombre de remarques à faire dans le cours des deux siècles qui remplissent l'intervalle entre

(1) Wiqueford, preuves, etc.

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