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être réformés par les assemblées des états-généraux, et non pas par des arrêts d'une compagnie dont les suffrages sont plutôt comptés que pesés; que toutes les fois que le parlement avait été au-delà de son devoir, il avait reçu des corrections sévères, tantôt du feu roi, tantôt de Henri IV et de Charles IX, et des autres rois leurs prédécesseurs, pour des sujets moins dangereux que celui-ci ; que les grands empires ne se maintiennent point par de lâches conseils ; qu'il faut faire épreuve de son courage et de ses forces, et que la justice des souverains consiste dans leur pouvoir; que lui, M. le Prince, est intéressé en la personne du cardinal, de s'opposer à une entreprise qui tend à la destruction de la maison royale; et que si M. le duc d'Orléans et son Altesse ne veulent tenir ferme à ce pas, la reine sera contrainte d'aller avec ses enfans implorer le secours des princes alliés de la couronne, outre que M. le Prince croyait que les innovations faites par le parlement à la déclaration blessaient l'établissement de la paix.

Ces discours qui représentaient l'image de la chose assez vraisemblablement, firent tant d'impression sur son esprit, qu'il ferma les oreilles à toute neutralité, sans se soucier de perdre la bienveillance publique. Il est certain que les grands génies, comme celui de M. le Prince, produisent de grandes vertus, mais qu'ils paraissent aussi avec de grands défauts, et que par une immodération invincible il a ruiné tous les avantages que la fortune et la nature avaient joints à l'envi en sa personne, qui étaient tels qu'ils auraient surpassé la gloire des plus grands hommes des siècles passés, si la piété, la justice et la solidité eussent répondu à cette valeur suprême, à cette fermeté incroyable dans les adversités, et à ces belles lumières d'esprit qui se faisaient remarquer en lui. M. le Prince se serait fait adorer de tout le monde s'il se fût ménagé dans le dessein de traiter les affaires avec douceur; au lieu qu'il a été contraint par sa conduite précipitée de recourir à des moyens qui l'ont porté à des extrémités étranges. Il accompagna M. le duc d'Orléans au parlement, et poussé de sa mauvaise destinée, aussitôt que Viole eut invoqué le SaintEsprit pour illuminer MM. les princes sur la conduite du cardinal, M. le Prince se lève, et lui impose silence; cela excite inconsidérément le murmure des plus jeunes conseillers; il s'enflamme par ce bruit, et les menace de la main et de la parole. Dans ce moment il perd les affections de la compagnie, et lorsque cette action se fut répandue dans le monde, l'estime que l'on avait conçue de lui par ses victoires se changea en crainte, et l'amitié dans une haine pour ne pas dire exécration contre sa personne, dont il n'est revenu que par des fortunes signalées.

Or comme il était intéressé par sa propre querelle dans celle

de la cour, il écoute toutes les propositions pour réduire le par lement; on lui fait voir que le plus prompt et le plus sûr moyen est d'assiéger Paris, que saisissant toutes les avenues dans trois marchés, on met la corde au cou à la multitude qui s'élevera contre le parlement, et le rendra auteur de tous ses maux ; enfin que les Parisiens sont sans chef, sans troupes, et accoutumés aux délices. Il goûte ces raisons qui lui semblent bonnes, parce qu'il est animé par sa colère, à qui rien n'est impossible; de sorte qu'il se rend chef de l'entreprise, et résout d'assiéger Paris sous les ordres de M. le duc d'Orléans, qui résiste d'abord à ce dessein; mais les instances de la reine, les persuasions de l'abbé de La Rivière, et la résolution déterminée de M. le Prince l'emportèrent sur ses sentimens et les avis contraires de madame la duchesse d'Orléans. Cette résolution étant prise, M. le Prince et le maréchal de La Meilleraye proposèrent, pour venir à bout plus promptement des Parisiens, de se saisir de l'île Saint-Louis, de la porte Saint-Antoine, de l'Arsenal et de la Bastille, et de mettre leurs majestés dans l'Arsenal; mais soit que cette proposition ne fût pas assez appuyée, ou que l'on craignît d'exposer la personne du roi, l'on aima mieux abandonner Paris pour l'assiéger. En effet, après que sa majesté eut solennisé la veille des Rois chez le maréchal de Grammont, elle se retira au palais cardinal, d'où elle partit le lendemain à trois heures du matin avec la reine, le cardinal Mazarin, et toute la maison royale, hors madame de Longueville, pour se rendre à Saint-Germain, où tous les grands et tous les ministres arrivèrent le même jour; et aussitôt, dans le conseil qui fut tenu, le blocus de Paris fut publié et répandu dans toute la cour.

