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LES DIEUX DU NORD.

Fragment du premier chant de Charlemagne, poëme épique inédit.

Il est non loin du pôle un climat désolé
Qui regrette trois mois le soleil exilé;

Où trois mois le soleil revient, roi solitaire,
Rendre au ciel son azur et le jour à la terre.
Là se groupe un amas de rochers entassés

Qui du fardeau des cieux semblent toujours pressés :
D'un antre plein d'horreur l'ouverture profonde
Sans cesse y retentit du murmure de l'onde;
L'Océan l'environne, et le flot blanchissant
Brise sous ces rochers son courroux impuissant.
D'un jour pâle et douteux la lumière tremblante
Se glisse et court frapper la voûte étincelante,
Qui, riche d'un cristal en gerbes arrondi,
Allume son éclat aux rayons du midi.

Pour soutenir le poids de cette voûte immense,
Le basalte noirâtre en colonnes s'élance,
Se sépare en arcade ou se joint en faisceaux.
Des prismes allongés sortent du sein des eaux ;

Du levant à l'aurore ils s'élèvent en foule,
Constamment assiégés par la vague qui roule :
On croit voir d'un palais, par le temps ruiné,
Les pilastres debout sur le flot mutiné.

Au fond de l'antre obscur brille un trône de glace
Dont l'hiver a durci l'inégale surface.

Le vieux géant du Nord sur ce trône est assis;
Ses yeux sont allumés sous d'horribles sourcils;
Son large front respire une audace inhumaine,
Son front tout sillonné par la foudre romaine,
Tout noirci par les feux qui l'ont cicatrisé,

Et qui, sujet du temps dont les doigts l'ont creusé,
Conserve, objet d'horreur, de tristesse et de crainte,
Du tonnerre et des ans l'ineffaçable empreinte.

La dépouille d'un ours,
affreux dans sa grandeur,
Couvre de ses bras nus l'anguleuse rondeur;
Les longs flots argentés de sa barbe ondoyante
Surchargent de frimas sa poitrine effrayante,
Et ses cheveux blanchis, de glaçons hérissés,
Par le souffle des vents s'écartent dispersés.

Un souvenir flatteur rappelle à sa mémoire
Ces jours où l'univers tremblait devant sa gloire,
Jours de deuil et de pleurs, où l'aigle des Césars,
Jetant un cri perçant du haut de ses remparts,
Vaincu, laissa tomber le sceptre de la terre,
Et las de foudroyer, mourut sur son tonnerre.

Il regrette le temps où, courbé sous ses lois,
Devant lui frémissait tout un sénat de rois,
Où lui-même, bornant sa course vagabonde,
Vint s'asseoir tout sanglant sur le trône du monde.

Tout à coup du géant triste et silencieux,
Une vive clarté vient éblouir les yeux.
Sous un nuage d'or roulant dans l'étendue,
L'azur du firmament se dérobe à sa vue.
Ce nuage s'avance, et s'emparant des airs,
D'un jour mystérieux il remplit l'univers.
Il s'arrête : le ciel, que sa splendeur décore,
Peint la terre et les flots des couleurs de l'aurore :
Il s'ouvre, il reste ouvert; le redoutable Odin
Apparaît sur son char, une lance à la main :
Debout, guidant l'essor de deux coursiers rapides,
Il s'approche, écartant de ses lèvres livides
Un crâne ensanglanté, coupe affreuse, où la Mort
A versé l'hydromel, nectar des dieux du Nord.
Tyr agite en marchant un javelot fidèle,
Qui reconnaît la voix du Dieu qui le rappelle,
Retourne vers la main prompte à le diriger,
Siffle et court de nouveau dans le sang se plonger.
Près de lui Thor balance une énorme massue,
Que son bras vigoureux lève et tient suspendue;
Et Balder, le plus beau de tous les dieux du Nord,
Balder, en déployant la grâce de son port,

Incline un front charmant et laisse à l'aventure
Flotter en boucles d'or sa blonde chevelure:
Un arc d'argent se courbe et brille dans sa main ;
La flèche retentit dans son carquois d'airain.

Plus loin, toujours frappé d'une aveugle démence,
L'horrible loup Fenris ouvre sa gueule immense,
Qui pourrait à la fois toucher le front des airs
Et le dos écumant de la plaine des mers.
Il dévore en espoir, dans sa rage profonde,
Le soleil expirant sur les débris du monde.

Plus loin, rampe et se glisse en replis tortueux
L'affreux serpent d'Asgard, dragon impétueux,
Qui du couchant aux lieux où l'aurorc commence,
S'élève, s'arrondit et forme un cercle immense.

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Il l'élargit encore, et cet orbe mouvant
Dont la voûte des cieux presse l'émail vivant,
Laisse voir dans son centre une tête hideuse
Qui s'allonge, en dardant sa langue venimeuse.

Jusqu'aux bords du nuage Odin s'est approché,
Vers le géant du Nord, sur sa lance penché :

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Témoin des longs succès d'un peuple qui t'outrage, Gomer, n'oserais-tu défendre ton ouvrage?

Regarde devant toi; Charlemagne, vainqueur,

» Va de Rome au tombeau relever la grandeur;

» De ses fiers paladins la valeur le seconde,

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Et sa gloire est déjà l'étonnement du monde.

>> En vain du peuple-roi tu mis l'orgueil aux fers;

2.

Sous ta main vainement fléchit tout l'univers.

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>> L'univers te repousse; une heureuse ignorance >> Tenait les nations sous notre dépendance, » Et des arts corrupteurs éteignant le flambeau, → Leur temple renversé devenait leur tombeau. > Tout change: s'emparant de la terre usurpée, » Ils vont régner partout; et le droit de l'épée, Légitimant leur culte aux regards des mortels, » Va condamner mes lois, mon culte et mes autels. » Enfin d'un nouveau dieu la sacrilége image » Des humains chaque jour me dérobe l'hommage; » Ce Dieu, prêt à frapper mon trône indépendant,

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» De l'Orient sorti, règne sur l'Occident:

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Il attaque le Nord, et bientôt, vaine idole,

Je partage l'exil des dieux du Capitole ;

Oui, bientôt, poursuivi par

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de nouveaux revers

» Le dieu du Nord ne sait où fuir dans l'univers.

D

Gomer, tu peux parer le coup qui me menace : » Des peuples et des rois cours réveiller l'audace; Que les enfans du Nord s'assemblent; que leurs bras » Lèvent de toutes parts l'étendard des combats; » Le moment est venu de reprendre les armes, » De porter au Midi le trouble et les alarmes,

D

D'y fonder mes autels, surtout de ramener

» Les peuples sous le joug qui doit les enchaîner.

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