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toute la diligence possible, mais aussi pour ne laisser pas imaginer aux Espagnols que ce qui venait de lui arriver fût capable de lui faire prendre aucun dessein sans leur participation.

Après cette victoire, le cardinal qui s'était avancé jusqu'à Réthel, retourna à Paris, comme en triomphe, et parut si enflé de cette prospérité, qu'il renouvela dans tous les esprits le dégoût et la crainte de sa domination.

On remarqua alors que la fortune disposa tellement l'événement de cette bataille, que M. de Turenne, qui l'avait perdue, devint par là nécessaire aux Espagnols, et eut le commandement entier de leur armée ; et d'autre part, le cardinal qui s'attribuait la gloire de cette action, réveilla contre lui l'envie et la haine publique. Les frondeurs jugèrent qu'il cesserait de les considérer, parce qu'il cessait d'en avoir besoin, et craignant qu'il ne les opprimât pour régner seul ou pour les sacrifier à M. le Prince, ils eutrèrent dès-lors en traité avec le président Viole, Arnauld et Montreuil, serviteurs particuliers de M. le Prince, qui lui mandaient toutes choses, et recevaient ses réponses.

Ce commencement de négociation en produisit plusieurs particulières et secrètes, tantôt avec M. le duc d'Orléans, madame de Chevreuse, le coadjuteur, et M. de Châteauneuf, et tantôt avec le duc de Beaufort, et madame de Montbason. D'autres traitèrent avec le cardinal directement; mais comme madame la princesse Palatine avait alors plus de part que personne à la confiance des princes et à celle de madame de Longueville, elle avait commencé toutes ces diverses négociations, et était dépositaire de tant d'engagemens, et de tant de traités opposés, que, se voyant chargée tout à la fois d'un si grand nombre de choses contraires, et craignant de devenir suspecte aux uns et aux autres, elle manda au duc de La Rochefoucauld qu'il était nécessaire qu'il se rendît à Paris sans être connu, afin qu'elle lui dît l'état de tous les partis qui s'offraient, et prendre ensemble la résolution de conclure avec celui qui pouvait le plus avancer la liberté des princes.

Le duc de La Rochefoucauld se rendit à Paris avec une extrême diligence, et demeura toujours caché chez la princesse Palatine pour examiner avec elle ce qu'on venait de toutes parts lui proposer. L'intérêt général des frondeurs était l'éloignement et la ruine entière du cardinal, à quoi ils demandaient que les princes contribuassent avec eux de tout leur pouvoir. Madame de Chevreuse désirait que M. le prince de Conti épousât sa fille; qu'après la chute du cardinal on mît M. de Châteauneuf dans la place de premier ministre, et que moyennant cela on

donnerait à M. le Prince le gouvernement de Guienne avec la lieutenance générale de cette province, et Blaye pour celui de ses amis qu'il choisirait, et le gouvernement de Provence pour M. le prince de Conti. Le duc de Beaufort et madame de Montbason n'avaient aucune connaissance de ce projet, et faisaient aussi un traité particulier que les autres ignoraient, lequel consistait seulement à donner de l'argent à madame de Montbason, et à lui faire obtenir pour son fils la survivance, ou la récompense de quelqu'une des charges de son père. Le coadjuteur paraissait sans autre intérêt que ceux de ses amis ; mais outre qu'il croyait rencontrer toute sa grandeur dans la perte du cardinal, il avait une grande liaison avec madame de Chevreuse; et on disait que la beauté de mademoiselle sa fille avait encore plus de pouvoir sur lui : M. de Châteauneuf ne voulut point paraître dans ce traité. Mais comme il avait toujours été également attaché à madame de Chevreuse, et devant et après sa prison, ce fut toujours aussi conjointement qu'ils prirent toutes leurs mesures, premièrement avec le cardinal, et après avec ses ennemis; de sorte qu'on se contenta des paroles que madame de Chevreuse donna pour lui mais comme il était dans une étroite liaison avec les plus considérables personnes de la maison du roi, et qu'il avait dans le parlement beaucoup d'amis dont il pouvait disposer, il consentit qu'ils vissent secrètement madame la princesse Palatine, et qu'ils lui promissent d'entrer avec lui dans tous ses engagemens. Il pouvait encore beaucoup sur l'esprit de M. le duc d'Orléans; et le coadjuteur, madame de Chevreuse et lui l'avaient entièrement disposé à demander la liberté des princes.