Cette sortie, ou pour mieux dire, cette évasion, donna de la joie aux factieux, et ne fut pas approuvée des gens sages qui l'estimaient indécente à la dignité souveraine, dont les princes doivent être jaloux, puisque la splendeur du nom royal reluit principalement dans la vénération des peuples. Celui de Paris ne fut pas si consterné qu'on pensait; au contraire, comme s'il eût pris vigueur de l'état où l'on voulait le mettre, il témoigna être préparé à toutes les suites qui le menaçaient; et la crainte ne le retint point de déclamer contre le cardinal, M. le Prince, la reine, et tous ceux qu'il croyait avoir conseillé cette sortie, que l'on appelait enlèvement du roi. Le parlement parut moins ferme en cet accident, parce qu'il en prévoyait mieux les conséquences; et dès la première assemblée, il députa les gens du roi porter leurs soumissions et des offres très-avantageuses, qui furent renvoyés sans être ouïs, tant une vaine espérance s'était emparée de toute la cour, qu'à la première alarme du siége les Parisiens

La Rochefoucauld,

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obéiraient aveuglément. Ils en furent incontinent détrompés, car dès le lendemain qui était le 8 janvier, que les gens du roi eurent fait leur rapport, que l'on ne put plus douter du dessein de la cour, le parlement déclara le cardinal ennemi de l'État, l'on délivra des commissions pour des levées de gens de guerre ; les compagnies se taxèrent volontairement, l'on pourvut à l'abondance des vivres, et le peuple se porta avec beaucoup d'ardeur à la défense; tant il est vrai que la crainte produit assez souvent l'audace, et qu'il n'y a rien de plus puissant pour mettre les armes à la main que le désespoir.

Cependant M. le Prince, avec six ou sept mille hommes, qui étaient les débris de l'armée de la campagne dernière, bloqua Paris, se saisissant de Lagny, Corbeil, Saint-Cloud, Saint-Denis et Charenton. Chose incroyable à la postérité qui l'admirera en même temps d'avoir par sa conduite et par sa vigilance assiégé la plus grande et la plus peuplée ville de l'Europe, où tant de princes et de seigneurs s'étaient renfermés avec une armée plus forte que la sienne. Or comme la cour ne manque point de mal contens, le duc d'Elbeuf, ses trois fils, le duc de Brissac et le marquis de La Boulaye, s'offrirent les premiers au parlement, qui ne faisait que d'installer le duc d'Elbeuf dans la charge de général de ses armes, lorsqu'il apprit que le prince de Conti et le duc de Longueville, accompagnés du prince de Marsillac et de Noirmoustier, étaient partis secrètement la nuit de Saint-Germain, et avaient mis pied à terre à l'hôtel de Longueville, lesquels venaient, selon l'engagement qu'ils y avaient pris avec le coadjuteur, se déclarer pour le parti de Paris. Cette nouvelle arrivée donna lieu à quelque contestation pour le commandement, laquelle fut terminée par la nomination que l'on fit du prince de Conti pour généralissime, et du duc d'Elbeuf pour général, auquel furent associés le duc de Bouillon et le maréchal de La Mothe avec un pouvoir égal. M. de Longueville ne voulut prendre aucun emploi, hors d'assister de ses conseils le prince de Conti, s'estimant au-dessus des derniers, et ne pouvant être égal au premier. Le prince de Conti eut bien de la peine à justifier la sincérité de ses intentions, parce que le public qui ignorait sa mésintelligence avec M. le Prince, qui était le véritable chef de l'entreprise contre Paris, ne s'en pouvait assurer; même Prevôt, conseiller de la grand'chambre, se donna la liberté, comme si cette confédération mutuelle qu'ils prenaient contre leur devoir, lui eût inspiré de la hardiesse, de manquer de respect à un prince du sang; encore fallut-il que madame de Longueville vint demeurer dans l'hôtel-de-ville, pour servir de gage de la foi de son frère et de son mari auprès des peuples qui

se défient naturellement des grands, parce que d'ordinaire ils sont les victimes de leurs injures.

