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Le temps créait, modifiait et renversait les institutions; à peine voyait-on la trace des efforts qui opéraient ces changemens; voilà pourquoi il est si difficile de suivre les progrès des libertés publiques chez les peuples de l'Europe; pourquoi on est si souvent frappé en lisant leur histoire, par l'apparition ou la disparition subite de tels ou tels établissemens, dont la naissance ou la chute semblent avoir été amenées sans le concours marqué des hommes.

C'est dans l'histoire des révolutions partielles dont les PaysBas furent souvent le théâtre jusqu'au XVIe siècle, qu'il faut étudier l'influence des assemblées d'états sur la liberté et la prospérité publiques. Nous ne pouvons ici en suivre le long développement; choisissons donc entre les pages de l'histoire de ces provinces celle qui nous paraît le mieux caractériser la situation politique de l'époque à laquelle nous nous sommes arrêtés.

En 1488, Maximilien, roi des Romains, et souverain des Pays-Bas, en qualité de tuteur de son fils Philippe, fut fait prisonnier à Bruges, comme ayant attenté aux priviléges des cités, comme menaçant les antiques libertés de ces contrées. Il essayait alors lui-même de se rendre maître de la ville, mais, dit un ancien historien (1), la bourgeoisie et les métiers étant venus en armes, le saisirent et le firent loger et garder en la maison de Craumbourg, au nom des membres de Flandre, des états-généraux et pour leur propre assurance; ce qu'ils firent avec toute civilité et révérence, ayant tous la tête nue et lui faisant tout bon traitement, séquestrant et lui ôtant ses principaux conseillers et trésoriers, etc., quelques-uns de ces serviteurs du prince furent décapités, et les autres transférés à Gand.

Cet événement produisit une vive sensation dans toute l'étendue des Pays-Bas. Les membres du gouvernement non

(1) Meteren, Traduction française, in-folio. 1518.

arrêtés se hâtèrent de convoquer les états-généraux à Malines, auprès du jeune Philippe; mais cette assemblée, peutêtre pour échapper aux influences qu'on voulait sans doute exercer sur elle, se forma à Gand; là les députés de Flandre portèrent contre le roi des Romains quarante-sept chefs d'accusation, dont voici les principaux :

On disait qu'il avait rompu la paix avec la France, jurée par lui comme par les états, et que de même qu'il n'avait pas eu le pouvoir de la faire tout seul, il avait aussi beaucoup moins le pouvoir de la rompre sans ceux du pays;

Qu'il dissipait les meubles et joyaux de la maison de Bourgogne ;

Qu'il s'intitulait seigneur et souverain, sans faire mention de la qualité de tuteur;

Qu'il faisait la guerre aux Pays-Bas sous prétexte de punir ses sujets rébelles, au lieu que ce n'étaient pas ses sujets, et, partant, ne pouvaient être rébelles; et que cela était cause qu'ils avaient été contraints, vu le différend et la violence qu'on leur faisait, d'en appeler à leur souverain le roi de France;

Que, contre ses sermenis, il ne faisait ni droit ni justice conformément à leurs priviléges;

Qu'il avait donné et vendu les offices à des étrangers contre les priviléges du pays;

Qu'il avait fait introduire et exécuter par force et avec menaces des impositions en Flandres, lesquelles n'avaient pas UNANIMEMENT et ENTIÈREMENT été octroyées; ce que le seigneur et propriétaire même ne peut pas faire, beaucoup moins un tuteur, comme étant contre les priviléges;

Qu'il empêchait les états-généraux du pays de s'assembler selon qu'ils le jugeaient bon; et qu'étant assemblés il ne voulait pas qu'ils communicassent ensemble pour le bien public; qu'il leur permettait seulement d'adviser sur les propositions d'impôts faites au nom du roi des Romains, et que ceux qui voulaient s'occuper d'autres choses étaient suspects;

Qu'il avait fait battre monnaie à Bruges, sans le nom et les armes de son fils, leur légitime souverain; qu'il en avait élevé le taux sans l'aveu des états;

Qu'il avait établi de nouveaux péages contre leurs priviléges, ce que le seigneur lui-même ne pouvait faire sans l'assentiment du pays;

Les députés flamands demandant la réformation de ces abus, s'excusaient que, sur la pressante nécessité, et pour le profit de leur vrai seigneur, ils avaient été contraints de mettre la personne du roi des Romains en sûre-garde, non pour admoindrir son honneur ou lui faire quelque injure, car ils le reconnaissaient pour père de leur vrai et légitime prince, auquel en telle qualité ils voulaient rendre tous l'honneur et la révérence qui lui étaient dus, pour ce qu'en honorant le père ils honoraient le fils, mais pour prévenir la ruine du pays, etc. (1).

