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grande perte. Choupes, maréchal-de-camp, y fut blessé, et plusieurs officiers tués. Le duc de Bouillon était dans le cimetière de l'église de Saint-Surin avec ce qu'il avait pu faire sortir de bourgeois pour rafraîchir les postes. Le duc de La Rochefoucauld était à la barricade où se faisait la principale attaque; et après qu'elle eut enfin été emportée, il alla joindre le duc de Bouillon. Beauvais, Chanterac et le chevalier Todias y furent faits prisonniers : le feu fut très-grand de part et d'autre ; il y eut cent ou six vingts hommes de tués du côté des ducs, et près de cinq cents de celui du roi. Le faubourg néanmoins fut emporté; mais on ne passa pas plus outre, et on se résolut d'ouvrir la tranchée pour prendre la demi-lune. On fit aussi une autre attaque par les allées de l'archevêché. J'ai déjà dit qu'il n'y avait point de fossé à la demi-lune. De sorte que pouvant être emporté facilement, les bourgeois n'y voulurent point entrer en garde, et se contentèrent de tirer de derrière leurs murailles. Les assiégeans l'attaquèrent trois fois avec leurs meilleures troupes, et à la dernière ils entrèrent même dedans; mais ils en furent repoussés par le duc de La Rochefoucauld qui y arriva avec ses gardes et ceux de M. le Prince dans le temps que ceux qui défendaient la demiJune avaient plié et en étaient sortis. Trois ou quatre officiers de Noailles furent pris dedans, et le reste fut tué ou chassé. Les assiégés firent trois grandes sorties, à chacune desquelles ils nettoyèrent la tranchée, et brûlèrent le logement des assiégeans. La Chapelle Biron, maréchal-de-camp des troupes du duc de Bouillon, fut tué à la dernière. Enfin, après treize jours de tranchée ouverte, le siége n'était pas plus avancé que le premier jour. Mais comme il y avait trop peu d'infanterie dans Bordeaux sans les bourgeois pour relever la garde des postes attaqués, et que ce qui n'avait point été tué ou blessé, était presque hors de combat à force de tirer, et par la fatigue de treize jours de garde, le duc de Bouillon les fit rafraîchir par la cavalerie qui mit pied à terre; et lui et le duc de La Rochefoucauld y demeurèrent les quatre ou cinq derniers jours sans en partir, afin d'y retenir plus de gens par leur exemple.

Cependant M. le duc d'Orléans et les frondeurs voyant que, non-seulement on transférait les princes à Marcoussi, mais qu'on se disposait à les mener au Havre; et craignant que la chute de Bordeaux ne rendit la puissance du cardinal plus formidable, ils ne voulurent point attendre l'événement du siége de Bordeaux, et firent partir des députés pour s'entremettre de la paix. Ces députés furent les sieurs Le Meunier et Bitaut, conduits par Le Coudrai Montpensier de la part de M. le duc d'Orléans. Ils arrivèrent à Bourg pour faire des propositions de paix au roi : ils en don

nèrent avis au parlement de Bordeaux, et l'on convint de part et d'autre de faire une trêve de quinze jours. Dès qu'elle fut résolue, Le Coudrai Montpensier et les deux députés de Paris entrèrent dans la ville pour y porter les choses au point qu'ils désiraient. La cour voulait la paix, craignant l'événement du siége et voyant les troupes rebutées par une résistance d'autant plus opiniâtre que les assiégés espéraient le secours d'Espagne, et celui du maréchal de La Force qui était sur le point de se déclarer. D'autre part, le parlement de Bordeaux, ennuyé des longueurs et des périls du siége, se déclara pour la paix. Les cabales de la cour, et celles du duc d'Épernon agissaient puissamment pour y disposer le reste de la ville. L'infanterie était ruinée, et les secours d'Espagne avaient trop souvent manqué pour s'y pouvoir encore raisonnablement attendre. Toutes ces raisons firent résoudre le parlement de Bordeaux à envoyer les députés à Bourg, où était la cour. Il convia madame la Princesse et les ducs de Bouillon et de La Rochefoucauld d'y envoyer aussi. Mais comme ils n'avaient d'autres intérêts que la liberté des princes, et qu'ils ne pouvaient désirer la paix sans cette condition, ils se contentèrent de ne s'y opposer point, puisqu'aussi bien ils ne la pouvaient empêcher. Ils refusèrent donc d'y envoyer de leur part, et prièrent seulement les députés de la ville de ménager la sûreté et la liberté de madame la Princesse et de M. le duc d'Enguien avec le rétablissement de tout ce qui avait été dans leur parti. Les députés allèrent à Bourg, et y traitèrent et conclurent la paix avec le cardinal Mazarin sans en communiquer les articles à madame la Princesse ni aux ducs de Bouillon et de La Rochefoucauld. Les conditions étaient que le roi serait reçu dans Bordeaux en la manière qu'il a accoutumé de l'être dans les autres villes de son royaume. Que les troupes qui avaient soutenu le siége en sortiraient, et pourraient aller en sûreté joindre l'armée de M. de Turenne à Stenay; que tous les priviléges de la ville et du parlement seraient maintenus; que le château Trompette demeurerait démoli; que madame la Princesse et M. le duc d'Enguien pourraient se retirer à Montrond où le roi entretiendrait pour leur sûreté une très-petite garnison qui serait choisie deleur main; que le duc de Bouillon pourrait aller à Turenne, et le duc de La Rochefoucauld se retirer chez lui sans faire les fonctions de sa charge de gouverneur de Poitou, et sans avoir aucun dédommagement pour sa maison de Verteuil que le roi avait

