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226. La vigueur d'esprit ou l'adresse ont fait les premières fortunes. L'inégalité des conditions est née de celle des génies et des courages.

227. Il est faux que l'égalité soit une loi de la nature. La nature n'a rien fait d'égal. Sa loi souveraine est la subordination et la dépendance.

228. Qu'on tempère, comme on voudra, la souveraineté dans un Etat; nulle loi n'est capable d'empêcher un tyran d'abuser de l'autorité de son emploi.

229. On est forcé de respecter les dons de la nature, que l'étude ni la fortune ne peuvent donner.

:

230. La plupart des hommes sont si resserrés dans la sphère de leur condition, qu'ils n'ont pas même le courage d'en sortir par leurs idées et si on en voit quelques uns que la spéculation des grandes choses rend en quelque sorte incapables des petites, on en trouve encore davantage à qui la pratique des petites a ôté jusqu'au sentiment des grandes.

231. Les espérances les plus ridicules et les plus hardies ont été quelquefois la cause des succès extraordinaires.

232. Les sujets font leur cour avec bien plus de goût que les princes ne la reçoivent. Il est toujours plus sensible d'acquérir que de jouir.

233. Nous croyons négliger la gloire par pure paresse, tandis que nous prenons des peines infinies pour le plus petit intérêt. 234. Nous aimons quelquefois jusqu'aux louanges que nous ne croyons pas sincères.

235. Il faut de grandes ressources dans l'esprit et dans le cœur pour goûter la sincérité lorsqu'elle blesse, ou pour la pratiquer sans qu'elle offense. Peu de gens ont assez de fonds pour souffrir la vérité et pour la dire.

236. Il y a des hommes qui, sans y penser, se forment une idée de leur figure, qu'ils empruntent du sentiment qui les domine; et c'est peut-être par cette raison qu'un fat se croit toujours beau.

237. Ceux qui n'ont que de l'esprit ont du goût pour les grandes choses, et de la passion pour les petites,

238. La plupart des hommes vieillisent dans un petit cercle d'idées qu'ils n'ont pas tirées de leur fonds; il y a peut-être moins d'esprits faux que de stériles.

239. Tout ce qui distingue les hommes paraît peu de chose. Qu'est-ce qui fait la beauté ou la laideur, la santé ou l'infirmité,

l'esprit ou la stupidité ? Une légère différence des organes, un peu plus ou un peu moins de bile, etc. Cependant ce plus ou ce moins est d'une importance infinie pour les hommes; et lorsqu'ils. en jugent autrement, ils sont dans l'erreur.

240. Deux choses peuvent à peine remplacer, dans la vieillesse, les talens et les agrémens : la réputation ou les richesses.

241. Nous n'aimons pas les zélés qui font profession de mépriser tout ce dont nous nous piquons, pendant qu'ils se piquent euxmêmes de choses encore plus méprisables.

242. Quelque vanité qu'on nous reproche, nous avons besoin quelquefois qu'on nous assure de notre mérite.

243. Nous nous consolons rarement des grandes humiliations; nous les oublions.

244. Moins on est puissant dans le monde, plus on peut commettre de fautes impunément, ou avoir inutilement un vrai mérite.

245. Lorsque la fortune veut humilier les sages, elle les surprend dans ces petites occasions où l'on est ordinairement sans précaution et sans défense. Le plus habile homme du monde ne peut empêcher que de légères fautes n'entraînent quelquefois d'horribles malheurs ; et il perd sa réputation ou sa fortune par une petite imprudence, comme un autre se casse la jambe en se promenant dans sa chambre.

246. Soit vivacité, soit hauteur, soit avarice, il n'y a point d'homme qui ne porte dans son caractère une occasion continuelle de faire des fautes; et si elles sont sans conséquence, c'est à la fortune qu'il le doit.

247. Nous sommes consternés de nos rechutes, et de voir que nos malheurs mêmes n'ont pu nous corriger de nos défauts. 248. La nécessité modère plus de peines que la raison. 249. La nécessité empoisonne les maux qu'elle ne peut guérir. 250. Les favoris de la fortune ou de la gloire, malheureux à nos yeux, ne nous détournent point de l'ambition.

