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dition, était assez aise de cette image de la guerre, et criait contre ceux qui voulaient la paix ; tous les généraux, à la réserve de M. de Beaufort, qui se laissait aller à la haine du cardinal et à l'amour du peuple, dont il prétendait se prévaloir dans les suites du temps, méditaient leur accommodement particulier, et chacun avait des liaisons secrètes à la cour, pour avoir ses conditions meilleures.

M. d'Elbeuf avait son commerce dès le commencement avec l'abbé de La Rivière; M. de Bouillon avec M. le Prince, et le maréchal de La Mothe était attaché avec M. de Longueville, lequel était retiré en Normandie, où il se fortifiait d'armes, de troupes et d'argent, pour faire son traité plus avantageux par l'entremise de M. le Prince. Pour le prince de Conti, comme il n'était inspiré d'autre mouvement que de ceux de sa sœur, qui était cruellement outragée par des propos injurieux que M. le Prince tenait de sa conduite, il fallait que le temps adoucît ses aigreurs, et que la nécessité des affaires conviât cette maison à se réconcilier, comme il arriva bientôt. Il n'y avait que le coadjuteur qui avait été le principal mobile de cette guerre, dans laquelle il n'avait que trop profané son caractère parmi la sédition et les armes qui bannissaient de son esprit toute pensée de paix, et en traversaient les pourparlers, parce qu'il ne trouvait point lieu de satisfaire son ambition; d'autre part la cour enflée de ses bons succès, et par les belles actions militaires de M. le Prince, en présumant encore de plus grands, voulait imposer des conditions trop rigoureuses au parti contraire, si bien que la nécessité apparente fut une loi souveraine qui détermina les deux partis à un traité de paix : outre que la guerre civile étant contraire à tout le monde, chacun revenait de ses erreurs et animosités; et aussi que c'est l'air de notre nation de rentrer dans son devoir avec la même légèreté qu'elle en sort, et de passer en un moment de la rebellion à l'obéissance.

Voici donc le sujet présent qui parut. Le roi envoya le 12 février un héraut vêtu de sa cotte d'armes, avec son bâton semé de fleurs-de-lis, accompagné de deux trompettes. Il arriva à la porte de Saint-Honoré, et dit qu'il avait trois paquets de lettres à rendre au prince de Conti, au parlement et à la ville. Le parlement en étant averti, délibéra de ne le point recevoir ni entendre, mais envoyer les gens du roi vers la reine pour lui dire que ce refus était purement une marque d'obéissance et de respect, puisque les hérauts ne sont envoyés qu'à des princes souverains ou à des ennemis; le prince de Conti, le parlement, la ville n'étant ni l'un ni l'autre, ils suppliaient sa majesté de lui faire savoir ses volontés de sa propre bouche ; les gens du roi furent fort bien reçus

par la reine, qui leur dit qu'elle était satisfaite de leurs excuses et soumissions, et lorsque le parlement se mettrait en son devoir, il éprouverait les effets de sa bienveillance, et que les personnes et les fortunes de tous les particuliers, sans en excepter un seul, y trouveraient leurs sûretés. M. d'Orléans et M. le Prince leur donnèrent ces mêmes assurances : ce radoucissement si prompt de la cour était causé par plusieurs raisons essentielles; car outre la constance des Parisiens, la difficulté de faire des levées d'hommes et d'argent, la débauche de la Guienne, de la Provence et de la Normandie, et de plusieurs villes qui suivaient le parlement, comme Poitiers, Tours, Angers et le Mans, il y avait encore un plus pressant motif qu'il faut savoir.

Le prince de Conti voyant que l'armée d'Allemagne s'était tournée au passage du Rhin pour venir en France contre M. de Turenne, et que son parti ne pourrait subsister sans un puissant secours étranger, avait envoyé le marquis de Noirmoustier et Laigues vers l'archiduc, le convier de joindre ses forces au parti de Paris, pour contraindre les ministres à faire la paix générale : les Espagnols n'avaient garde de manquer à une occasion si favorable pour fomenter nos divisions et en tirer avantage, ou par un traité, ou dans le progrès de la guerre. Pour cet effet l'archiduc députa un homme au parlement qui y fut ouï après avoir donné sa lettre de créance, non sans quelque tache de ce corps, s'il n'était excusable sur la nécessité de sa défense. Il y exposa dans son audience la jonction du roi catholique à cette compagnie pour la paix générale, qui serait le seul objet de l'entrée de ses forces en France, et non pas pour profiter de la faiblesse de la frontière, et qu'il trouvait plus de sûreté de la traiter avec le parlement qu'avec le cardinal qui l'avait rompue, et qui s'était rendu ennemi de l'État. En effet, Vautorte envoyé par la cour vers les ministres d'Espagne en Flandre, pour insinuer quelques propositions de paix, n'avait pas été favorablement écouté, et penchait du côté du parlement pour relever ce parti qui allait à son déclin, si bien que les offres de l'archiduc au parti de Paris, lesquelles il exécutait par son entrée effective en France, accompagné de deux agens du prince de Conti avec quinze ou seize mille hommes, donnant une juste appréhension à la cour, l'avait fait tout d'un coup résoudre d'accommoder l'affaire de Paris. D'autre part les dispositions pour la paix n'étaient pas moins puissantes dans le parti contraire; la nécessité des vivres augmentait dans Paris; les taxes étaient consommées, la difficulté d'avoir de l'argent était très-grande; leurs troupes dépérissaient, ou par l'avarice des officiers, ou par le peu de subsistance, ou par le peu de satisfaction de leurs généraux; leurs

