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du maréchal de Grammont. Il commença d'abord par justifier sa conduite sur les choses générales. Il lui dit ensuite sans paraître embarrassé, et avec assez de fierté, les divers sujets qu'il avait eus de se plaindre de lui, et les raisons qui l'avaient porté à le faire arrêter. Il lui demanda néanmoins son amitié; mais il l'assura en même temps qu'il était libre de la lui accorder ou de la lui refuser, et que le parti qu'il prendrait n'empêcherait pas qu'il ne pût sortir du Havre à l'heure même pour aller où il lui plairait. Apparemment M. le Prince fut facile à promettre ce qu'on désirait de lui. Ils dînèrent ensemble avec toutes les démonstrations d'une grande réconciliation, et incontinent après le cardinal prit congé de lui, et le vit monter en carrosse avec M. le prince de Conti, le duc de Longueville et le maréchal de Grammont. Ils vinrent coucher à trois lieues du Havre dans une maison nommée Grosmenil, sur le chemin de Rouen, où le duc de La Rochefoucauld, M. de La Vrillière, Comminges et le président Viole arrivèrent presque en même temps, et furent témoins des premiers momens de leur joie. Ils recouvrèrent ainsi leur liberté treize mois après l'avoir perdue. M. le Prince avait supporté cette disgrâce avec beaucoup de résolution et de constance, et ne perdit aucune occasion de travailler à faire cesser son malheur. Il fut abandonné de plusieurs de ses amis; mais on peut dire avec vérité que nul autre n'en a trouvé de plus fermes et de plus fidèles que ceux qui lui restèrent. Jamais personne de sa qualité n'a été accusé de moindres crimes, ni arrêté avec moins de sujet ; mais sa naissance, son mérite et son innocence qui devaient avec justice empêcher sa prison, étaient de grands sujets de la faire durer, si la crainte et l'irrésolution du cardinal, et tout ce qui s'éleva en même temps contre lui ne lui eussent fait prendre de fausses mesures dans le commencement et dans la fin de cette affaire.

RETOUR DES PRINCES A PARIS,

ET LEUR RETRAITE A SAINT-MAUR.

LA prison de M. le Prince avait ajouté un nouveau lustre à sa gloire; et il arrivait à Paris avec tout l'éclat qu'une liberté si avantageusement obtenue lui pouvait donner. M. le duc d'Orléans et le parlement l'avaient arrachée des mains de la reine. Le cardinal était à peine échappé de celle du peuple, et sortait du royaume chargé de mépris et de haine. Enfin, ce même peuple qui, un an auparavant, avait fait des feux de joie de la prise de

M. le Prince, venait de tenir la cour assiégée dans le PalaisRoyal pour procurer sa liberté. Sa disgrâce semblait avoir changé en compassion la haine qu'on avait eue pour son humeur et pour sa conduite, et tous espéraient également que son retour rétablirait l'ordre et la tranquillité publique.

Tel était l'état des choses, lorsque M. le Prince arriva à Paris avec M. le prince de Conti, et le duc de Longueville. Une foule innombrable de peuple et de personnes de toutes qualités, alla au-devant de lui jusqu'à Pontoise. Il rencontra à la moitié du chemin M. le duc d'Orléans qui lui présenta le duc de Beaufort et le coadjuteur de Paris, et il fut conduit au Palais-Royal au milieu de ce triomphe et des acclamations publiques : le roi, la reine et M. le duc d'Anjou y étaient demeurés avec les seuls officiers de leur maison, et M. le Prince y fut reçu comme un homme qui était plus en état de faire grâce que de la demander.

Plusieurs ont cru que M. le duc d'Orléans et lui firent une faute très-considérable de laisser jouir la reine plus long-temps de son autorité. Il était facile de la lui ôter. On pouvait faire passer la régence à M. le duc d'Orléans par un arrêt du parlement, et remettre non-seulement entre ses mains la conduite de l'Etat, mais aussi la personne du roi qui manquait seule pour rendre le parti des princes aussi légitime en apparence qu'il était puissant en effet. Tous les partis y eussent consenti, personne ne se trouvant en état ni même en volonté de s'y opposer, tant l'abattement et la fuite du cardinal avaient laissé de consternation à ses amis. Ce chemin si court et si aisé aurait sans doute empêché pour toujours le retour de ce ministre, et ôté à la reine l'espérance de le rétablir. Mais M. le Prince qui revenait comme en triomphe, était encore trop ébloui de l'éclat de sa liberté pour voir distinctement tout ce qu'il pouvait entreprendre. Peutêtre aussi que la grandeur de l'entreprise l'empêcha d'en connaître la facilité. On peut croire même que la connaissant, il ne put se résoudre de laisser passer toute la puissance à M. le duc d'Orléans qui était entre les mains des frondeurs dont M. le Prince ne voulait pas dépendre. D'autres ont cru plus vraisemblablement qu'ils espéraient l'un et l'autre que quelques négociations commencées, et la faiblesse du gouvernement, établiraient leur autorité par des voies plus douces et plus légitimes. Enfin ils laissèrent à la reine son titre et son pouvoir, sans rien faire de solide pour leurs avantages. Ceux qui considéraient leur conduite, et en jugeaient selon les vues ordinaires, remarquaient qu'il leur était arrivé ce qui arrive souvent en de semblables rencontres, même aux plus grands hommes qui ont fait la guerre à leurs souverains, qui est de n'avoir pas su se prévaloir de cer