251. La patience est l'art d'espérer.

252. Le désespoir comble non-seulement notre misère, mais notre faiblesse.

253. Ni les dons, ni les coups de la fortune n'égalent ceux de la nature, qui la passe en rigueur comme en bonté.

254. Les biens et les maux extrêmes ne se font pas âmes médiocres.

sentir aux

255. Il y a peut-être plus d'esprits légers dans ce qu'on appelle le monde, que dans les conditions moins fortunées.

256. Les gens du monde ne s'entretiennent pas de si petites choses que le peuple; mais le peuple ne s'occupe pas de choses si frivoles que les gens du monde.

257. On trouve dans l'histoire de grands personnages que la volupté ou l'amour ont gouvernés; elle n'en rappelle pas à ma mémoire qui aient été galans. Ce qui fait le mérite essentiel de quelques hommes, ne peut même subsister dans quelques autres comme un faible.

258. Nous courons quelquefois les hommes qui nous ont imposé par leurs debors, comme de jeunes gens qui suivent amoureusement un masque, le prenant pour la plus belle femme du monde, et qui le harcèlent jusqu'à ce qu'ils l'obligent de se découvrir, et de leur faire voir qu'il est un petit homme avec de la barbe et un visage noir.

259. Le sot s'assoupit et fait la sieste en bonne compagnie, comme un homme que la curiosité a tiré de son élément, et qui ne peut ni respirer ni vivre dans un air subtil.

260. Le sot est comme le peuple, qui se croit riche de peu. 261. Lorsqu'on ne veut rien perdre ni cacher de son esprit, on en diminue d'ordinaire la réputation.

262. Des auteurs sublimes n'ont pas négligé de primer encore par les agrémens, flattés de remplir l'intervalle de ces deux extrêmes, et d'embrasser toute la sphère de l'esprit humain. Le public, au lieu d'applaudir à l'universalité de leurs talens, a cru qu'ils étaient incapables de se soutenir dans l'héroïque; et on n'ose les égaler à ces grands hommes qui, s'étant renfermés dans un seul et beau caractère, paraissent avoir dédaigné de dire tout ce qu'ils ont tû, et abandonné aux génies subalternes les talens médiocres.

263. Ce qui paraît aux uns étendue d'esprit, n'est, aux yeux des autres, que mémoire et légèreté.

264. Il est aisé de critiquer un auteur; mais il est difficile de l'apprécier.

265. Je n'ôte rien à l'illustre Racine, le plus sage et le plus élégant des poëtes, pour n'avoir pas traité beaucoup de choses qu'il eût embellies, content d'avoir montré dans un seul genre la richesse et la sublimité de son esprit. Mais je me sens forcé de respecter un génie hardi et fécond, élevé, pénétrant, facile, infatigable; aussi ingénieux et aussi aimable dans les ouvrages

de por agrément, que vrai et pathétique dans les autres : d'une vaste imagination, qui a embrassé et pénétré rapidement toute l'économie des choses humaines ; à qui ni les sciences abstraites, ni les arts, ni la politique, ni les mœurs des peuples, ni leurs opinions, ni leurs histoires, ni leur langue même n'ont pu échapper; illustre, en sortant de l'enfance, par la grandeur et par la les force de sa poésie féconde en pénsées, et bientôt après par charmes et par le caractère original et plein de raison de sa prose; philosophe et peintre sublime, qui a semé avec éclat, dans ses écrits, tout ce qu'il y a de grand dans l'esprit des hommes ; qui a représenté les passions avec des traits de feu et de lumière, et enrichi le théâtre de nouvelles grâces; savant à imiter le caractère et à saisir l'esprit des bons ouvrages de chaque nation par l'extrême étendue de son génie, mais n'imitant rien d'ordinaire qu'il ne l'embellise; éclatant jusque dans les fautes qu'on a cru remarquer dans ses écrits, et tel que, malgré leurs défauts et malgré les efforts de la critique, il a occupé sans relâche de ses veilles ses amis et ses ennemis, et porté chez les étrangers, dès sa jeunesse, la réputation de nos lettres, dont il a reculé toutes

les bornes.