fait raser.

Dans le temps que madame la Princesse et M. son fils sortaient de Bordeaux par eau, accompagnés des ducs de Bouillon et de La Rochefoucauld pour aller mettre pied à terre à Lormont, et

prendre le chemin de Coutras, ils rencontrèrent le maréchal de La Meilleraie qui allait en bateau à Bordeaux. Il se mit dans celui de madame la Princesse, et lui proposa d'abord d'aller à Bourg voir le roi et la reine, lui faisant espérer qu'on accorderait peut-être aux prières et aux larmes d'une femme ce qu'on avait cru devoir refuser lorsqu'on l'avait demandé les armes à la main. Quelque répugnance qu'eût madame la Princesse à faire ce voyage, les ducs de Bouillon et de La Rochefoucauld lui conseillèrent de la surmonter, et de suivre l'avis du maréchal de La Meilleraie, afin qu'on ne pût lui reprocher d'avoir négligé aucune voie pour obtenir la liberté de M. son mari; outre qu'ils jugeaient bien qu'une entrevue comme celle-là, qui ne pourrait avoir été concertée avec les frondeurs ni avec M. le duc d'Orléans, leur donnerait sans doute de l'inquiétude, et pourrait produire des effets considérables. Le maréchal de La Meilleraie retourna à Bourg porter la nouvelle de l'acheminement de madame la Princesse et de sa suite. Ce changement si soudain surprit Mademoiselle, et lui fit croire que l'on traitait beaucoup de choses sans la participation de M. son père; elle y fut encore confirmée par les longues et particulières conférences que le duc de Bouillon et le duc de La Rochefoucauld eurent séparément avec le cardinal dans le dessein de le faire résoudre de donner la liberté aux princes, ou au moins de le rendre suspect à M. le duc d'Orléans. Ils étaient convenus de parler au cardinal dans le même sens, et de lui représenter que M. le Prince lui serait d'autant plus obligé de cette grâce, qu'il savait bien qu'il n'y était pas contraint par la guerre; qu'il lui était glorieux de faire voir qu'il pouvait le ruiner et le rétablir en un moment ; que le procédé des frondeurs lui devait faire connaître leur dessein d'avoir les princes en leur disposition, afin de les perdre s'il leur était avantageux, ou de le perdre lui-même avec plus de facilité en leur donnant la liberté, et en les engageant par ce moyen à travailler de concert à sa ruine, et à celle de la reine : que la guerre était finie en Guienne; mais que le dessein de la recommencer dans tout le royaume ne finirait jamais qu'avec la prison des princes, et qu'il devait en être d'autant plus persuadé, qu'euxmêmes ne craignaient pas de le lui dire lorsqu'ils étaient entre ses mains, et n'avaient autre sûreté que sa parole. Ils lui représentèrent encore que les cabales se renouvelaient de toutes parts dans le parlement de Paris et dans les autres parlemens du royaume pour procurer la liberté des princes, ou pour les ôter de ses mains. Que pour eux, ils lui déclaraient qu'ils favoriseraient tous les desseins qu'on ferait pour les tirer de prison, et que tout ce qu'ils pouvaient faire pour lui, était de souhaiter qu'ils lui en eussent

l'obligation préférablement à tous autres. Ce fut à peu près le discours qu'ils tinrent au cardinal, et il eut une partie du succès qu'ils désiraient; car, outre qu'il en fut ébranlé, il donna de la jalousie à M. le duc d'Orléans et aux frondeurs. Il leur ôta l'espérance d'avoir les princes entre leurs mains, et les fit enfin résoudre à se réunir avec eux, et à chercher de nouveau les moyens de perdre le cardinal, comme on le verra dans la suite.

