Page images
PDF
EPUB

Quoi qu'il en soit, cette union durait depuis peu de temps, et le roi parut affecter de négliger entièrement sa jeune épouse, pour se livrer aux plus dégoûtantes débauches, Ce mépris marqué devait nécessairement aigrir le cœur de la reine, et la disposer à recevoir des impressions peu favorables à son époux. Un courtisan, peu connu jusqu'alors, un homme d'une naissance obscure, Struensée, eut l'art de profiter des circonstances, et de se conduire de manière à élever sa fortune au milieu des dissensions de la cour; il forma, avec quelques autres personnages obscurs, un parti à la jeune reine, qu'il opposa à la reine - mère et au ministère pour lors la guerre fut ouvertement déclarée : ce parti semble grossir malgré les obstacles qu'il a à surmonter; il prend chaque jour de nouvelles forces, toutes les places sont peu-à-peu données à ses adhérens, le ministère laisse enfin passer en d'autres mains son crédit, et se voit obligé de plier devant un ennemi qu'il n'avait pas même daigné craindre.

Maîtresse des postes importans, la faction dont Struensée peut être regardé comme l'âme, s'empare de la personne du roi; on l'entoure, on l'isole, on le garde à vue; elle avait fait un pas immense vers l'autorité suprême, elle va faire le dernier, le plus important de tous. On obtint que le roi ne travaillerait plus avec ses ministres, il leur fut ordonné d'apporter les portefeuilles, de les laisser jusqu'à ce que le roi les leur rendît, avec sa décision écrite sur chaque objet. Par-là, les ministres devinrent de simples commis, et toute l'autorité fut entre les mains de la reine et de Struensée. Dès-lors, la révolution était faite aussi, tout ce qui tenait à l'ancien ministère fut définitivement écarté, et l'influence ministérielle détruite. Bientôt toute la magistrature de Copenhague fut renouvellée, le collége des Trente-deux, le plus cher privilége de la bourgeoisie, fut supprimé, au grand scandale du peuple, dit l'abbé Roman, qu'on aliéna tout entier par ce coup d'autorité. La réforme fut introduite dans

le système économique comme dans le système politique; partout, des réductions sont introduites, des impôts abolis, des corvées diminuées; par-là, les nouveaux maîtres semblaient fixer leur pouvoir sur une base stable.

Struensée, dont la fortune et les opérations étonnaient l'Europe, marchait chaque jour à une nouvelle puissance; bientôt il est fait ministre privé du cabinet, et il est enjoint à tous les colléges d'obéir à tous les ordres revêtus de sa seule signature. Il régnait sur le Danemarck et sur le cœur d'une reine jeune et belle; il tenait en ses mains le sort de l'état, il jouissait avec éclat de sa fortune, de son crédit et d'une autorité sans bornes ; mais ce bonheur ne dura qu'un jour; le dernier terme du pouvoir fut le signal de sa perte. It fallait jouir sans bruit de sa nouvelle fortune. Pourquoi vouloir en effet se passer de la signature du monarque, dont il était le maître? Ne devait-il pas prévoir que cette démarche irriterait l'envie contre lui, sans rien ajouter à son autorité ?

Une autre mesure, qu'il faut à regret regarder comme une faute dans les circonstances où se trouvait le ministre détermina sa ruine; il accorda une liberté entière de la presse, sans songer qu'où le despostime règne, tout doit se régler despotiquement. Il n'y a point là en effet de mezzo termine; il ne faut pas placer au milieu d'un mécanisme dont toutes les parties concordent et forment une harmonie parfaite, un ressort étranger; il arrête l'action de tous les au

tres.

Le premier usage qu'on fit de cette liberté, qu'un peuple, plus digne d'en jouir eût regardée comme la faveur la plus signalée, fut de s'en servir contre son auteur : la presse produisit un déluge de libelles, où le mépris était versé à pleines mains sur son administration. L'impulsion était donnée, on ne pouvait en arrêter l'effet;, ses ennemis devinrent bientôt plus audacieux, ses amis se réfroidirent, le peuple se fa

miliarisa avec l'audace, lui-même mollit et manqua de fermeté; il courut par degrés à sa perte, car dès qu'on jugea qu'il craignait, et malheureusement on put en avoir des preuves dans plusieurs circonstances: dès-lors, on ne craignit plus. Il veut faire des réformes, toutes ses opérations sont traversées, enfin le soin de sa conservation le force à employer des moyens souvent contraires à ses desseins, contraires quelquefois à l'intérêt public.

Cependant le roi fut observé de plus près, car le ministre n'ignorait pas quelle force eût donné à ses ennemis, la présence du roi dans leurs rangs; également incapable de commander et d'agir, son nom en eût toutefois grandement imposé à la multitude.