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Tout était ainsi préparé, et M. le Prince qui en était exactement averti, semblait pencher à conclure avec les frondeurs. Mais le duc de La Rochefoucauld, qui jusqu'alors avait été ennemi du coadjuteur, de madame de Chevreuse, du duc de Beaufort et de madame de Montbason, voyant les négociations également avancées de tous côtés, et jugeant que si on concluait avec les frondeurs, les princes ne pourraient sortir de prison sans une révolution entière, et qu'au contraire le cardinal qui avait les clefs du Havre, les pouvait mettre en liberté en un moment, il empêcha madame la princesse Palatine de faire ratifier à M. le Prince le traité des frondeurs, pour donner temps au cardinal de se résoudre dans une affaire si importante, et de considérer le péril où il allait se jeter.

Le duc de La Rochefoucauld vit le cardinal trois ou quatre fois avec beaucoup de secret et de mystère ; et ils le désirerent tous deux ainsi, parce que le cardinal craignait extrêmement que

le duc d'Orléans et les frondeurs découvrant cette négociation n'en prissent un sujet de rompre leur liaison, et d'éclater contre lui; et le duc de La Rochefoucauld tenait aussi ces entrevues d'autant plus secrètes, que les frondeurs demandaient comme une condition de leur traité qu'il fût signé de lui : ce qu'il ne voulait ni ne devait faire tant qu'il y aurait lieu d'espérer que le traité du cardinal pourrait être sincère de sa part et de celle des princes. Il reçut même alors un plein pouvoir de madame de Longueville pour réconcilier toute sa maison avec le cardinal, pourvu qu'il remît les princes en liberté.

D'autre part, les frondeurs qui avaient su que le duc de La Rochefoucauld était à Paris, pressèrent pour lui faire signer le traité avec M. le Prince, et témoignèrent de l'inquiétude du retardement qu'il y apportait; de sorte que, se voyant dans la nécessité de conclure promptement avec l'un ou l'autre parti, il voulut voir encore une fois le cardinal; et alors, sans lui rien découvrir des traités particuliers qui se faisaient, il lui représenta seulement les mêmes choses qu'il lui avait dites à Bourg, et le péril qu'il allait courir par le soulèvement de ses ennemis déclarés, et par l'abandonnement général de ses créatures. Il ajouta que les choses étaient à tels termes, que, s'il ne lui donnait ce jour-là une parole précise et positive de la liberté des princes, il ne pouvait plus traiter avec lui, ni différer de se joindre à tous ceux qui désiraient sa perte. Le cardinal voyait beaucoup d'apparence à ces raisons, quoique le duc de La Rochefoucauld ne lui parlât que généralement des cabales qui s'élevaient contre lui, sans entrer dans le particulier d'aucune; et il le fit ainsi pour ne manquer pas au secret qu'on lui avait confié, et pour ne rien dire qui pût nuire au parti qu'il fallait former pour la liberté des princes si le cardinal la refusait. Ainsi le cardinal ne voyant rien de particulier, s'imagina que le duc de La Rochefoucauld lui grossissait les objets, afin de le faire conclure; et il crut que ne lui nommant pas même ses propres ennemis, il n'avait rien d'assuré à lui en dire.

Les choses étaient venues à un point que rien n'était capable de les empêcher d'éclater. M. le duc d'Orléans qui suivait alors les avis et les sentimens de madame de Chevreuse, de M. de Châteauneuf et du coadjuteur, se déclara ouvertement de vouloir la liberté des princes, et ceux-ci désirèrent qu'on conclût le traité avec les frondeurs, et obligèrent le duc de La Rochefoucauld à se réconcilier et à se joindre avec eux. Cette déclaration de M. le duc d'Orléans donna une nouvelle vigueur au parlement et au peuple, et mit le cardinal dans une entière consternation. Les bourgeois prirent les armes. On fit la garde

aux portes, et en moins de six heures, il ne fut plus au pouvoir du roi et de la reine de sortir de Paris. La noblesse voulut avoir part à la liberté des princes, et s'assembla en ce même temps pour la demander. On ne se contentait pas de faire sortir les princes, on voulait encore la vie du cardinal. M. de Châteauneuf voyait aussi augmenter ses espérances. Le maréchal de Villeroi, et presque toute la maison du roi les appuyaient sous main de tout leur pouvoir. Une partie des ministres et plusieurs des plus particuliers amis et des créatures dépendantes du cardinal, faisaient aussi la même chose; et enfin la cour dans aucune autre rencontre n'a jamais mieux paru ce qu'elle est.