Les états-généraux voulurent que Maximilien fût relâché préalablement; mais les députés de Flandre s'y refusèrent, et la captivité de ce prince ne put finir que par un traité avec ses sujets, dans lequel il leur donnait toute satisfaction, et promettait d'oublier ce qui lui était arrivé. Telle fut cette révolution, unique peut-être dans les annales des peuples par le caractère de modération que la population d'une province sut garder dans une atteinte aussi directe contre l'autorité souveraine. Il n'est besoin, ce nous semble, de rien ajouter à ce récit.

Parlons des formes de gouvernement. Les affaires furent dirigées jusqu'à Charles V par des conseils, dont le nombre était ordinairement fixé par les volontés du prince; quelquefois ils se trouvaient réunis en un seul. Un magistrat suprême, titulé grand chancelier de Bourgogne, présidait les conseils et occupait le rang le plus élevé dans l'état : c'était

() Meteren, etc.

un premier ministre. Ce titre fut supprimé en 1518, et remplacé par celui de chef du conseil privé.

Charles V établit un gouvernement plus régulier, et qui exista avec quelques modifications jusqu'à la révolution. Il institua trois conseils appelés collatéraux, parce qu'ils sont ad latus principis, siégent dans son palais, et deviennent en quelque sorte une nécessité de sa couronne. Ces trois conseils furent le conseil d'état, où se délibéraient les grandes affaires du pays, telles que la guerre ou la paix, les alliances, etc.; le conseil privé destiné à s'occuper spécialement des affaires de justice; enfin le conseil des finances, que son titre explique suffisamment. Les lettres-patentes de création sont de 1531 (2). Telles étaient alors, avec le systême municipal fortement institué dans les villes, avec les états des provinces et les états-généraux extraordinaires, les institutions des Pays-Bas. Ainsi naissait l'harmonie, le souverain se contentant, dit le cardinal Bentivoglio, d'une autorité bornée par les droits du pays, et le peuple d'une liberté modépar les droits de la couronne.

rée

Sous ce règne de Charles V enfin fut consolidé un établissement dont la création était antérieure à son règne, et dont l'affermissement devait asseoir l'existence de cet état sur de solides bases. Maximilien, en voyant réunis sous son sceptre l'empire et les Pays-Bas, jugea politique d'unir l'une à l'autre ces deux grandes parties de sa domination; en conséquence, il érigea les dix-sept provinces belgiques en cercle de l'empire, dit cercle de Bourgogne : mais cette création souffrit de longues difficultés. On s'opposa d'abord de part et d'autre à son entier accomplissement. En Empire, on vit avec une espèce de sentiment jaloux un état étranger appelé par la volonté du souverain à jouir de toutes les hautes

(1) Mémoires historiques et politiques des Pays-Bas autrichiens, in.8°, 1784.

prérogatives, que se garantissaient mutuellement les membres de la fédération germanique. Dans les Pays-Bas, l'esprit d'indépendance naturel aux peuples conçut quelques allarmes de cette alliance si puissante qu'on lui proposait. Cette seule possibilité de l'intervention des Allemands dans les affaires intérieures du pays suffisait pour y faire répudier cette mesure. Elle ne fut donc point regardée comme définitivement adoptée et passée en loi.

Le bras vigoureux de Charles V acheva ce que le caractère circonspect de Maximilien avait simplement essayé. Toutes les difficultés furent applanies par la transaction d'Augsbourg en 1548: son objet fut d'assurer au nouveau cercle une protection qui lui fût toujours utile, et qui ne pût jamais lui être préjudiciable. Ce traité, conclu avec l'empire, et ratifié par les Etats des provinces belgiques, portait donc érection des dix-sept provinces et du comté de Bourgogne en cercle, aux conditions suivantes :

а

a 1° Que lesdits pays seraient, sous la protection de l'empereur et de l'empire, associés à tous les priviléges, immunités et droits de l'Empire;

29 Qu'ils seraient maintenus et défendus, comme les autres membres de l'empire;

3o Que le souverain des Pays-Bas aurait droit d'envoyer des ambassadeurs, avec séance et voix à la Diète, sur le même pied que l'archiduc d'Autriche;

4° Que dans les contributions de l'Empire, soit en troupes, soit en argent, le cercle de Bourgogne fournirait autant que deux électeurs;

5o Que lorsqu'il s'agirait d'une guerre contre les Turcs, le cercle contribuerait autant que trois électeurs;

6o Qu'à la réserve du cas concernant les contributions de l'Empire, auxquelles le souverain et les états du cercle de

() Mémoires historiques et politiques des Pays-Bas Autrichiens, tom. I.

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