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je n'ai presque point d'attache à ce que je dis. Je suis fort resserré et je ne suis pas même extrêavec ceux que je ne connais pas, mement ouvert avec la plupart de ceux que je connais. C'est un défaut, je le sais bien, et je ne négligerai rien pour m'en corriger; mais comme un certain air sombre que j'ai dans le visage contribue à me faire paraître encore plus réservé que je ne le suis, et qu'il n'est pas en notre pouvoir de nous défaire d'un méchant air qui nous vient de la disposition naturelle des traits, je pense qu'après m'être corrigé au dedans, il ne laissera pas de me demeurer toujours de mauvaises marques au dehors.

J'ai de l'esprit, et je ne fais point difficulté de le dire; car à quoi bon façonner là-dessus? Tant biaiser et tant apporter d'adoucissement pour dire les avantages que l'on a, c'est, ce me semble, cacher un peu de vanité sous une modestie apparente, et se servir d'une manière bien adroite pour faire croire de soi beaucoup plus de bien que l'on n'en dit. Pour moi, je suis content qu'on ne me croie ni plus beau que je me fais, ni de meilleure humeur que je me dépeins, ni plus spirituel et plus raisonnable que je le suis. J'ai donc de l'esprit, encore une fois, mais un esprit que la mélancolie gâte; car encore que je possède assez bien ma langue, que j'aie la mémoire heureuse, et que je ne pense pas les choses fort confusément, j'ai pourtant une si forte application à mon chagrin, que souvent j'exprime assez mal ce que je veux dire.

La conversation des honnêtes gens est un des plaisirs qui me touchent le plus. J'aime qu'elle soit sérieuse, et que la morale en fasse la plus grande partie. Cependant je sais la goûter aussi lorsqu'elle est enjouée; et si je ne dis pas beaucoup de petites choses pour rire, ce n'est pas du moins que je ne connaisse pas ce que valent les bagatelles bien dites, et que je ne trouve fort divertissante cette manière de badiner, où il y a certains esprits prompts et aisés qui réussissent si bien. J'écris bien en prose, je fais bien en vers; et si j'étais sensible à la gloire qui vient de ce côté-là, je pense qu'avec peu de travail je pourrais m'acquérir assez de réputation.

J'aime la lecture, en général; celle où il se trouve quelque chose qui peut façonner l'esprit et fortifier l'âme, est celle que j'aime le plus. Surtout j'ai une extrême satisfaction à lire avec une personne d'esprit; car, de cette sorte, on réfléchit à tout moment sur ce qu'on lit; et des réflexions que l'on fait, il se forme une conversation la plus agréable du monde et la plus utile.

Je juge assez bien des ouvrages de vers et de prose que l'on me montre; mais j'en dis peut-être mon sentiment avec un peu trop de liberté. Ce qu'il y a encore de mal en moi, c'est que j'ai quel

:

quefois une délicatesse trop scrupuleuse, et une critique trop sévère. Je ne hais pas entendre disputer, et souvent aussi je me mêle assez volontiers dans la dispute mais je soutiens d'brdinaire mon opinion avec trop de chaleur; et lorsqu'on défend un parti injuste contre moi, quelquefois, à force de me passionner pour la raison, je deviens moi-même fort peu raisonnable.

J'ai les sentimens vertueux, les inclinations belles, et une si forte envie d'être tout-à-fait honnête homme, que mes amis ne me sauraient faire un plus grand plaisir que de m'avertir sincèrement de mes défauts. Ceux qui me connaissent un peu particulièrement, et qui ont eu la bonté de me donner quelquefois des avis là-dessus, savent que je les ai toujours reçus avec toute la joie imaginable et toute la soumission d'esprit que l'on saurait

désirer.

J'ai toutes les passions assez douces et assez réglées : on ne m'a presque jamais vu en colère, et je n'ai jamais eu de haine pour personne. Je ne suis pas pourtant incapable de me venger, si l'on m'avait offensé, et qu'il y allât de mon honneur à me ressentir de l'injure qu'on m'aurait faite. Au contraire, je suis assuré que le devoir ferait si bien en moi l'office de la haine, que je poursuivrais ma vengeance avec encore plus de vigueur qu'un

autre.