armes décréditées : enfin le dégoût avait saisi la plupart des esprits, ou par l'incommodité, ou parce que c'est le naturel des peuples de se lasser promptement des choses qu'ils ont entreprises avec plus de chaleur. Le premier président et le président de Mesmes qui avaient agi secrètement de concert avec les ministres pendant tous ces mouvemens, se servaient avec adresse de ces dispositions pour mettre en avant un traité de paix ; et comme ils furent députés avec d'autres pour porter à la reine la lettre de l'archiduc et la créance de son envoyé, et justifier la compagnie de l'avoir entendu, mais aussi qu'elle n'avait pas voulu délibérer sur la réponse sans savoir ses volontés, ils avaient eu une conférence à part des autres députés, avec M. le duc d'Orléans et M. le Prince, dans laquelle agissant pour la paix, ensemble eux insistant sur l'ouverture des passages, les princes leur avaient promis que l'on en déboucherait un aussitôt que le parlement donnerait un plein pouvoir à ses députés pour traiter la paix. Or, quoique cette conférence secrète fit murmurer le parlement et les peuples qui étaient aux portes de la grand'chambre, le premier président qui n'a jamais manqué de fermeté dans les occasions, ni de zèle pour le bien public, ayant dit qu'elle n'avait été que pour retirer la réponse de la reine qui était injurieuse à la compagnie, à cause de la réception de l'envoyé d'Espagne, porta les esprits à donner un plein pouvoir, sans restriction de l'arrêt du 8 janvier contre le cardinal et les ministres étrangers; les chargeant des intérêts des généraux et des parlemens de Normandie et de Provence qui s'étaient liés avec le parlement de Paris, auxquels se joignirent les autres députés des compagnies des comptes, des aides et de l'hôtel-de-ville.

Pendant que cette célèbre députation s'acheminait vers SaintGermain (1), leurs majestés et les deux princes avaient envoyé des personnes de qualité à la reine d'Angleterre, se condouloir de la mort funeste du roi son mari. Flammareins qui en était un, avait visité de la part de l'abbé de La Rivière, le prince de Marsillac, blessé d'un coup de mousquet qu'il avait reçu dans le combat à Brie-Comte-Robert contre le comte de Grancey, et en cette visite avait fait des ouvertures secrètes, avantageuses au prince de Conti, lui offrant son entrée au conseil, et une place forte en Champagne, pourvu qu'il se portât à l'accommodement, et qu'il se désistât de sa nomination, au cardinalat en faveur de cet abbé. Cette proposition faite du su de M. le Prince, qui voulait réunir sa maison avec lui, fut approuvée de M. de Marsillac, et aussitôt de M. de Longueville et du prince de Conti: en ce même temps M. de Longueville fut persuadé par (1) Le 4 mars 1649.

M. le Prince de retarder son secours pour Paris, et de traiter avec la cour sous la promesse dont il fut garant du gouvernement du Pont-de-l'Arche et d'une grande charge. M. de Bouillon eut aussi quelque assurance de M. le Prince pour lui et pour M. de Turenne; mais soit qu'il ne s'y fiât pas beaucoup ou qu'il conçût d'autres espérances, il apporta tous les obstacles qu'il put à la conclusion de la paix ; ainsi la fidélité est rare dans les guerres civiles pour les mutuelles liaisons et correspondances qui se trouvent entre les gens de différens partis, et il y a toujours des traités particuliers qui précèdent le traité général. Par ces accords secrets des chefs si considérables ne conservant que de la bienséance pour leur parti, nécessitaient les plus zélés d'acquiescer à la paix, ou de témoigner une impuissance honteuse.