Ce départ de M. le prince de Conti et de M. de Longueville de Saint-Germain, y causa bien de l'étonnement par leur propre poids, mais encore plus par le doute qu'il y mit que M. le Prince ne fût de la partie, dont le cardinal et la reine prirent des frayeurs extraordinaires qui furent aussitôt dissipées par son retour de Charenton. Il fulmina contre eux, et fut auimé avec plus d'ardeur en cette querelle pour se venger de ses proches qu'il croyait devoir dépendre absolument de ses volontés. On dit que dans ce temps le cardinal résolut de quitter la France, ne croyant pas se pouvoir conserver au milieu de toutes ces tempêtes, destitué de son appui, mais que M. le Prince le rassura, et donna sa parole à la reine de périr, ou qu'il le ramenerait à Paris triomphant de tous ses ennemis. Cependant le parti de cette ville ne grossissait pas peu par la déclaration d'un prince du sang, dont la qualité a de grandes suites dans le royaume, et d'un autre prince quasi absolu dans son gouvernement de Normandie. Le maréchal de La Mothe s'était aussi rendu considérable dans les armées, mais le duc de Bouillon l'était sans comparaison quasi davantage par l'intelligence qu'il avait des affaires du monde, et par l'étroite liaison avec son frère le maréchal de Turenne, lequel commandant en ce temps-là l'armée d'Allemagne, on pouvait présumer qu'il sacrifierait son devoir au rétablissement de sa maison, et à quelque mauvaise satisfaction qu'il avait du cardinal. En effet, M. le Prince qui tenait ces deux frères pour ses amis, écrivit au duc de Bouillon qu'il appréhendait que la retraite du prince de Conti et de M. de Longueville ne passât dans son esprit pour avoir été concertée avec lui, mais qu'il avait voulu l'en désabuser, et le conjurait de revenir à Saint-Germain, où il lui procurerait toute satisfaction à ses intérêts. M. de Bouillon fit lire cette lettre au parlement, et les ministres étant informés de la mauvaise volonté de M. de Turenne, le roi et M. le Prince qui avait grande créance parmi les troupes allemandes, écrivirent aux colonels de ne le plus reconnaître, et de l'abandonner ainsi qu'il arriva; ce qui fut le salut de la cour.

En ce temps même le duc de Beaufort arriva à Paris; il avait erré dans les provinces de-là la Loire depuis son évasion de Vincennes, et trouvait cette occasion favorable pour se rétablir dans le monde. Il était venu offrir son service au parlement, qui le purgea de l'accusation d'avoir conspiré contre la vie du cardinal Mazarin, le réçut pair de France, et le fit un de ses généraux. Or, quoique son génie ne soit pas des plus relevés, sa présence, son langage et ses manières populaires, avec une conduite assez

adroite, lui acquirent l'amour du peuple de Paris, d'autant plutôt qu'il le croyait irréconciliable avec le cardinal par l'offense de sa prison, dont il ne déchut que lorsqu'il fut contraint par la révolution des affaires de s'accommoder avec lui. Cependant les troupes du roi occupaient tous les postes des environs de Paris, et quoique le parlement en eût un plus grand nombre, ses généraux ne faisaient aucun effort pour ouvrir un passage, si bien que les vivres ne venaient qu'avec difficulté, hors du côté de la Brie, parce que M. le Prince n'avait pu mettre garnison à Brie-ComteRobert, pour ne point diviser ses forces, et même avait abandonné Charenton, dont M. le Prince de Conti s'était emparé, qui l'avait fait fortifier, et y avait mis trois mille hommes sous la charge de Clanleu.

Cela fit résoudre M. le Prince d'attaquer ce poste qui assurait le convoi des Parisiens, et aussi pour donner de la terreur à ses armes y étant donc allé le huitième février avec M. le duc d'Orléans, avec tous les princes et seigneurs de la cour, il en commit l'attaque au duc de Châtillon, et se porta avec la cavalerie sur une éminence pour empêcher le secours de Paris. Le duc exécuta ses ordres avec toute la valeur possible; mais à la dernière barricade il reçut un coup de mousquet au travers du corps, dont il mourut le lendemain en la fleur de son âge, regretté des deux partis pour ses belles qualités, et à la veille des dignités que ses services lui avaient acquises. Cette prise décrédita fort les généraux et les troupes du parlement, et passa pour miraculeuse en la personne de M. le Prince, d'avoir emporté une place en la présence d'une armée et aux portes de Paris, dont il était sorti dix mille hommes en armes pour en être les témoins. Ce combat et ceux du bois de Vincennes, de Lagny et de Brie, tous désavantageux au parti de Paris, dans l'un desquels le jeune duc de Rohan se montrant digne successeur de la vertu de son père, perdit la vie, inspirèrent quelque pensée de paix, à laquelle néanmoins il était malaisé de parvenir pour la diversité d'intérêts qui y répugnaient dans le parlement. Le nombre des mal-intentionnés pour la paix, quoiqu'inférieur à l'autre, brillait davantage, parce qu'il déguisait sa haine et son ambition du nom du bien et de la sûreté publique, que l'on ne pouvait, disait-on, trouver dans un accord avec le cardinal. Les plus sages n'osaient faire paraître leurs bonnes intentions, parce qu'outre le danger qu'il y avait, elles auraient été éludées, et il fallait attendre que les esprits fussent lassés, et le parti plus affaibli d'effets et d'espérances, pour se déclarer. Parmi le peuple, les plus riches ne voulaient pas s'exposer à la multitude, laquelle ne souffrant pas beaucoup de nécessité, et étant animée par quelques gens de con

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