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'pense qu'un mot, un seul mot, pouvait peut-être déconcer ter tous les projets, car, nous dit le même Molesworth dont nous empruntons de préférence les paroles, parce qu'il était plus à portée que personne de donner des renseignemens exacts sur cette révolution (1). « J'ai oui dire à des personnes fort éclairées, et qui étaient alors près du roi, que si les nobles avaient eu tant soit peu de courage à défendre leurs priviléges, le roi n'aurait pas poussé sa pointe si loin, que de souhaiter un pouvoir arbitraire; car il était dans des doutes continuels touchant l'événement, et commençait à chanceler dans ses résolutions. »

Mais toutes réflexions sont ici inutiles: la révolution est faite; quelques instans ont suffi pour l'effectuer; et il n'a fallu que peu de jours pour en faire sentir les résultats. On peut en juger par ce fait, que les terres, dans la plus grande partie du royaume, valaient, au bout de quelques années, les trois quarts moins qu'elles ne valaient autrefois, tant elles avaient été surchargées de taxes arbitraires. Les assemblées des étatsgénéraux cessèrent; tout tomba dans la servitude. Le clergé seul, qui, selon l'expression de notre auteur « ne fait jamais des marchés qui ne lui soient avantageux, y gagna de la considération, et les principaux auteurs de la révolution, de fortes pensions qu'ils reçurent très-bien, malgré le manque total d'argent qui leur avait fait lever l'étendard de la révolte; les nobles n'eurent que la honte d'avoir cédé, et le peuple, celle d'avoir forgé ses fers, et comblé sa misère.

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C'est à la suite de cette révolution que fut publiée cette fameuse loi royale, encore regardée aujourd'hui comme la seule loi fondamentale du royaume. Par cette loi, le roi est déclaré souverain absolu, supérieur à toutes les lois hu maines, réunissant en lui tous les pouvoirs et tous les droits

(1) Je ne dirai rien, dit-il, que je n'aie appris de gens qui en ont été des témoins occulaires et que je ne tienne de personnes qui y ont eu la principale part, et qui y ont fait un personnage considérable, cbap. 6.

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de la souveraineté ; à lui seul appartient par conséquent le privilége d'expliquer la loi, d'y faire même les changemens qu'il juge à propos. Toutefois il doit respecter la loi royale, de même que la confession d'Augsbourg reconnue comme religion de l'état; le royaume est indivisible, et le prince ne peut changer l'ordre de succession établi par cette loi; cette successión est linéale par ordre de primogéniture; la représentation a lieu; les femmes n'y sont admises qu'au défaut de toute descendance mâle de Frédéric III; la majorité est fixée à treize ans accomplis ; il appartient au roi régnant de régler par testament la tutelle et la régence pendant la minorité.

Un auteur danois d'origine, et dont l'opinion semble acquérir par celà même un plus grand poids (1), a prétendu qu'aucune nation n'avait elle-même donné à ses souverains le pouvoir arbitraire. Le Danemarck, qu'on cite pour exemple, dit-il, n'investit ses rois en 1660, que du pouvoir souverain, en les chargeant exprès de maintenir chaque ordre dans ses droits légitimes; le roi promit, ajoute-t-il, par un acte formel, de suivre la religion de l'état, de ne jamais démembrer le royaume et d'administrer d'après les lois.

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Il faut être, ou bien prévenu, ou n'avoir lu ni les actes du temps, ni les auteurs contemporains; il faut enfin vouloir résister à l'évidence, pour soutenir une pareille opinion. Ne rendit - on pas au roi sa capitulation, ne le dégagea-t-on pas de son serment? tous les ordres de l'état ne reconnurent-ils pas son autorité absolue; ne lui conféra - t on pas le droit de constituer l'état selon son bon plaisir ? qu'est-ce donc que donner le pouvoir arbitraire? le roi porta la loi fondamentale de l'état qui semble lui imposer quelques obligations: dira-t-on pour cela qu'il n'est

(1) M. Maltebrun, Tableau de l'Europe en 1821.

pas absolu? ce serait sa faute. Mais le sultan suit aussi la religion de l'état, et le sultan se gardera bien aussi de démembrer son empire, car il y perdrait plus que personne. Pour l'engagement de gouverner selon les lois; que devient-il, quand on peut changer ces lois, selon son bon plaisr? le caprice alors est la loi. Pour nous qu'aucune prévention ne peut influencer ici, reconnaissons avec tous les historiens du Danemarck, qué jusqu'à cette époque, les Danois avaient eu une constitution extrêmement libre; qu'ils avaient joui pleinement de tous les droits que leur garantissait cette constitution, et qu'alors seulement, la nation alla d'elle-même se jeter sous le joug, se livrer sans ressource, à la discrétion d'un maître absolu. Si les rois de Danemarck ont rarement abusé de leur puissance; ce n'est pas la faute de la nation, elle leur avait assez prouvé, qu'on pouvait tenter tout impunément.

