Page images
PDF
EPUB

Mon oncle Tobie, comme gouverneur de Dendermonde, rendit au pauvre lieutenant tous les honneurs de la guerre ; —it accompagna le corps au tombeau, conduisant luimême le deuil, et menant le jeune le Fevre par la main.

[ocr errors]

Yorick, de son côté, pour n'être pas en reste, rendit au défunt tous les honneurs de' l'église, et l'enterra en grande pompe au milieu du choeur. - Il paroît même qu'il prononça son oraison funèbre. Je dis, il paroit; et j'en juge par une note que j'ai trouvée sur l'un de ses sermons.

C'étoit la coutume d'Yorick, (et je suppose qu'elle lui étoit commune avec tous ceux de sa profession) de noter sur la première page de chacun de ses sermons le lieu, le temps, et l'occasion où il avoit été prêché. Il y joignoit toujours un petit commentaire sur le sermon lui-même ; et en vérité rarement à sa louange.

Par exemple: Sermon sur la dispersion des Juifs. Je n'en fais pas le moindre cas : je conviens que c'est un prodige d'érudition, mais d'une érudition triviale, et mise en œuvre plus trivialement encore.

Celui-ci est d'une composition lâche. Je ne sais ce que diantre j'avois dans la tête quand je le fis.

N. B. L'excellence de ce texte, c'est qu'il Convient à tous les sermons; et de ce sermon, c'est qu'il convient à tous les textes.

- Pour celui-ci, je mérite d'être pendu ; j'en ai volé la plus grande partie; et le docteur Pidigunes m'a dénoncé. - Rien n'est tel qu'un voleur pour en découvrir un autre.

[ocr errors]

Sur le dos d'une demi-douzaine je trouve écrit so so et rien de plus; et sur deux autres, moderato. Ils sont tous huit dans un seul paquet, rattachés avec un bout de ficelle vorte, qui semble jadis avoir appartenu au fouet d'Yorick; ce qui me fait conclure que par so so et par moderato, Yorick entendoit à-peu-près la même chose ; et en cela il étoit d'accord avec le dictionnaire italien d'Altieri.

Il faut pourtant convenir que les deux sermons étiquetés moderato sont cinq fois meilleurs que les so so, montrent dix fois plus de connoissance du cœur humain, - renferment soixante et dix fois plus d'esprit et de feu; et, pour m'élever par une gradation convenable, découvrent mille fois plus de génie. Aussi quand je donnerai au public les sermons dramatiques d'Yorick, quoique je ne compte en admettre qu'un de tout le nombre des so so, je n'hésiterai pas à faire imprimer les deux moderato dans leur entier.

Je n'entreprendrai pas de deviner ce que Yorick ponvoit entendre par ces mots, lentamente, tenute, grave, adagio, tels que je les trouve sur quelques-uns de ses sermons. -Je serois encore plus embarrassé d'expliquer: à l'octava alta, con strepito, con larco, senza larco, et autres termes de musique avec lesquels il en a désigné d'autres.— Ce que je sais, c'est que ces mots ont sûrement un sens; et Yorick, qui étoit à la fois musicien et prédicateur, les appliquoit de ses sonates à ses sermons.-Jene doute même point que chacun de ces signes qui nous échappent, n'eût pour lui une signification distincte et précise.

Parmi tous ses sermons, il y en a un, (et c'est lui qui m'a conduit à cette longue di gression); il est sur la mort, et il a sans doute été fait à l'occasion du pauvre le Fevre. Il est écrit d'une plus belle main que les autres, ce qui annonce une sorte de prédilection en sa faveur. Du reste, il est négligemment rattaché avec une lis ère de laine et enveloppé dans une feuille de papier bien, qui sert encore le droguiste. Mais je doute que ces marques apparentes d'humilité aient été mises à dessein, d'autant que tout à la fin du sermon et non au commencement,) ce qui est contre l'usage

[ocr errors]

invariable d' Yorick, je trouve écrit de sa main

le mot :

Bravo.

Tout, à la vérité, concourt à radoucir ce que cette expression peut avoir de choquant. Le mot est placé à deux pouces et demi au moins de distance de la dernière ligne, tout en bas de la page, et dans ce coin à droite qui est ordinairement recouvert par le pouce. Il est écrit avec une plume de corbeau, en petits caractères, et d'une encre si pâle, qu'en vérité, on peut à peine se douter qu'il est C'est plutot l'ombre de la vanité que la vanité elle-même ; C'est plutôt une secrète complaisance, un mouve ment passager de satisfaction, qui s'élève dans le cœur d'un compositeur à son insu, qu'une marque grossière d'applaudissement qu'on aus toit l'effronterie d'offrir au public.

Ìà.

Je sens bien que, malgré tous ces adoucissemens, j'ai rendu un mauvais service à Yorick en entrant dans toutes ces particularités, ct que j'aurois dû les taire pour l'honneur de sa modestie; mais quel homme n'a pas scs foiblesses?-Yorick n'en étoit pas plusexempt qu'un autre. Mais ce qui excuse la sienne en cette occasion, ce qui la réduit presque

rien, c'est que le mot fut barré quelque temps après par lui-même; ce qui se connoît encore par une ligne d'une encre encore plus noire qui le traverse en cette manière : BRAVO; - comme s'il s'étoit rétracté, ou qu'il eût été honteux de sa première opinion.

CHAPITRE LV I I.

Départ du jeune le Fevre.

APRÈS

PRES que mon oncle Tobie eut converti en argent la' succession de le Fevre, et qu'il eut réglé ses comptes avec son régiment, l'aubergiste et le reste du monde, il ne lui resta entre les mains qu'un vieil uniforme et une épée de cuivre ; de sorte qu'il ne rencoutra aucune opposition à prendre l'entière administration des biens du jeune orphelin.

- Il donna l'habit an caporal: « Porte-le, Trim, dit mon oncle Tobie, jusqu'à ce qu'il tombe en lambeaux.... porte-le en mémoire du pauvre lieutenant. » — Il prit l'épée, et la tirant du fourreau: « Cette épée, le Fevre, je la garderai pour toi. · Voilà, mon cher le

[ocr errors]
« PreviousContinue »