Cependant les conférences à Ruel se pensèrent rompre sur la nomination que la reine fit du cardinal pour député conjointement avec les deux princes; ceux du parlement ne le pouvant admettre puisqu'il avait été condamné, on prit l'expédient de négocier par deux députés de chaque parti, qui furent le chancelier et Le Tellier pour la cour, et le président Le Coigneux et Viole pour le parlement : enfin, après plusieurs débats et contestations, l'on demeura d'accord de la paix, dans laquelle, quoique le cardinal fût conservé, il ne laissa pas de se plaindre aux princes qu'il avait été subhasté, par un terme de l'ancienne Rome, et qu'il lui fallait restituer ses meubles et habits et ses livres vendus par arrêt du parlement : cette nécessité leur parut peu importante, à l'égard du danger où les mettait l'approche de l'armée d'Espagne : les principaux articles étaient qu'on renverrait le député de l'archiduc sans réponse, une amnistie pour tout le parti, toutes les déclarations et arrêts révoqués et annulés depuis le 6 janvier, et les sémestres des parlemens de Normandie et Provence supprimés à certaines conditions. Ceux qui étaient ennemis de cette paix prirent le prétexte de quelques articles pour la décrier, principalement le coadjuteur, irrité de ce qu'ayant excité la guerre, elle était terminée sans lui, et que de tous les avantages que son ambition lui avait figurés, il ne lui restait que la honte d'avoir travaillé l'État. pour renverser Il s'était étroitement associé de M. de Beaufort, du crédit duquel il se servait dans toutes les occurrences; et en celle-ci il n'oublia rien pour rendre le traité odieux envers les peuples, le parlement et les généraux : il leur représentait que cette guerre n'ayant été faite que pour éloigner le cardinal, il était conservé par cette paix, et même que l'arrêt du 8 janvier contre lui et les ministres étrangers avait été révoqué. Où est donc le fruit de tant de peines et souffrances, et si le parlement ne tombera pas

dans le mépris du peuple par une telle lâcheté? et que même les généraux ont été abandonnés dans leurs intérêts au préjudice de l'union. Mais ce qui aigrissait le plus les esprits avec quelque sorte de raison, était que le cardinal avait signé le traité, la plupart disant qu'ayant signé il y avait nullité, puisque la conférence était contre lui, et qu'il y avait lieu de s'étonner que les députés eussent souffert un homme condamné, à conférer et signer avec eux. Lui et ses émissaires avaient provoqué par semblables discours le parlement et les peuples qui menaçaient les députés des dernières extrémités. Aussi lorsque le premier président voulut faire la lecture du procès-verbal et des articles dans l'assemblée des chambres, il fut empêché par les grandes clameurs et murmures des conseillers et par les plaintes des généraux; mais soit que, balançant les incommodités de la guerre civile avec la dureté des articles, la plus saine partie du parlement jugeât la paix nécessaire, ou que l'on s'aperçût que c'était l'ambition du coadjuteur et de quelques particuliers qui leur inspirait cette aliénation, la compagnie pensa à renvoyer les mêmes députés à Saint-Germain, pour réformer trois articles, sans parler du cardinal, et pour traiter des intérêts des généraux, qui seraient insérés dans la même déclaration.

Cet avis assez doux fut ouvert par Broussel, et pour cela suivi des frondeurs et des Mazarins, non sans quelque soupçon, peutêtre injuste, que la promesse secrète qui lui avait été faite du gouvernement de la Bastille avait à ce coup ralenti ce bon homme; tant il y a peu de gens qui se garantissent des charmes de l'intérêt. Comme le coadjuteur vit que le parlement dans la réformation des articles n'avait point insisté contre le cardinal, il fit trouver bon au prince de Conti d'envoyer quelqu'un de sa part et des autres généraux à la conférence de Saint-Germain, qui se tenait principalement pour l'interêt des généraux, pour poser qu'ils renonçaient à toutes leurs prétentions, pourvu que le cardinal s'éloignât du ministère, et à même temps de supplier le parlement d'ordonner à ses députés d'insister conjointement avec eux. Le prince envoya le comte de Maure à SaintGermain, et demanda l'union de la compagnie à cette fin : elle lui fut accordée; mais comme on n'en avait fait aucune mention dans le traité premier, que même le duc de Brissac, Barrière et Grecy, députés des généraux, avaient fait d'autres propositions pour leurs intérêts, que déjà l'on avait goûté les douceurs de la paix par le trafic rétabli et la cessation de tous actes d'hostilité, la reine et les princes répondirent aux pressantes instances du comte de Maure qu'ils ne consentiraient jamais à l'éloignement du cardinal, et que, pour les prétentions des généraux,

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