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qu'on avait stipulé en sa faveur pour la paix, ne laissait pas de se tenir à la tête de ce parti, et se montrer ennemi du cardinal pour se rendre plus considérable.

D'ailleurs, comme il était entièrement uni à toutes les volontés de M. le Prince, qui lui avait procuré par sa considération Damvilliers, et l'entrée au conseil, il était de leur commun intérêt qu'il se conservât en crédit à Paris pendant tous les orages de la cour. De sorte qu'en ce temps-là l'autorité royale était aussi peu respectée qu'avant la guerre, parce que son maintien est la crainte ou l'admiration que l'on avait perdue; et le public n'avait pas moins d'ardeur contre le premier ministre, attendu qu'il avait reconnu sa faiblesse, causée de la désunion d'avec M. le Prince. Pourtant comme il ne manquait point de gens qui lui suggéraient de fausses flatteries, que le parti de Paris était abattu dans Paris même et que le sien y prévalait, il fit faire une tentative par Jarzay, qui en reçut de M. de Beaufort, au jardin de Renard, une insulte à laquelle le duc de Candale, Bouteville, et d'autres personnes de qualité étaient intéressées; elle fut suivie de plusieurs appels, qui ne passèrent pas outre, au désavantage de M. de Beaufort. Néanmoins ce rencontre réveilla toute la Fronde avec un soulèvement presque universel contre le cardinal et ses partisans. Alors le cardinal détrompé de toutes les erreurs qu'on lui persuadait, et prévoyant qu'il ne pouvait différer encore long-temps le retour du roi à Paris, quelque aversion qu'il en eût, dont il était pressé par les princes et par la nécessité des affaires, tourna toutes ses pensées à pratiquer ceux qui pourraient contribuer à sa sûreté à l'égard du prince de Conti et de M. de Longueville : il s'engagea avec le prince de Marsillac de lui procurer les honneurs du Louvre, dont jouissent les principales maisons du royaume. Il n'oublia aucune promesse envers la duchesse de Montbason, qui avait une autorité entière et absolue sur le duc de Beaufort; il promit dès ce tempslà la surintendance au président de Maisons, frère de Longueil; et quant au coadjuteur, comme il était en liaison avec la duchesse de Chevreuse, qui dans la confusion des temps était reve nue de son exil de Flandre à Paris avec les marquis de Noirmoustier et de Laigues, le cardinal était entré en quelque conférence avec elle sur son sujet; si bien que les supports de ce parti refroidis par ces pourparlers, étaient encore assez aises de couvrir la faiblesse de leur crédit, qui aurait paru s'ils eussent tenté de s'opposer au concours du plus grand nombre qui demandait la présence du roi à Paris.

Mais le cardinal, encore qu'il eût besoin de l'appui de M. le Prince pour son rétablissement, soit qu'il crût qu'il s'en pour

rait passer par le moyen de ces nouvelles pratiques, soit qu'effectivement il ne pouvait plus respirer sous le joug de ses obligations, qui lui semblait trop pesant, avait entretenu avec lui pendant son éloignement un commerce seulement de bienséance, en le traitant comme un ami suspect : en effet, M. le Prince sentait avec peine les prospérités de la cour pour lesquelles il s'était aveuglément passionné auparavant; il avait en inquiétude du siége de Cambrai, et fut bien aise d'apprendre qu'il fût levé. Les troubles de Guienne et de Provence, avec les difficultés du retour du roi à Paris, lui plaisaient assez, d'autant qu'il avait pénétré l'intérieur du cardinal, qui ne pensait qu'à surmonter tous les embarras présens pour recouvrer une autorité absolue et indépendante; toutefois il ne fomentait les mécontentemens ni en secret ni en public, comme s'il eût voulu laisser dormir son ressentiment pour le faire éclater avec plus de violence; au contraire à son retour de Bourgogne à Paris, sans encore avoir vu la cour, il sollicita puissamment ses amis pour recevoir le roi avec le cardinal, et témoigna la même chaleur que pour ses propres intérêts : peut-être qu'il se piquait d'achever un ouvrage aussi glorieux que celui de le rétablir, ou qu'il se flattait vainement qu'un si grand service serait toujours présent aux yeux de la reine.

PRISON DES PRINCES

ET

SIÉGE DE BORDEAUX.

