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et s'assurer de ses amis, des places du duc de Longueville, et du Havre de Grâce. Mais comme il fallait, pour pouvoir sortir de Paris, qu'elle ne fût point connue, et comme elle voulait emmener avec elle mademoiselle de Longueville, et que n'ayant ni son carrosse, ni ses gens, elle était obligée de les attendre en un lieu où on ne pût la découvrir, elle se retira dans une maison particulière d'où elle vit les feux de joie et les autres marques de la réjouissance publique pour la détention de messieurs ses frères et de son mari. Enfin, ayant les choses nécessaires pour sortir, le prince de Marsillac l'accompagna en ce voyage. Mais après avoir essayé inutilement de gagner le parlement de Rouen, elle se retira à Dieppe, qui ne lui servit de retraite que jusqu'à la venue de la cour qui fut si prompte, et qui la pressa de telle sorte, que pour se garantir d'être arrêtée par les bourgeois de Dieppe, et par Le Plessis Belière qui y était allé avec des troupes de la part du roi, elle fut contrainte de s'embarquer avec beaucoup de péril et de passer en Hollande pour gagner Stenay, où M. de Turenne s'était retiré aussitôt que les princes avaient

été arrêtés.

Le prince de Marsillac partit de Dieppe quelque temps avant madame de Longueville, et s'en alla dans son gouvernement de Poitou pour y disposer les choses à la guerre, et pour essayer avec les ducs de Bouillon, de Saint-Simon et de La Force de renouveler les mécontentemens du parlement et de la ville de Bordeaux, afin de les obliger à prendre les intérêts de M. le Prince comme y étant engagés, puisque les manifestes de la cour depuis sa prise ne lui imputaient point de plus grand crime que d'avoir protégé avec trop de chaleur les intérêts de leur ville.

L'autorité de la cour parut alors plus affermie que jamais par la prison des princes, et par la réconciliation des frondeurs. La Normandie avait reçu le roi avec une entière soumission, et les places du duc de Longueville s'étaient rendues sans résistance. Le duc de Richelieu fut chassé du Havre. La Bourgogne imita la Normandie. Bellegarde fit une résistance honteuse. Le château de Dijon, et Saint-Jean-de-Losne suivirent l'exemple des places de M. de Longueville. Le duc de Vendôme fut pourvu du gouvernement de Bourgogne ; le comte d'Harcourt de celui de Normandie; le maréchal de L'Hôpital de ceux de Champagne et de Brie, et le comte de Saint-Aignan de celui de Berri. Montrond ne fut pas donné, parce qu'il n'y avait point de garnison; celles de Clermont et de Damvilliers se révoltèrent; Marchin, qui commandait l'armée de Catalogne, fut arrêté prisonnier : on lui ôta Tortose, dont il était gouverneur ; et du côté de Champagne il n'y eut que Stenay qui demeura dans le parti des princes;

et presque tous leurs amis voyant tant de malheurs arrivés en si peu de temps, se contentèrent de les plaindre sans se mettre en devoir de les secourir.

Madame de Longueville et M. de Turenne s'étaient, comme je l'ai dit, retirés à Stenay, le duc de Bouillon à Turenne. Le prince de Marsillac, que l'on nommera désormais le duc de La Rochefoucauld par la mort de son père arrivée en ce même temps, était dans ses maisons en Angoumois; le duc de SaintSimon dans son gouvernement de Blaye, et le maréchal de La Force en Guienne.

Ils témoignèrent d'abord un zèle égal pour M. le Prince; et lorsque les ducs de Bouillon et de La Rochefoucauld eurent fait ensemble le projet de la guerre de Guienne, le duc de SaintSimon, à qui ils en donnèrent avis, offrit de recevoir M. le duc d'Enguien à sa place; mais ce sentiment ne lui dura pas long-temps.

Cependant le duc de La Rochefoucauld jugeant de quelle importance il était au parti de faire voir qu'on prenait les armes, non-seulement pour la liberté de M. le Prince, mais encore pour la conservation de celle de M. son fils, il envoya Gourville, de la participation du duc de Bouillon, à madame la Princessse la mère (reléguée à Chantilli, et gardée par un exempt, aussi-bien que madame la Princesse sa belle-fille et M. le duc d'Enguien), avec charge de lui dire l'état des choses, et de lui faire comprendre que la personne de M. le duc d'Enguien étant exposée à toutes les rigueurs de la cour, il fallait l'en mettre à couvert pour être l'un des principaux instrumens de la liberté de M. son père qu'il était nécessaire pour ce dessein que lui et madame la Princesse sa mère se rendissent secrètement à Brezé en Anjou près de Saumur, où le duc de La Rochefoucauld offrait de les aller prendre avec cinq cents gentilshommes, et de les conduire à Saumur, si le dessein qu'il avait sur cette place réussissait; ou en tout cas les mener à Turenne où le duc de Bouillon se joindrait à eux pour les accompagner à Blaye, en attendant que lui et le duc de Saint-Simon eussent achevé de disposer le parlement et la ville de Bordeaux à les recevoir. Quelqu'avantageuse que fût cette proposition, il était difficile de prévoir si elle serait suivie ou rejetée par madame la Princesse douairière, dont l'humeur inégale, timide et avare, était peu propre à entreprendre et à soutenir un tel dessein.