Madame de Chevreuse et M. de Châteauneuf gardaient encore alors exactement les apparences; et rien ne les avait rendus suspects au cardinal, tant sa fortune présente et la désertion de ses propres amis lui avaient ôté la connaissance de ce qui se passait contre lui. De sorte qu'ignorant la proposition du mariage de M. le prince de Conti, et considérant seulement madame de Chevreuse comme la personne qui avait le plus contribué à la prison des princes en disposant M. le duc d'Orléans à y consentir, et en ruinant ensuite l'abbé de La Rivière auprès de lui, il eut d'autant moins de défiance des conseils qu'elle lui donna, que son abattement et ses craintes ne lui permettaient pas d'en suivre d'autres que ceux qui allaient à pourvoir à sa sûreté. Il se représentait sans cesse qu'étant au milieu de Paris, il devait tout appréhender de la fureur d'un peuple qui avait osé prendre les armes pour empêcher la sortie du roi. Madame de Chevreuse se servit avec beaucoup d'adresse de la disposition où il était; et désirant en effet son éloignement pour établir M. de Châteauneuf, et pour achever le mariage de sa fille, elle se ménagea si bien sur tout cela qu'elle eut beaucoup de part à la résolution qu'il prit enfin de se retirer. Il sortit le soir de Paris à cheval sans trouver d'obstacle; et suivi de quelques uns des siens, s'en alla à Saint-Germain. Cette retraite n'adoucit point les esprits des Parisiens ni du parlement on craignait même qu'il ne fût allé au Havre pour enlever les princes, et que la reine n'eût dessein en même temps d'emmener le roi hors de Paris. Cette pensée fit prendre de nouvelles précautions. On redoubla toutes les gardes des portes et des rues proches du Palais-Royal; et il y eut encore toutes les nuits, non-seulement des partis de cavalerie par la ville pour s'opposer à la sortie du roi; mais un soir que la reine avait effectivement dessein.de l'emmener, un des principaux officiers de la maison en donna avis à M. le duc d'Orléans, et il envoya Des Ouches à l'heure même supplier la reine de ne persister pas davantage dans un dessein si périlleux, et que tout

le monde était résolu d'empêcher. Mais quelques protestations que la reine pût faire, on n'y voulut ajouter aucune foi: il fallut que des Ouches visitât le Palais-Royal pour voir si les choses paraissaient disposées à une sortie, et qu'il entrât même dans la chambre du roi, afin de pouvoir rapporter qu'il l'avait vu couché dans son lit.

Les affaires étant en ces termes, le parlement de son côté donnait tous les jours des arrêts, et faisait de nouvelles instances à la reine pour la liberté des princes; et ses réponses étant ambigues, aigrissaient les esprits au lieu de les apaiser elle avait cru éblouir le monde en envoyant le maréchal de Grammont amuser les princes d'une fausse négociation, et lui-même l'avait été des belles apparences de ce voyage. Mais comme il ne devait rien produire pour leur liberté, on connut bientôt que tout ce qu'elle avait fait jusqu'alors n'était que pour gagner du temps. Enfin, voyant de toutes parts augmenter le mal, et ne sachant point encore certainement si le cardinal prendrait le parti de délivrer les princes ou de les emmener avec lui; craignant de plus que les esprits aigris de tant de remises ne se portassent à d'étranges extrémités, elle se résolut de promettre solennellement au parlement la liberté des princes sans plus différer; le duc de La Rochefoucauld fut choisi pour aller porter au Havre au sieur de Bar qui les gardait, cet ordre si positif, et qui détruisait tout ceux qu'il aurait pu avoir au contraire. M. de La Vrillière, secrétaire d'état, et Comminges, capitaine des gardes de la reine, eurent charge de l'accompagner pour rendre la chose plus solennelle, et laisser moins de lieu de douter de la sincérité de la reine. Mais tant de belles apparences n'éblouirent pas le duc de La Rochefoucauld, quoiqu'il reçût avec joie une si avantageuse commission. Il dit en partant à M. le duc d'Orléans, que la sûreté de tant d'écrits et de tant de paroles si solennellement données dépendait du soin qu'on apporterait à garder le Palais-Royal, et que la reine se croirait dégagée de tout du moment qu'elle serait hors de Paris. En effet, on a su depuis qu'elle envoya en diligence donner avis de ce voyage au cardinal qui était près d'arriver au Havre, et lui dire que sans avoir égard à ses promesses, et à l'écrit signé du roi, d'elle et des secrétaires d'état, dont le duc de La Rochefoucauld et M. de La Vrillière étaient chargés, il pouvait disposer à son gré de la destinée des princes pendant qu'elle chercherait toute sorte de voies pour tirer le roi hors de Paris.

Cet avis ne fit pas changer de dessein au cardinal : il se résolut au contraire de voir lui-même M. le Prince, et de lui parler en présence de M. le prince de Conti, du duc de Longueville et La Rochefoucauld.

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