Le roi avait accordé la paix au parlement de Paris et à tous ceux qui avaient pris son parti en l'année 1649, et la plus grande partie des peuples l'avait reçue avec trop de joie pour donner sujet d'appréhender qu'on les pût porter une seconde fois à la révolte. Le cardinal Mazarin, raffermi par la protection de M. le duc d'Orléans et de M. le Prince, commençait à ne plus craindre les effets de la haine publique; et ces deux princes espéraient qu'il aurait une reconnaissance proportionnée à ses promesses et à ses obligations. M. le duc d'Orléans en attendait les effets sans inquiétude; et il était content de la part qu'il avait aux affaires, et de l'espérance qu'on donnait à l'abbé de La Rivière son principal ministre de le faire cardinal. Mais M. le Prince n'était pas si aisé à satisfaire. Ses services passés, et ceux qu'il venait de rendre à la vue du roi au siége de Paris, portaient bien loin ses prétentions, et elles commençaient à embarrasser le cardinal.

La cour était à Compiègne et quelques raisons qu'il y eût pour la ramener à Paris, le cardinal ne pouvait se résoudre d'y retourner et d'exposer sa personne à ce qui pouvait rester d'animosité contre lui en un peuple qui venait d'en témoigner une si extraordinaire. Il fallait néanmoins se déterminer ; et s'il lui paraissait dangereux de sé fier à ses ennemis, il ne l'était pas moins de témoigner de les craindre.

Dans cette irrésolution où personne n'osait lui donner de conseil et où il n'en pouvait prendre de lui-même, M. le Prince crut que pour achever son ouvrage il devait aller à Paris, afin que selon la disposition où il trouverait les esprits, il eût l'avantage d'y ramener la cour, ou de la porter à prendre d'autres mesures. Il y fut reçu comme il avait accoutumé de l'être au retour de ses plus glorieuses campagnes. Ce succès rassura le cardinal; et on ne balança plus pour retourner à Paris. M. le Prince y accompagna le roi, et en arrivant au Palais-Royal, la reine lui dit publiquement qu'on ne pouvait assez reconnaître ses services, et qu'il s'était glorieusement acquitté de la parole qu'il lui avait donnée de rétablir l'autorité du roi, et de maintenir M. le cardinal; mais la fortune changea bientôt ces paroles en des effets tout contraires.

Cependant M. le Prince était dans une liaison particulière avec M. le duc d'Orléans. Il avait travaillé à l'établir par les extrêmes déférences qu'il avait affecté de lui rendre durant la guerre, et il les continuait avec soin. Il ne garda pas long-temps les mêmes mesures avec le cardinal Mazarin ; et bien qu'il n'eût pas encore résolu de rompre ouvertement avec lui, il témoigna par des railleries piquantes, et par une opposition continuelle à ses avis, qu'il le croyait peu digne de la place qu'il occupait, et qu'il se repentait même de la lui avoir conservée.

On attribue cette conduite à des motifs bien différens; mais il est certain que le premier sujet de leur mésintelligence avait commencé durant la guerre de Paris, sur ce que M. le Prince se persuada que le cardinal voulait adroitement rejeter sur lui la haine des peuples en le faisant passer pour l'auteur de tous les maux qu'ils avaient soufferts. Ainsi, M. le Prince crut en devoir user de la sorte envers le cardinal pour regagner dans l'opinion du monde ce qu'il y avait perdu par la protection qu'il avait donnée à un homme si généralement haï, en l'empêchant de sortir du royaume, et de céder à sa mauvaise fortune outre que, se souvenant des craintes et de l'abattement que le cardinal avait témoigné pendant les derniers désordres, il était persuadé qu'il suffisait de lui faire peur et de le mépriser pour lui attirer de nouveaux embarras, et l'obliger de recourir à lui avec la La Rochefoucauld. 4

même dépendance qu'il avait eue dans l'extrémité où il s'était vu. Il s'imagina peut-être aussi par les choses obligeantes que la reine lui avait dites à Saint-Germain, et par la bonne chère qu'elle lui avait faite, qu'il ne lui serait pas impossible de lui faire remarquer les défauts du cardinal, et de s'établir auprès d'elle après qu'il l'aurait détruit. Enfin, quelles que fussent les véritables causes de ce changement, on ne s'aperçut que trop tôt de sa désunion avec le cardinal.

Dans ce dessein, M. le Prince résolut de se réconcilier avec les frondeurs, croyant ne pouvoir mieux détruire les mauvaises impressions que l'on avait de lui, qu'en se liant avec des gens dont les peuples et la plus grande partie du parlement épousaient aveuglément les affections et les sentimens. Le nom de frondeur avait été donné dès le commencement des désordres à ceux du parlement qui étaient opposés aux sentimens de la cour. Depuis, le duc de Beaufort, le coadjuteur de Paris, le marquis de Noirmoustier et Laigues s'étant joints à cette cabale, s'en rendirent les chefs. Madame de Chevreuse, M. de Châteauneuf et leurs amis s'y joignirent. Ils demeurèrent tous unis sous le nom de frondeurs, et eurent une part très-considérable à toutes les affaires qui suivirent. Mais quelques avances que M. le Prince fit vers eux, on a cru qu'il n'avait jamais eu intention de se mettre à leur tête, et qu'il voulait seulement, comme je l'ai dit, regagner l'esprit des peuples, se rendre par là redoutable au cardinal, et faire sa condition plus avantageuse.