Toutefois, bien que le duc de La Rochefoucauld fût incertain du parti qu'elle prendrait, il se crut obligé de se mettre en état d'exécuter ce qu'il lui avait envoyé proposer, et d'assembler pour ce sujet ses amis sous un prétexte qui ne fit rien connaître

de son intention, afin d'être prêt à partir dans le temps de l'arrivée de Gourville qu'il attendait à toute heure. Il crut n'en pouvoir prendre un plus spécieux que celui de l'enterrement de son père, dont la cérémonie se devait faire à Verteuil, l'une de ses maisons. Il convia pour cet effet toute la noblesse des provinces voisines, et manda à tout ce qui pouvait porter les armes dans ses terres de s'y trouver; de sorte qu'en très-peu de temps il assembla plus de deux mille chevaux et huit cents hommes de pied. Outre ce corps de noblesse et d'infanterie, Bins, colonel allemand, lui promit de se joindre à lui avec son régiment pour servir M. le Prince, et ainsi le duc de La Rochefoucauld se crut en état d'exécuter en même temps deux desseins considérables pour le parti qui se formait : l'un était celui qu'il avait envoyé proposer à madame la Princesse douairière, et l'autre était de se saisir de Saumur.

Ce gouvernement avait été donné à Guitaut après la mort du maréchal de Brezé, pour récompense d'avoir arrêté M. le Prince. C'est une place qui se pouvait rendre très-importante dans une guerre civile, étant située au milieu du royaume et sur la rivière de Loire entre Tours et Angers; un gentilhomme nommé de Mons y commandait sous le maréchal de Brezé; et sachant que Comminges, neveu de Guitaut, y allait avec les ordres du roi, et menait deux mille hommes de pied pour l'assiéger s'il refusait de sortir, il différa sur quelque prétexte qu'il prit de remettre la place entre les mains de Comminges, et manda au duc de La Rochefoucauld qu'il l'en rendrait maître, et prendrait son parti s'il voulait y mener des troupes; le marquis de Jarzay lui offrit aussi de se jeter dans la place avec ses amis, et de la défendre, pourvu que le duc de La Rochefoucauld lui promît par écrit de le venir secourir dans le temps qu'il lui avait marqué. Ces conditions furent d'autant plus volontiers acceptées et signées du duc de la Rochefoucauld, que les deux desseins dont je viens de parler convenaient ensemble, et se pouvaient exécuter en même temps.

Dans cette vue, le duc de La Rochefoucauld fit assembler toute la noblesse qui était chez lui pour les funérailles de son père, et leur dit qu'ayant évité d'être arrêté prisonnier à Paris avec M. le Prince, il se trouvait peu en sûreté dans ses terres qui étaient environnées de gens de guerre qu'on avait affecté de disperser tout autour sous le prétexte du quartier d'hiver, mais en effet, pour pouvoir le surprendre dans sa maison : qu'on lui offrait une retraite assurée dans une place voisine, et qu'il demandait à ses véritables amis de l'y vouloir accompagner, et laissait la liberté aux autres de faire ce qu'ils voudraient. Plusieurs parurent

embarrassés de cette proposition, et prirent divers prétextes pour se retirer. Le colonel Bins fut un des premiers qui lui manqua de parole; mais il y eut sept cents gentilshommes qui lui promirent de le suivre. Avec ce nombre de cavalerie, et l'infanterie qu'il avait tirée de ses terres, il prit le chemin de Saumur, qui était celui que Gourville devait prendre pour le venir joindre, ce qu'il fit le même jour. Il lui rapporta que madame la Princesse la mère avait approuvé son conseil ; qu'elle se résolvait de le suivre; mais qu'étant obligée de garder des mesures pour la cour, elle avait besoin de temps et de beaucoup de précaution pour exécuter un dessein dont les suites devaient être si grandes; qu'elle était peu en état d'y contribuer de son argent, et que tout ce qu'elle pouvait faire alors était de lui envoyer vingt mille francs. Le duc de La Rochefoucauld voyant son premier dessein retardé, se résolut de continuer celui de Saumur; mais bien qu'il y arrivât huit jours avant la fin du temps que le gouverneur lui avait promis de tenir, il trouva la capitulation faite, et que le marquis de Jarzay n'avait point exécuté ce dont il était convenu avec lui: de sorte qu'il fut obligé de retourner sur ses pas. Il défit dans sa marche quelques compagnies de cavalerie des troupes du roi, et étant arrivé chez lui, il congédia la noblesse qui l'avait suivi, et en repartit bientôt après, parce que le maréchal de La Meilleraie marchant vers lui avec toutes ses troupes, il se trouvait obligé de se retirer à Turenne chez le duc de Bouillon, après avoir jeté dans Montrond cinq cents hommes de pied, et cent chevaux qu'il avait levés et armés avec une diligence extrême.

