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tans l'Europe de son joug de fer. Il augmenta ses Etats du Brisgau, du comté de Ferrette, du Sundgau et dè l'Alsace, qu'il acheta du duc d'Autriche, et de plusieurs districts où ses armes affermirent sa domination. L'état de Bourgogne s'étendait done alors de l'Ems à la Somme, et de l'Océan au Jura: son jeune souverain voulait obtenir le titre de roi, et il l'eût sans doute obtenu avec plus de prudence et de mo-' dération : sa fougueuse et barbare ambition le perdit. Diverses' expéditions dans lesquelles il voyait brûler des villes en disant avec sans froid: Tel fruit porte l'arbre de la guerre, absor-' bèrent les immenses trésors de sa maison et ruinèrent ses" provinces. Enfin sa fortune qui, avait humilié les monarques, fut humiliée à son tour; il fut battu dans les champs de Morat par ces courageux montagnards qui venaient d'arracher leur sol à la tyrannie des Suzerains, et avaient les premiers planté au centre de l'Europe l'étendard de la liberté. Il n'eut plus alors que des revers et il termina bientôt après sa carrière, les armes à la main.

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Sa chute fut un événement européen; car ses prospérités eussent probablement changé le cours des destinées de cette partie du monde. «La fin tragique et inespérée de Charles - » a dit un écrivain distingué (1), fit disparaître de la carte » du monde politique une puissance indépendante et respectable, qui dans la suite eût pu prévenir les guerres sanglantes de la France et de l'Autriche, s'opposer avec succès » aux projets de domination de l'une et de l'autre, assurer » la liberté de l'Allemagne et fixer l'équilibre de l'Europe. » Et telle eût été effectivement l'importance d'une monarchie des Pays-Bas, à cette époque. Cette création eût enlevé aux ambitions subséquentes un aliment, et peut-être épargné aux peuples de longues calamités.

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Charles n'avait laissé qu'une fille. Louis XI essaya d'abord de dépouiller cette princesse, nommée Marie, en offrant

(1) Ancillón, Tableau politique, tom. II,

d'être son protecteur; mais son mariage avec Maximilien d'Autriche déconcerta toutes ses vues, et il y fallut renoncer. Ainsi fut effectuée cette première union des maisons de Bourgogne et d'Autriche. Marie et Maximilien eurent deux enfans, Marguerite et Philippe. La première eut en partage les comtés de Bourgogne, d'Artois et de Charolais; le second fut reconnu comme souverain des Pays-Bas, à la mort de sa mère, qui eut lieu en 1482. Ce Philippe, surnommé le Beau, ayant épousé Jeanne héritière d'Aragon, de Castille et de Léon, eut un fils à qui sa tante Marguerite légua les comtés, sa mère les couronnes d'Espagne, son père les Pays-Bas, et son aïeul le duché d'Autriche. Ce fils est Charles V.

CHAPITRE III.*

Jusqu'à la fondation de la République.

Charles V devint au moyen de divers arrangemens, sur lesquels il est inutile de s'étendre, souverain intégral des dix-sept provinces des Pays-Bas, savoir : des duchés de Brabant, de Limbourg, de Luxembourg et de Gueldre; des, comtés de Zutphen, de Hollande, de Zélande, de Flandre, de Namur, de Hainaut et d'Artois; du marquisat du SaintEmpire (Anvers et son territoire), des seigneuries de Frise, d'Overissel, d'Utrecht, de Groningue et de Malines. En 1549, il publia à Bruxelles une pragmatique portant réunion de ses dix-sept provinces en un état indivisible et héréditaire dans sa maison. Il était dit dans cet acte remarquable que toutes lois intérieures des provinces, relativement à la succession de la maison souveraine, seraient abo lies en tant qu'elles ne seraient pas conformes au principe de représentation adopté pour la généralité des Pays-Bas. On y voit aussi que ce ne fut qu'après de longues conférences, et après avoir obtenu le consentement des états de chaque province, que cette loi fut publiée par le mo

narque.

Charles était né et avait été élevé dans les Pays-Bays. Il 26. en connaissait les langages divers; il en aimait les habitans. Là son front déposait ces habitudes graves et ce caractère de morgue qui devaient signaler la majesté suprême à Madrid. Il savait que dans ces provinces, sa personne pouvait être affable, pourvu que son gouvernement fût juste, et qu'il serait populaire sans danger s'il savait respecter les antiques privilèges du pays. Aussi, de toutes les parties de ses vastes Etats, ce fut sans doute celle où son joug fut le moins pesant, où ses bienfaits furent le plus nombreux. Il y en couragea les arts et le commerce; on le vit visiter et honorer avec la reine de Hongrie sa sœur, la tombe de Guillaume de Benkelin, modeste inventeur de l'art de préparer et d'encaquer les harengs. L'industrie qui avait produit d'heureux résultats sous les prédécesseurs de ce monarque, prit alors un essor prodigieux et ouvrit le cours d'une prospérité que toutes les fureurs de la guerre civile ne devaient que trop tôt réprimer, sous le règne suivant.