tains momens favorables et décisifs. Ainsi le duc de Guise aux premières barricades de Paris laissa sortir le roi après l'avoir tenu comme assiégé dans le Louvre tout un jour et une nuit. Et ainsi le peuple de Paris aux dernières barricades passa toute sa fougue à se faire accorder par force le retour de Broussel et du président de Blancmenil, et ne songea point à se faire livrer le cardinal qui les avait fait enlever, et qu'on pouvait sans peine arracher du Palais-Royal qui était bloqué.

Enfin, quelles que fussent les raisons des princes, ils laissèrent échapper une conjoncture si importante, et cette entrevue se passa seulement en civilités ordinaires, sans témoigner d'aigreur de part ni d'autre, et sans parler d'affaires. Mais la reine désirait trop le retour du cardinal pour ne tenter pas toute sorte de voies pour y disposer M. le Prince : elle lui fit offrir par madame la princesse Palatine, de faire une liaison étroite avec lui, et de lui procurer toute sorte d'avantages. Mais comme ces termes étaient généraux, il n'y répondit que par des civilités qui ne l'engageaient à rien. Il crut même que c'était un artifice de la reine pour renouveler contre lui l'aigreur générale, et en le rendant suspect à M. le duc d'Orléans, au parlement et au peuple par cette liaison secrète, l'exposer à retomber dans ses premiers malheurs. Il considérait encore qu'il était sorti de prison par un traité signé avec madame de Chevreuse, par lequel M. le prince de Conti devait épouser sa fille; que c'était principalement par cette alliance que les frondeurs et le coadjuteur de Paris prenaient confiance en lui; et qu'elle faisait aussi le même effet envers le garde des sceaux, M. de Châteauneuf, qui tenait alors la première place dans le conseil, et qui était inséparablement attaché à madame de Chevreuse. D'ailleurs cette cabale subsistait encore avec les mêmes apparences de force et de crédit, et elle lui offrait le choix des établissemens pour lui et pour M. son frère. M. de Châteauneuf venait même de les rétablir tous deux, et le duc de Longueville aussi dans les fonctions de leurs charges; et enfin M. le Prince trouvait du péril et de la honte de rompre avec des personnes dont il avait reçu tant d'avantages, et qui avaient si puissamment contribué à sa liberté.

Quoique ces réflexions fissent balancer M. le Prince, elles ne ralentirent pas le dessein de la reine. Elle désira toujours avec la même ardeur d'entrer en négociation avec lui, espérant ou de l'attacher véritablement à ses intérêts, et s'assurer par là du retour du cardinal, ou de le rendre de nouveau suspect à tous ses amis. Dans cette vue, elle pressa madame la princesse Palatine de faire expliquer M. le Prince sur ce qu'il pouvait désirer pour ui et pour ses amis, et elle lui donna tant d'espérance de l'ob

tenir, que cette princesse le fit enfin résoudre de traiter, et de voir secrètement chez elle MM. Servien et de Lyonne. Il voulut que le duc de La Rochefoucauld s'y trouvât aussi; et il le fit de la participation de M. le prince de Conti et de madame de Longueville.