En arrivant à Turenne, le duc de Bouillon et lui eurent nouvelles que madame la Princesse et M. le duc d'Enguien ayant suivi leur conseil étaient partis secrètement de Montrond, et s'en venaient à Turenne pour se mettre entre leurs mains. Mais ils apprirent en même temps que le duc de Saint-Simon ayant reçu des lettres de la cour, et su la prise de Bellegarde, n'était plus dans les mêmes sentimens, et que son soudain changement avait refroidi tous ses amis de Bordeaux, qui, jusque-là, paraissaient les plus zélés pour les intérêts de M. le Prince. Néanmoins Langlade, dont le duc de Bouillon s'était servi dans toute cette négociation, et qui sait mieux que nul autre tout ce qui se passa dans cette guerre, les raffermit avec beaucoup de peine et d'adresse, et revint en donner avis au duc de Bouillon, qui assembla trois cents gentilshommes de ses amis pour aller recevoir madame la Princesse et M. son fils. Le duc de La Rochefoucauld manda aussi ses amis qui le vinrent joindre bientôt après au nombre de trois cents gentilshommes conduits par le marquis La Rochefoucauld.

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de Sillery, bien que le maréchal de La Meilleraie les menaçât de les faire piller par ses troupes s'ils retournaient le trouver.

Le duc de Bouillon, outre ses amis, leva douze cents hommes d'infanterie de ses terres, et sans attendre les troupes du marquis de Sillery, ils marchèrent ainsi vers les montagnes d'Auvergne par où madame la Princesse et M. son fils devaient passer, étant conduits par Chavaignac. Les ducs de Bouillon et de La Rochefoucauld les attendirent deux jours avec leurs troupes dans un lieu nommé la Bomie, où madame la Princesse et M. son fils étant enfin arrivés avec des fatigues insupportables à des personnes d'un sexe et d'un âge si peu capables d'en souffrir, ils les conduisirent à Turenne, où s'étaient rendus en même temps les comtes de Meille, de Coligny, Guitaut, le marquis de Cessac, Beauvais, Chanterac, Briole, le chevalier de Rivière et beaucoup de personnes de qualité et d'officiers des troupes de M. le Prince qui servirent durant cette guerre avec beaucoup de fidélité et de valeur. Madame la Princesse demeura huit jours à Turenne, pendant lesquels on prit Brives-la-Gaillarde, et cent maîtres de la compagnie de gendarmes du prince Thomas qui s'y

étaient retirés.

Ce séjour que l'on fit à Turenne par nécessité, en attendant qu'on eût remis la plupart des esprits de Bordeaux, chancelans et découragés par la conduite du duc de Saint-Simon, et qu'on y pût aller en sûreté, donna loisir au général de La Valette, frère naturel du duc d'Épernon qui commandait l'armée du roi, de se trouver sur le chemin de madame la Princesse, pour lui empêcher le passage; mais étant demeuré à une maison du duc de Bouillon nommée Rochefort, lui et le duc de la Rochefoucauld marchèrent au général de La Valette, et le joignirent à Montclar en Périgord, d'où ayant lâché le pied sans combattre, il se retira par des bois à Bergerac après avoir perdu son bagage. Madame la Princesse reprit ensuite le chemin de Bordeaux sans rien trouver qui s'opposât à son passage. Il ne restait plus qu'à surmonter les difficultés qui se rencontraient dans la ville. Elle était partagée en diverses cabales. Les créatures du duc' d'Épernon, et ceux qui suivaient les nouveaux sentimens du duc de Saint-Simon, s'étaient joints avec ceux qui servaient la cour, et entre autres avec le sieur de Lavie, avocat-général au parlement de Bordeaux, homme habile et ambitieux. Ils faisaient tous leurs efforts pour faire fermer les portes de la ville à madame la Princesse. Néanmoins dès qu'on sut à Bordeaux qu'elle et M. le duc d'Enguien devaient arriver à Lormont près de la ville, on y vit des marques publiques de réjouissance. Un trèsgrand nombre de gens sortirent au-devant d'eux : on couyrit

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