SV.

Depuis la révolution de 1660 jusqu'à celle de 1772.

On pourrait regarder l'histoire politique du Danemarck comme terminée; son gouvernement est établi sur les bases qu'il devait conserver sans altération jusqu'à nos jours; aucun événement remarquable, ne vient en troubler l'application. Peu de pages nous conduiront donc jusqu'à la fin de son histoire; et d'abord nous nous plairons à reconnaître, qu'il résulta quelque bien de la nouvelle révolution, que la forme donnée au gouvernement, jointe à l'administration sage et mesurée des successeurs de Frédéric, placa le Danemarck dans une situation respectée de ses voisins; on s'aperçut surtout de cet effet, dans la guerre avec la Suède, terminée par la paix de Lunden, en 1679, qui rétablit entre les deux nations, les choses sur le pied où elles étaient avant la dernière guerre, et surtout lors des

traités de paix de Stockholm et de Friedrichbourg (1); amenés pár l'échec que reçut Charles XII devant Pultawa. (Voy. Suède). Par ces traités, le Danemarck vit s'éteindre la franchise du Sund, établie au profit de la Suède, et s'assura la possession et la souveraineté de la totalité du duché de Slesvic.

A l'intérieur, le Danemarck offrait aussi une amélioration sensible, due en partie à l'administration éclairée de Christiern VI (1730). Ce prince fit refleurir le commerce, apporta plusieurs améliorations dans le gouvernement, établit des manufactures dans le pays, ne négligea rien enfin de ce qui pouvait assurer le bonheur de ses sujets. Son fils Frédéric V, en montant sur le trône, suivit constamment les maximes de son père, qui étaient, de favoriser le commerce et d'encourager l'industrie; aussi il est difficile d'exprimer combien cette conduite sage des deux derniers rois, avait influé sur le sort du Danemarck, et changé en peu de temps la face des affaires. Pourquoi fallait-il que ces règnes si doux et si paisibles, fussent suivis d'un règne marqué par tant d'orages!

Cependant la Russie tenait le premier rang dans le nord: la Suède et la Pologne, ses anciennes rivales, se courbaient sous ses volontés; le czar Pierre III, qui occupait alors le trône, était chef de cette maison de Holstein-Gottorp, à laquelle le Danemarck avait enlevé le duché de Slesvic. A peine parvenu à l'empire, en 1762, il avait songé à forcer cette puissance à lui restituer l'ancien domaine de sa maison; des armées avaient été levées de part et d'autre, la guerre allait éclater dans le nord, lorsque le czar descendit du trône, après un règne de six mois. Catherine II qui lui succéda, jugeant plus convenable de ramener la bonne intelligence entre les deux branches principales de la maison de Holstein, conclut, avec le roi de Danemarck, un traité par

(1) Conclus. en 1720,

lequel elle renonçait, au nom de son fils, à la portion ducale du Sleswic, occupée par le roi de Danemarck, et se désistait de la portion du Holstein possédée par la branche de Gottorp, en échange des comtés d'Oldenbourg et de Delmenhorst, qui passèrent à la branche cadette de Gottorp. Ce sont ces comtés qui formèrent, en 1774, le duché de Holstein-Oldenbourg. Ce traité provisoire fut ratifié à la majorité du grand-duc, et la traditition des pays échangés effectuée en 1773.

S VI.

Révolution de 1772.

La révolution opérée en 1772 à Copenhague, est loin d'avoir eu la même importance que celle de 1660; celle-ci ne fit, pour ainsi dire, que transporter les rênes du gouvernement des mains de la reine régnante dans celles de la reine douairière, sans toucher en rien à la constitution du royaume. On ne retrouve de commun dans ces deux événemens remarquables, que ce flegme et ce sang-froid avec lequel ils furent conduits l'un et l'autre, et qui semblent devoir garantir plus souvent les peuples du nord des excès qui signalent trop souvent ailleurs les temps de révolution. Nous emprunterons ici la plupart des faits des Mémoires de l'abbé Roman, témoin oculaire des événemens qu'il raconte.

Le fils aîné et le successeur de Frédéric V, Christien VII, n'avait que dix-sept ans lorsqu'il prit en main les rênes de l'état ; la même année, il épousa une princesse d'Angleterre, sœur de Georges III, malgré les oppositions de la reine douairière, seconde femme de Frédéric V, qui, si nous en croyons l'auteur de l'Histoire des gouvernemens du nord (1), avait fondé sur la faible santé du roi l'espoir de voir passer le sceptre entre les mains de son propre fils, nommé aussi Frédéric.

(1) Liv. 2, chap. IV.

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