Pendant que les choses se passaient ainsi, et que les soins de la cour étaient employés à pacifier les désordres de la Guienne, M. de Turenne tirait de grands avantages de l'éloignement du roi. Il avait obligé les Espagnols à lui donner le commandement d'une partie de leurs troupes et de celles de M. de Lorraine. Il avait joint tout ce qu'il avait pu conserver de celles de M. le Prince. Il était maître de Stenay, et n'avait point d'ennemis qui lui fussent opposés. Ainsi rien ne l'empêchait d'entrer en France, et d'y faire des progrès considérables, que la répugnance que les Espagnols ont accoutumé d'avoir pour des desseins de cette nature, parce qu'ils craignent également de hasarder leurs troupes pour des avantages qui ne les regardent pas directement, et de se mettre en état qu'on leur puisse ôter la communication de leur pays. De sorte qu'ils crurent faire beaucoup d'assiéger Mouzon, qu'ils ne prirent qu'après un mois de tranchée ouverte. Néanmoins M. de Turenne surmonta toutes leurs difficultés, et les fit résoudre avec une extrême peine de marcher droit à Paris, espérant que sa présence avec ses forces, et l'éloignement du roi, y apporteraient assez de confusion et de trouble pour lui donner lieu d'entreprendre beaucoup de choses. Les amis de M. le Prince commencèrent aussi alors à former des entreprises particulières pour le tirer de prison. Le duc de Nemours s'était déclaré ouvertement pour ses intérêts; et enfin tout semblait contribuer au dessein de M. de Turenne. Pour ne pas donc perdre des conjonctures si favorables, il entra en Champagne, et prit d'abord Château-Portien et Réthel qui firent peu de résistance. Il s'avança ensuite jusqu'à la Ferté-Milon; mais y ayant appris qu'on avait transféré les princes au Havre-de-Grâce, les Espagnols ne voulurent pas passer plus outre, et il ne fut plus au pouvoir de M. de Turenne de s'empêcher de retourner à Stenay avec l'armée. Cependant il donna ses ordres pour fortifier Réthel, et il laissa Delli-Ponty avec une garnison espagnole, ne croyant pas pouvoir mieux choisir pour confier une place qui était devenue très-importante, que de la donner à un homme qui en avait si glorieusement défendu trois ou quatre des plus considérables de Flandre.

Le bruit de ce que je viens de dire, hâta le retour de la cour; et les frondeurs qui avaient été unis au cardinal tant que les princes étaient demeurés à Vincennes et à Marcoussi, dans l'espérance de les avoir en leur pouvoir, la perdirent entièrement lorsqu'ils les virent conduire au Havre. Ils cachèrent toutefois leur ressentiment contre lui sous les mêmes apparences dont ils s'étaient servis pour cacher leurs liaisons. Car, bien que depuis la prison des princes ils eussent essayé de tirer sous main tous les avantages possibles de leur réconciliation avec le cardinal, ils affectaient toujours néanmoins de son consentement de faire croire qu'ils n'avaient point changé le dessein de le perdre, afin de conserver leur crédit parmi le peuple. De sorte que ce qu'ils faisaient dans le commencement, de concert avec le cardinal, leur servit contre lui-même dans le temps qu'ils désirèrent tout de bon de le ruiner. Leur haine s'augmenta encore par la hauteur avec laquelle le cardinal traita tout le monde à son retour. Il se persuada aisémeut qu'ayant fait conduire les princes au Havre et pacifié la Guienne, il s'était mis au-dessus des cabales. De sorte qu'il négligea ceux dont il avait le plus de besoin, et ne songea qu'à assembler un corps d'armée pour reprendre Réthel et Château-Portien. Il en donna le commandement au maréchal du Plessis-Praslin; il le fit partir avec beaucoup de diligence pour investir Réthel, et résolut de se rendre à l'armée dans la fin du siége pour en avoir toute la gloire.

M. de Turenne donna avis aux Espagnols du dessein du cardinal, et se prépara pour s'y opposer. Delli-Ponty avait répondu de tenir un temps assez considérable, et M. de Turenne prit sur cela ses mesures avec les Espagnols pour le secourir. Son dessein était de marcher avec une extrême diligence à Réthel, et de faire l'une des deux choses, ou d'obliger le maréchal du Plessis à lever le siége, ou de charger les quartiers de son armée séparés; mais la lâcheté ou l'infidélité de Delli-Ponty rendit non-seulement ses desseins inutiles, mais le contraignit de combattre avec désavantage, et lui fit perdre la bataille; car DelliPonty s'étant rendu six jours plus tôt qu'il n'avait promis, le maréchal du Plessis, fortifié de nouvelles troupes, marcha une journée au-devant de M. de Turenne, qui, ne pouvant éviter un combat si inégal, le donna avec beaucoup de valeur, mais avec un fort malheureux succès. Il rallia ce qu'il put de ses troupes, et au lieu de se retirer à Stenay où sa présence semblait être nécessaire, principalement pour raffermir les esprits étonnés de la perte de la bataille, il jugea plus à propos d'aller trouver le comte de Fuensaldagne, non-seulement pour prendre ensemble leurs mesures sur les affaires présentes avec

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