L'ambition ne me travaille point. Je ne crains guère de choses, et ne crains aucunement la mort. Je suis peu sensible à la pitié, et je voudrais ne l'y être point du tout. Cependant il n'est rien que je ne fisse pour le soulagement d'une personne affligée ; et je crois effectivement que l'on doit tout faire jusqu'à lui témoigner même beaucoup de compassion de son mal; car les misérables sont si sots, que cela leur fait le plus grand bien du monde: mais je tiens aussi qu'il faut se contenter d'en témoigner, et se garder soigneusement d'en avoir. C'est une passion qui n'est bonne à rien au dedans d'une âme bien faite, qui ne sert qu'à affaiblir le cœur, et qu'on doit laisser au peuple, qui, n'exécutant jamais rien par raison, a besoin de passions pour le porter à faire les choses.

J'aime mes amis ; et je les aime d'une façon que je ne balancerais pas un moment à sacrifier mes intérêts aux leurs. J'ai de la condescendance pour eux ; je souffre patiemment leurs mauvaises humeurs seulement je ne leur fais beaucoup de caresses, et je n'ai pas non plus de grandes inquiétudes en leur absence.

J'ai naturellement fort peu de curiosité pour la plus grande partie de tout ce qui en donne aux autres gens. Je suis fort secret, et j'ai moins de difficulté que personne à taire ce qu'on m'a dit en confidence. Je suis extrêmement régulier à ma parole; je n'y

manque jamais, de quelque conséquence que puisse être ce que j'ai promis; et je m'en suis fait toute ma vie une loi indispensable. J'ai une civilité fort exacte parmi les femmes ; et je ne crois pas avoir jamais rien dit devant elles qui leur ait pu faire de la peine. Quand elles ont l'esprit bien fait, j'aime mieux leur conversation que celle des hommes; on y trouve une certaine douceur qui ne se rencontre point parmi nous; il me semble, outre cela, qu'elles s'expliquent avec plus de netteté, et qu'elles donnent un tour plus agréable aux choses qu'elles disent. Pour galant, je l'ai été un peu autrefois; présentement je ne le suis plus, quelque jeune que je sois. J'ai renoncé aux fleurettes, et je m'étonne seulement de ce qu'il y a encore tant d'honnêtes gens qui s'occupent à en débiter.

J'approuve extrêmement les belles passions; elles marquent la grandeur de l'âme et quoique dans les inquiétudes qu'elles donnent, il y ait quelque chose de contraire à la sévère sagesse, elles s'accommodent si bien d'ailleurs avec la plus austère vertu, que je crois qu'on ne les saurait condamner avec justice. Moi qui connais tout ce qu'il y a de délicat et de fort dans les grands sentimens de l'amour, si jamais je viens à aimer, ce sera assurément de cette sorte; mais de la façon dont je suis, je ne crois pas que cette connaissance que j'ai, me passe jamais de l'esprit au cœur.

La persécution que j'avais soufferte, durant l'autorité du car

et

dinal de Richelieu, étant finie avec sa vie, je crus devoir retourner à la cour. La mauvaise santé du roi et le peu de disposition où il était de confier ses enfans et son état à la reine, me faisaient espérer de trouver bientôt des occasions considérables de la servir, et de lui donner, dans l'état présent des choses, les mêmes marques de fidélité qu'elle avait reçues de moi, dans toutes les rencontres, où ses intérêts et ceux de madame de Chevreuse avaient été contraires à ceux du cardinal de Richelieu. J'arrivai à la cour, que je trouvai aussi soumise à ses volontés après sa mort, qu'elle l'avait été durant sa vie. Ses parens et ses créatures y avaient les mêmes avantages qu'il leur avait procurés; par un effet de sa fortune, dont on trouvera peu d'exemples, le roi qui le haïssait, et qui souhaitait sa perte, fut contraint non-seulement de dissimuler ses sentimens, mais même d'autoriser la disposition qu'il avait faite par son testament, des principales charges et des plus importantes places de son royaume. Richelieu avait encore choisi le cardinal Mazarin pour lui succéder au gouvernement des affaires; et ainsi il fut assuré de régner bien plus absolument après sa mort, que le roi son maître n'avait pu faire depuis trente-trois ans qu'il était parvenu à la couronne. Néanmoins, comme la santé du roi était désespérée, il y avait apparence que les choses changeraient bientôt de face, et que la reine ou Monsieur venant à la régence se vengeraient sur les restes du cardinal de Richelieu, des outrages qu'ils avaient reçus de lui.