Trois objets doivent spécialement fixer ici notre attention. Il est important de reconnaître ce qu'étaient les états des provinces vers cette époque; nous devons nous arrêter ensuite sur la forme de gouvernement introduite par Charles V. Enfin, il faudra dire ce qui est relatif à l'établissement du cercle de Bourgogne.

Le gouvernement des Pays-Bas sous les deux maisons de Bourgogne et d'Autriche, offre une existence politique dont il est peu d'exemples dans l'histoire. La conquêté, le droit de succession ou les traités ayant réunis sur une seule tête les divers titres de souveraineté dans ces provinces, toutes se trouvaient soumises à un chef commun; mais on aurait une idée fausse, si on les considérait comme formant dès-lors un état unique, dont le chef n'avait plus qu'à prendre le titre de roi. Des recherches moins superficielles apprennent, au contraire, qu'il y avait là autant d'états et en quelque sorte autant de chefs que de provinces, en d'autres termes, qu'il y avait

TOME III.

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toujours un comte de Hollande, un marquis d'Anvers, un due de Brabant; mais que seulement le même prince se trouvait investi de ces titres divers. La pragmatique de Charles V', n'avait rien changé à cet égard, car il y était formellement exprimé, qu'elle ne pouvait avoir force de loi que pour la succession dans la maison souveraine, et que, toutes autres dispositions relatives, soit à l'établissement général des états, soit à leur régime intérieur, resteraient intactes.

Il y avait donc là une espèce de fédération d'états divers dont un prince commun était le lien. Le gouvernement intérieur de ces états mérite d'être étudié. Era composto, dit le cardinal Bentivoglio. (1) Di tre forme congiunte insieme ; cioè di monarchia, d'aristocratia et di democratia; uno temperato in maniera che la parte più sublime, consisteva nella persona del principe et la parte loro vi ritenevano ancora con moderata proportione, gli ottimati et la moltitudine popolare.

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Ainsi donc, la souveraineté se composait dans chacun des états, du prince et du corps des députés de l'aristocratie et de la démocratie, c'est-à-dire, de l'assemblée des états.

Il est impossible de s'étendre ici sur la formation de ces assemblées fameuses. Divers renseignemens nous manquent à ce sujet. Ge n'est guère que vers les derniers temps', qu'on peut présenter un tableau complet de l'élection des députés, et des formes de délibération des assemblées. Tout ce qu'on sait positivement, c'est qu'elles étaient composées de députés du clergé, de la noblesse et des cités. Ces trois classes ne siégeaient pas toujours dans les mêmes proportions. Ici le clergé, était presque ou totalement exclus. Là, la noblesse avait plus de prépondérance; ailleurs c'étaient les mandataires du peuple qui dominaient. Les députés du clergé étaient en général les abbés des divers ordres religieux, et à la différence des autres pays de l'Europe à cette époque, ils n'avaient aucune influence dans les affaires du pays, et n'y

(1) Relatione delle provincie-unite, libro I, cap. IV.

jouaient un rôle, que par leur vote au sein de l'assemblée. Les nobles étaient en général en possession des offices principaux, à la nomination du chef de l'état; la plupart habitaient leurs châteaux situés hors des cités, et leur influence était balancée par l'organisation forte et libérale de ces cités. Dans presque toutes la population se trouvait divisée en trois classes: la première, composée d'une noblesse intermédiaire entre les grands possesseurs de terres et les bourgeois; la deuxième, composée des bourgeois, et la troisième du peuple distribué dans les diverses corporations d'arts et métiers ; toutes jouissaient de libertés municipales fort étendues, et plusieurs avaient des privilèges particuliers qui fondaient leur force et leur prospérité.

Le souverain avait le droit de convoquer les états des provinces, quand il le jugeait nécessaire. Il ne paraît pas que les sessions aient jamais été périodiques d'une manière régulière. Quand le plus grand nombre de ces provinces eurent été réunies en une seule souveraineté, on sentit le besoin de former des états-généraux dans la résidence du prince. De pareils états furent souvent convoqués pendant les troubles religieux: ils étaient composés de députés des états particuliers, et au prince appartenait aussi le droit de les appeler auprès de lui. Au surplus, il est important de remarquer que la portion de souveraineté nationale non dévolue au chef de l'état, ne se trouvait point transportée dans cette nouvelle assemblée, comme on serait d'abord tenté de le croire, mais ait restée, au contraire, répartie entre les diverses assemblées d'états des provinces: c'était donc, au moins en principe, un conseil consultatif plutôt qu'un parlement. On ne voit pas d'ailleurs que les pouvoirs des états-généraux des dix-sept provin ces, aient été jamais positivement spécifiés et il faut bien comprendre à ce sujet, que la connaissance théorique des droits n'était guère avancée à cette époque; partout on savait qu'on fondait le pouvoir avec l'épée, et la liberté par l'énergie; mais la politique n'était une science que pour quelques sages.

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