Page images
PDF
EPUB
[merged small][merged small][ocr errors][merged small]

CHEZ A. BELIN, IMPRIMEUR-LIBRAIRE, RUE DES MATHURINS ST.-J., HOTEL CLUNY.

1820.

[merged small][ocr errors][merged small]

SUR LA VIE ET LES OUVRAGES

DE VAUVENARGUES.

La carrière de Vauvenargues a été aussi courte que dépourvue d'évėnemens remarquables. Né à Aix, en 1715, de parens qui appartenaient à une famille noble de la Provence (1), il fit quelques études au collége, et entra à l'âge de dix-huit ans comme sous-lieutenant dans le régiment du roi. Sa première campagne fut celle d'Italie, en 1734. Quoique doué d'une constitution très-faible, il supporta courageusement toutes les fatigues du service; mais dans la guerre d'Allemagne, en 1741, et surtout à la retraite de Prague, où, comme il le dit dans l'éloge de Seytres, les maladies, la faim et la fatigue excessive accablaient les jeunes soldats, il eut tant à souffrir, que, rentré en France au commencement de l'année 1742, il résolut, à cause de sa mauvaise santé, de quitter le service où il avait alors le grade de capitaine, et d'entrer dans la diplomatie. Sans fortune, sans protection, il écrivit directement au roi et au ministre des relations extérieures, pour leur exposer sa situation et son désir. Ces deux lettres étant restées sans réponse, il adressa à M. Amelot une seconde lettre, que l'on trouvera à la fin de ses œuvres, et qui lui valut du moins des promesses de la part du ministre. Malheureusement la petite vérole dont il fut atteint, et qui le défigura entièrement, acheva de ruiner sa santé ; il ne mena plus qu'une vie languissante, que l'amitié et l'étude lui rendirent moins triste, et il mourut en 1747, âgé de trente-deux ans. Les écrits qu'il a composés dans les intervalles de ses douleurs, portent tous l'empreinte de sa belle âme, de la force de son caractère, et de son habitude de méditer. C'est à ces qualités qu'il dut l'estime et l'amitié de Voltaire. Ses lettres suffirent pour donner à ce grand écrivain une haute idée de l'esprit du jeune officier, et lorsque le philosophe de Ferney fit la connaissance de Vauvenargues, à Paris, il le distingua bientôt dans la foule de ses admirateurs, et devint son ami. Voici les lignes touchantes qu'il a consacrées dans son éloge funèbre des officiers qui sont morts dans la guerre de 1741, à l'expression des regrets que lui causait la mort prématurée du jeune Vauvenargues. « Tu n'es plus, ô douce espérance du reste de mes jours ! O ami tendre, élevé dans cet invincible régiment du roi, toujours conduit par des héros ! Qui s'est tant signalé dans les tranchées de Prague', dans la bataille de Fontenoi, dans celle de Laufeld où il a décidé la victoire. La retraite de Prague, pendant trente lieues de glaces, jeta dans ton sein les semences de la mort, que mes tristes yeux ont vu depuis se développer: familiarisé avec le trépas, tu le sentis approcher avec cette indifférence que les philosophes s'efforçaient jadis ou d'acquérir ou de montrer;

(1) Son nom était Luc de Clapiers, marquis de Vauvenargues.

Vauvenargues.

a

accablé de souffrances au dedans et au dehors, privé de la vue, perdant chaque jour une partie de toi-même, ce n'était que par un excès de vertu que tu n'étais pas malheureux, et cette vertu ne te coûtait point d'effort. Je t'ai vu toujours le plus infortuné des hommes et le plus tranquille. On ignorerait ce qu'on a perdu en toi, si le cœur d'un homme éloquent n'avait fait l'éloge du tien dans un ouvrage consacré à l'amitié, et embelli par les charmes de la plus touchante poésie. Je n'étais point surpris que dans le tumulte des armes tu cultivasses les lettres et la sagesse : ces exemples ne sont pas rares parmi nous. Si ceux qui n'ont que de l'ostentation ne t'imposèrent jamais, si ceux qui dans l'amitié même ne sont conduits que par la vanité, révoltèrent ton cœur, il y a des âmes nobles et simples qui te ressemblent. Si la hauteur de tes pensées ne pouvait s'abaisser à la lecture de ces ouvrages licencieux, délices passagères d'une jeunesse égarée à qui le sujet plaît plus que l'ouvrage; si tu méprisais cette foule d'écrits que le mauvais goût enfante; si ceux qui ne veulent avoir que de l'esprit, te paraissent si peu de chose, ce goût solide t'était commun avec ceux qui soutiennent toujours la raison contre l'inondation de ce faux goût qui semble nous entraîner à la décadence. Mais par quel prodige avais-tu, à l'âge de vingt-cinq ans, la vraie philosophie et la vraie éloquence, sans autre étude que le secours de quelques bons livres ? Comment avais-tu pris un essor si haut dans le siècle des petitesses? Et comment la simplicité d'un enfant timide couvrait-elle cette profondeur et cette force de génie? Je sentirai long-temps avec amertume le prix de ton amitié, à peine en ai-je goûté les charmes, non pas de cette amitié vaine qui naît dans les vains plaisirs, qui s'envole avec eux, et dont on a toujours à se plaindre, mais de cette amitié solide et courageuse, la plus rare des vertus. C'est ta perte qui mit dans mon cœur ce dessein de rendre quelque honneur aux cendres de tant de défenseurs de l'État, pour élever aussi un monument à la tienne. »

Ce fut chez Voltaire que Marmontel connut Vauvenargues, et comme Voltaire, il conçut pour lui la plus haute estime. Il en a déposé les témoignages dans sa prose et dans ses vers. Dans une épître à Voltaire (1) il parle de ce Socrate nouveau, de ce Vauvenargues :

Qui fit voir à la terre

Un juste dans le monde, un sage dans la guerre,
Un cœur stoïque et tendre, et qui, maître de lui,
Insensible à ses maux, sentait tous ceux d'autrui.

Il dit dans une lettre à madame d'Espagnac, qu'étant jeune encore quand il connut Voltaire et Vauvenargues, il écoutait avidement leurs entretiens intéressans. « Ce que je puis ajouter, continue-t-i., c'est que M. de Voltaire, bien plus âgé que M. de Vauvenargues, avait pour lui le plus tendre respect; et en général, jamais l'attrait de l'éloquence et le charme de la vertu n'ont obtenu un plus doux empire sur les esprits et sur les âmes. Le peu d'écrits qu'il a laissés, sont le fruit des méditations sublimes et profondes qui lui faisaient oublier ses (1) A la tête de la tragédie de Denis le Tyran,

« PreviousContinue »