Le cardinal Mazarin, M. de Chavigny et M. des Noyers, qui avaient alors le plus de part aux affaires, voulurent prévenir ce mal-là, et se servir du pouvoir qu'ils avaient sur l'esprit du roi, pour l'obliger à déclarer la reine régente, et pour se réconcilier avec elle par ce service, qui devait paraître d'autant plus considérable à la reine, qu'elle croyait le roi très-éloigné de cette pensée, par le peu d'inclination qu'il avait toujours eue pour elle, et par la liaison qu'il croyait qu'elle avait encore avec les Espagnols, par le moyen de madame de Chevreuse qui s'était réfugiée en Espagne, et qui était alors à Bruxelles.

M. des Noyers fut le premier qui donna des espérances à la reine de pouvoir porter le roi, par son confesseur, à l'établir régente, croyant par là faire une liaison étroite avec elle, à l'exclusion de M. de Chavigny qu'elle avait considéré davantage du vivant du cardinal de Richelieu. Mais M. des Noyers se trouva

peu de temps après bien éloigné de ses desseins, car le confesseur eut ordre de se retirer, et lui-même fut chassé ensuite. Il me parut que ce changement-là n'avait rien diminué des espérances de la reine, et qu'elle attendait du cardinal Mazarin et de M. de Chavigny, le même service que M. des Noyers avait eu dessein de lui rendre. Ils lui donnaient tous les jours l'un et l'autre toutes les assurances qu'elle pouvait désirer de leur fidélité, et elle en attendait des preuves lorsque la maladie du roi augmentant à un point qu'il ne lui restait aucune espérance de guérison, leur donna lieu de lui proposer de régler toutes choses, pendant que sa santé lui pouvait promettre de choisir lui-même une forme de gouvernement qui pût exclure des affaires toutes les personnes qui lui étaient suspectes.

Cette proposition, quoiqu'elle fût apparemment contre les intérêts de la reine, lui sembla néanmoins trop favorable pour elle. Il ne pouvait consentir à la déclarer régente, et ne se pouvait aussi résoudre à partager l'autorité entre elle et Monsieur. Les intelligences dont il l'avait soupçonnée, et le pardon qu'il venait d'accorder à Monsieur pour le traité d'Espagne, le tenaient dans une irrésolution qu'il n'eût peut-être pas surmontée, si les conditions de la déclaration que le cardinal Mazarin et M. de Chavigny lui proposèrent, ne lui eussent fourni l'expédient qu'il souhaitait pour diminuer la puissance de la reine, et pour la rendre en quelque façon dépendante du conseil qu'il voulait établir. Cependant la reine et Monsieur qui avaient eu trop de marques de l'aversion du roi, et qui le soupçonnaient presque également de les vouloir exclure du maniement des affaires, cherchaient toutes sortes de voies pour y parvenir. J'ai su de M. de Chavigny même, qu'étant allé trouver le roi de la part de la reine pour lui demander pardon de tout ce qu'elle avait jamais fait, et même de ce qu'elle lui avait déplu dans sa conduite, le suppliant particulièrement de ne point croire qu'elle eût eu aucune part dans l'affaire de Chalais, ni qu'elle eût trempé dans le dessein d'épouser Monsieur après que Chalais aurait fait mourir le roi, il répondit sur cela à M. de Chavigny sans s'émouvoir: En l'état où je suis je lui dois pardonner, mais je ne la dois pas croire. Chacun croyait d'abord avoir droit de prétendre la régence à l'exclusion l'un de l'autre ; et si Monsieur ne demeura pas long-temps dans cette pensée, pour le moins crut-il devoir être déclaré régent avec la reine. Les espérances de la cour et de tout le royaume étaient trop différentes, et tout l'Etat qui avait presque également souffert durant la faveur du cardinal de Richelieu, attendait un changement avec trop d'impatience, pour ne recevoir pas avec joie une nouveauté dont

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