Le premier projet du traité qui avait été proposé par madame la princesse Palatine, était qu'on donnerait la Guienne à M. le Prince avec la lieutenance générale pour celui de ses amis qu'il voudrait; le gouvernement de Provence pour M. le prince de Conti; qu'on ferait des gratifications à ceux qui avaient suivi ses intérêts; qu'on n'exigerait de lui que d'aller dans son gouvernement, avec ce qu'il choisirait de ses troupes pour sa sûreté ; qu'i y demeurerait sans contribuer au retour du cardinal Mazarin; mais qu'il ne s'opposerait pas à ce que le roi ferait pour le faire revenir; et que, quoi qu'il arrivât, M. le Prince serai libre d'être son ami ou son ennemi, selon que sa conduite lu en donnerait sujet. Ces mêmes conditions furent non-seulement confirmées, mais encore augmentées par MM. Servien et de Lyonne; car, sur ce que M. le Prince voulait faire joindre le gouvernement de Blaye à la lieutenance générale de Guienne pour le duc de La Rochefoucauld, ils lui en donnèrent toutes les espérances qu'il pouvait désirer. Il est vrai qu'ils demandèrent du temps pour traiter avec madame d'Angoulême du gouvernement de Provence, et pour achever de disposer la reine à accorder Blaye; mais apparemment ce fut pour pouvoir rendre compte au cardinal de ce qui se passait, et recevoir ses ordres. Ils s'expliquèrent aussi de la répugnance que la reine avait au mariage de M. le prince de Conti et de mademoiselle de Chevreuse; mais on ne leur donna pas lieu d'entrer plus avant en matière sur ce sujet, et l'on fit seulement connaître que l'engagement qu'on avait pris avec madame de Chevreuse était trop grand pour chercher des expédiens de le rompre. Ils n'insistèrent pas sur cet article, et l'on se sépara de telle sorte qu'on pouvait croire raisonnablement que la liaison de la reine et de M. le Prince était sur le point de se conclure.

L'un et l'autre avaient presque également intérêt que cette négociation fût secrète. La reine devait craindre d'augmenter les défiances de M. le duc d'Orléans et des frondeurs, et de contrevenir sitôt et sans prétexte aux déclarations qu'elle venait de donner au parlement contre le retour du cardinal. M. le Prince de son côté n'avait pas moins de précautions à prendre, puisque le bruit de son traité faisait croire à ses amis qu'il l'avait fait sans leur participation, fournirait un juste prétexte au duc de Bouillon et à M. de Turenne de quitter ses intérêts, le rendrait encore

irréconciliable avec les frondeurs et avec madame de Chevreuse, et renouvelerait au parlement et au peuple l'image affreuse de la dernière guerre de Paris. Cette affaire demeura ainsi quelque temps sans éclater; mais celui qu'on avait pris pour la conclure produisit bientôt des sujets de la rompre et de porter les choses dans les extrémités où nous les avons vues depuis.

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Cependant l'assemblée de la noblesse ne s'était pas séparée, bien que les princes fussent en liberté elle continuait toujours sous divers prétextes. Elle demanda d'abord le rétablissement de ses priviléges, et la réformation de plusieurs désordres particuliers; mais son véritable dessein était d'obtenir les états-généraux, qui étaient en effet le plus assuré et le plus innocent remède qu'on pût apporter pour remettre l'État sur ses anciens fondemens dont la puissance trop étendue des favoris semble l'avoir arraché depuis quelque temps. La suite n'a que trop fait voir combien ce projet de la noblesse eût été avantageux au royaume. Mais M. le duc d'Orléans et M. le Prince ne connaissaient pas leurs véritables intérêts; et voulant se ménager vers la cour et vers le parlement qui craignaient également l'autorité des étatsgénéraux, au lieu d'appuyer les demandes de la noblesse, et de s'attirer par là le mérite d'avoir procuré le repos public, ils songèrent seulement aux moyens de dissiper l'assemblée, et crurent avoir satisfait à tous leurs devoirs en tirant parole de la cour de faire tenir les états six mois après la majorité du roi. En suite d'une promesse si vaine l'assemblée se sépara, et les choses re-` prirent le chemin que je vais dire.

La cour était alors partagée en plusieurs cabales; mais toutes s'accordaient à empêcher le retour du cardinal. Leur conduite néanmoins était différente. Les frondeurs se déclaraient ouvertement contre lui mais le garde des sceaux de Châteauneuf se montrait en apparence attaché à la reine, bien qu'il fût le plus dangereux ennemi du cardinal: il croyait que le meilleur moyen de le tenir éloigné et d'occuper sa place était d'affecter d'entrer dans tous les sentimens de la reine pour hâter son retour. Elle rendait compte de tout au cardinal dans sa retraite, et son éloignement augmentait encore son pouvoir. Mais comme ses ordres venaient lentement, et que l'un était souvent détruit par l'autre, cette diversité apportait dans les affaires une confusion à laquelle on ne pouvait remédier.

Cependant les frondeurs pressaient le mariage de M. le prince de Conti et de mademoiselle de Chevreuse : les moindres retardemens leur étaient suspects; et ils soupçonnaient déjà madame de Longueville et le duc de La Rochefoucauld d'avoir dessein de le rompre, de peur que M. le prince de Contit ne sortit de

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