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Il avait paru jusque-là irréconciliable avec M. le prince de Conti son frère, et madame de Longueville leur sœur ; et même dans le traité de la paix de Paris, il s'emporta contre eux avec toute l'aigreur imaginable, soit pour faire sa cour, ou par un sentiment de vengeance à cause qu'ils s'étaient séparés de lui. Cela alla même si avant, qu'il fut directement contraire au rétablissement de M. le prince de Conti et du duc de Longueville dans leurs gouvernemens et que par une fausse politique, il s'opposa à l'intention qu'on eut à la cour de donner le Mont Olympe et Charleville à M. son frère, et le restreignit à accepter Damvilliers. M. le prince de Conti et madame de Longueville trouvèrent ce procédé de M. le Prince aussi surprenant et aussi rude qu'il l'était en effet ; et dans cet embarras, ils chargèrent le prince de Marsillac, fils aîné du duc de La Rochefoucauld, qui avait alors toute leur confiance, d'écouter les propositions que l'abbé de La Rivière leur faisait faire par le marquis de Flammareins. Elles étaient que M. le duc d'Orléans entrerait dans leurs intérêts contre M. le Prince; que M. le prince de Conti aurait l'entrée au conseil ; qu'on lui donnerait Damvilliers pour

place de sûreté, et que lui et le duc de Longueville seraient rétablis dans les fonctions de leurs charges, pourvu queM. le prince de Conti renonçât en faveur de l'abbé de La Rivière au chapeau de cardinal, et qu'il l'écrivît à Rome. Cette affaire fut conclue à l'heure même par le prince de Marsillac ; et il la trouva d'autant plus avantageuse à M. le prince de Conti, que ce prince étant déjà résolu de changer de condition, on ne lui faisait rien perdre en lui conseillant de renoncer au cardinalat. On obtenait aussi par cette voie tout ce que la cour refusait à M. le prince de Conti et au duc de Longueville, et, ce qui était encore plus considérable, c'est qu'en s'attachant l'abbé de La Rivière par un si graud intérêt, on engageait M. le duc d'Orléans à soutenir en toutes rencontres M. le prince de Conti et madame de Longueville.

Ce traité fut ainsi conclu sans que M. le Prince y eût d'autre part que celle que l'abbé de La Rivière lui en voulut donner. Et d'autant qu'il avait senti le mal que sa division avec sa famille lui avait causé, il souhaita de se réconcilier avec M. son frère, avec madame sa sœur, et même avec le prince de Marsillac.

Aussitôt après, M. le Prince, pour témoigner qu'il entrait sincèrement dans les intérêts de ses proches, prit un prétexte d'éclater contre le cardinal, sur ce qu'au préjudice de la parole qu'on en avait donnée, on refusait au duc de Longueville le gouvernement du Pont-de-l'Arche. Les frondeurs en eurent une grande joie. Mais, soit que M. le Prince ne pût se fier, à eux, ou qu'il ne voulût pas demeurer long-temps mal à la cour, il crut bientôt en avoir assez fait pour le monde, et se racommoda huit jours après avec le cardinal. Ainsi il perdit de nouveau les frondeurs. Ils s'emportèrent contre lui sans aucun égard de ce qu'ils devaient à son mérite et à sa qualité. Ils dirent hautement que ce qu'il venait de faire était une suite des artifices dont il s'était servi pour les surprendre. Ils renouvelaient l'affaire de Noisi près de Saint-Germain, où madame de Longueville avait passé quelque temps, et où M. le prince de Conti et le duc de Longueville l'étant allé voir, le duc de Retz et le coadjuteur de Paris son frère s'y rendirent, sous prétexte de visiter aussi cette princesse, mais en effet pour les porter comme ils firent à se lier avec les frondeurs. Ils soutenaient que M. le Prince avait su tout ce traité, qu'il avait pris avec eux les mêmes engagemens que ses proches, et ils ajoutaient que la suite avait assez fait voir que M. le Prince, bien loin de tenir cette parole, ne l'avait donnée que pour les sacrifier plus aisément aux intérêts et à la haine du cardinal.

Ces bruits, semés dans le monde, y faisaient quelque impression, et le peuple recevait sans les examiner toutes celles qui lui

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