266. Si on ne regarde que certains ouvrages des meilleurs auteurs, on sera tenté de les mépriser. Pour les apprécier avec justice, il faut tout lire.

267. Il ne faut point juger des hommes par ce qu'ils ignorent, mais par ce qu'ils savent, et par la manière dont ils le savent.

pas

268. On ne doit pas non plus demander aux auteurs une perfection qu'ils ne puissent atteindre. C'est faire trop d'honneur à l'esprit humain de croire que des ouvrages irréguliers n'aient pas droit de lui plaire, surtout si ces ouvrages peignent les passions. Il n'est besoin d'un grand art pour faire sortir les meilleurs esprits de leur assiette, et pour leur cacher les défauts d'un tableau hardi et touchant. Cette parfaite régularité qui manque aux auteurs, ne se trouve point dans nos propres conceptions. Le caractère naturel de l'homme ne comporte pas tant de règle. Nous ne devons pas supposer dans le sentiment une délicatesse que nous n'avons que par réflexion. Il s'en faut de beaucoup que notre goût soit toujours aussi difficile à contenter que esprit.

notre

269. Il nous est plus facile de nous teindre d'une infinité de connaissances, que d'en bien posséder un petit nombre.

270. Jusqu'à ce qu'on rencontre le secret de rendre les esprits plus justes, tous les pas que l'on pourra faire dans la vérité n'empêcheront pas les hommes de raisonner faux; et plus on voudra

les pousser au-delà des notions communes, plus on les mettra en péril de se tromper.

271. Il n'arrive jamais que la littérature et l'esprit de raisonnement devienne le partage de toute une nation, qu'on ne voie aussitôt, dans la philosophie et dans les beaux-arts, ce qu'on remarque dans les gouvernemens populaires, où il n'y a point de puérilités et de fantaisies qui ne se produisent et ne trouvent des partisans.

272. L'erreur ajoutée à la vérité ne l'augmente point. Ce n'est pas étendre la carrière des arts que d'admettre de mauvais genres; c'est gâter le goût; c'est corrompre le jugement des hommes, qui se laisse aisément séduire par les nouveautés, et qui, mêlant ensuite le vrai et le faux, se détourne bientôt dans ses productions, de l'imitation de la nature, et s'appauvrit ainsi en peu de temps par la vaine ambition d'imaginer et de s'écarter des anciens modèles.

273. Ce que nous appelons une pensée brillante n'est ordinairement qu'une expression captieuse, qui, à l'aide d'un peu de vérité, nous impose une erreur qui nous étonne.

274. Qui a le plus, a, dit-on, le moins: cela est faux. Le roi d'Espagne, tout puissant qu'il est, ne peut rien à Lucques. Les bornes de nos talens sont encore plus inébranlables que celles des empires; et on usurperait plutôt toute la terre que la moindre vertu.

275. La plupart des grands personnages ont été les hommes de leur siècle les plus éloquens. Les auteurs des plus beaux systèmes, les chefs de partis et de sectes, ceux qui ont eu dans tous les temps le plus d'empire sur l'esprit des peuples, n'ont dû la meilleure partie de leurs succès qu'à l'éloquence vive et naturelle de leur âme. Il ne paraît pas qu'ils aient cultivé la poésie avec le même bonheur. C'est que la poésie ne permet guère que l'on se partage, et qu'un art si sublime et si pénible se peut rarement allier avec l'embarras des affaires, et les occupations tumultueuses de la vie au lieu que l'éloquence se mêle partout, et qu'elle doit la plus grande partie de ses séductions à l'esprit de médiation et de manége, qui forme les hommes d'état et les politiques, etc.

276. C'est une erreur dans les grands de croire qu'ils peuvent prodiguer sans conséquence leurs paroles et leurs promesses. Les hommes souffrent avec peine qu'on leur ôte ce qu'ils se sont en quelque sorte approprié par l'espérance. On ne les trompe pas long-temps sur leurs intérêts, et ils ne haissent rien tant que d'être dupes. C'est par cette raison qu'il est si rare que la four

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