Mais toutes mesures étaient inutiles, dès l'instant que les seules efficaces n'étaient pas employées. Plusieurs révoltes éclatent parmi les troupes de terre et de mer, on récompense, alors qu'il fallait punir; tandis que, d'un autre côté, en doublant la garde du château et de l'arsenal, en braquant des canons, en distribuant des cartouches; on exaspère le ressentiment du peuple indigné de ces précautions; la cour tombe chaque jour dans l'opinion, elle n'offre plus que pusillanimité; le peuple éclate en murmures, il ne cache plus sa haine, il affiche le mépris.

veņu,

Le parti de la reine mère qui avait été long-temps comprimé, crut le moment favorable pour se montrer et reprit une nouvelle vigueur, à mesure que l'autorité s'échappait des mains de sa rivale; tout était arrêté depuis plusieurs jours; elle rassembla quelques amis dévoués, avec lesquels il fut conla nuit du 16 au 17 janvier, de s'assurer de la jeune reine et de son favori; on s'introduit en conséquence, dans la chambre du roi, et on arrache au faible monarque, l'ordre d'arrêter l'un et l'autre, ainsi que le comte Brandt, homme dévoué aux volontés du ministre et quelques autres personnages moins importans. Tout fut exécuté sur le champ. Le lendemain, le roi et la reine mère se montrèrent au peuple sur

les balcons du château, d'où ils purent jouir des applaudissemens de la foule encore étonnée; à midi le monarque et son frère, parcoururent les rues, le peuple voulut traîner leur voiture; le soir mêmes acclamations à la comédie et illumination générale, effet d'un mouvement spontané ; comme s'il se fût agi de tout autre chose, que de voir passer les rènes du gouvernement absolu, de la main d'un maître dans celle d'un autre. Ce n'était plus la jeune reine qui dictait ses volontés au Danemarck, le peuple passait sous l'autorité de la reine douairière; car le roi conserva toujours le même rôle, avec le même caractère; c'est ainsi que le peuple se livrait à des réjouissances publiques, pendant qu'une commission extraordinaire condamnait à mort les malheureux Struensée et Brand sans daigner même alléguer de justes motifs de condamnation (1); et montrait par cette conduite qu'un peuple qui a pu faire abnégation de sa liberté, ne mérite plus que des chaînes et du mépris.

S VII.

Depuis la révolution de 1772 jusqu'à nos jours.

Dans ces derniers temps, l'existence du Danemarck est, pour ainsi dire, oubliée, au milieu des grands intérêts qui bouleversent l'Eupope; on le voit cependant figurer dans cette confédération fameuse des puissances du nord connue sous le nom de neutralité armée, puis prendre parti pour la Russie dans une guerre contre la Suède, dont l'issue fut pour le Danemarck une neutralité parfaite reconnue par le traité de 1789; plus tard, en 1807, il fut attaqué par les Anglais qui forment le siège de Copenhague, et ne se retirent qu'à la suite d'une capitulation; en 1808 il prit les armes

(1) Voy. les griefs allégués dans les deux jugemens, et surtout dans celui de Brand; ils sont rapportés l'un et l'autre dans les Mémoires de l'abbé Roman.

contre la Suède et conclut avec elle, le 10 décembre de de l'année suivante, le traité de Jenkeping.

A l'intérieur, point d'événemens remarquables, la loi royale est toujours la seule loi fondamentale, de l'état, et trois actes seuls méritent d'être cités ici, l'abolition du servage déclaré, par édit du mois de janvier 1795 en faveur de tous les paysans Danois, de Norwége et du Jutland, et étendue plus tard aux deux duchés de Sleswic, et de Holstein (1) une déclaration du roi de Danemarck, sur la réunion à son royaume (2), du Holstein, et une ordonnance sur la liberté de la presse; tels sont en résumé les principaux traits que présente l'histoire de Danemarck jusqu'en 1813.

A cette époque eut lieu un événement important, la cession faite à la Suède, du royaume de Norvége: voici dans quelles circonstances.

Lors de l'accession de la Suède à la coalition formée contre la France, la Russie lui assura diverses indemnités, et particulièrement la possession de la Norvége; on a dit pour justifier cet acte, et ce don d'une chose sur laquelle la Russie n'avait aucun droit, que le Danemarck, par son alliance avec Napoléon était devenu un ennemi commun, et que les puissances alliées pouvaient bien régler entre elles le sort futur d'une conquête éventuelle; (3) on examinera en traitant de la Norvége, si l'asservissement d'un peuple peut ainsi devenir le châtiment d'une faute qui lui serait étrangère, en supposant bien prouvé que ce fût toujours uue faute de n'être pas de l'avis du plus fort.

Quoiqu'il en soit, la Suède se diposa à soutenir par les armes son droit sur la Norwége, et après quelques résistances de la part du Danemarck, il fut enfin forcé de

(1) Par acte du 19 décembre 1804.

(2) 9 septembre 1816.

(3) Voy. Mémoires pour servir à l'histoire de Charles XIV; Jean, par MM. Coupé St-Donat et B. de Roquefort.

[ocr errors]
« PreviousContinue »