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de qualité et de mérite, qui avaient des sentimens bien opposés, savoir, le duc de Châtillon et le maréchal de Grammont; le premier, qui avait d'étroites liaisons de maison et de sa personne avec M. le Prince, lui inspirait de se déclarer pour le parlement, ou du moins de se faire le médiateur des différends avec toute la neutralité possible; l'autre, attaché par toutes sortes d'intérêts à la cour, employait avec agrément ses persuasions pour lui faire prendre son parti; il fit en ce rencontre violence sur son naturel, éloigné de ces voies tempérées, et écrivit avec M. le duc d'Orléans au parlement, pour l'exhorter d'envoyer des députés à Saint-Germain, afin de terminer ces divisions dans une conférence. Tant de relations apprennent ce qui s'y est passé, que ce serait une redite superflue; il faut seulement remarquer que les députés ne voulurent pas consentir que le cardinal y assistât, et qu'à la première entrevue M. le Prince témoigna de la chaleur contre Viole, qui avait mis en avant la liberté de Chavigny, parce qu'il était d'avis qu'on vidât les matières contentieuses, et que l'on convînt des réglemens nécessaires dont on formerait la déclaration du roi, en vertu de Jaquelle Chavigny recouvrerait sa liberté, comme il arriva par cette déclaration authentique du 28 octobre.

Après cette déclaration qui donna quelque trêve aux divisions publiques, il arriva une brouillerie de cour qui troubla durant quelques jours l'union qui était dans le conseil. Elle se passa ainsi. Dès le commencement de la régence, l'abbé de La Rivière, possédant absolument la faveur de M. le duc d'Orléans, avait aspiré au cardinalat ; et le cardinal Mazarin, pour le rendre plus attaché à ses intérêts, lui en avait donné des espérances dont il éludait l'exécution, ne jugeant pas qu'il lui convînt de souffrir dans le conseil du roi une personne de même dignité que lui, mais de temps en temps il lui procurait des bénéfices pour entretenir sa bonne volonté; néanmoins à la naissance de ces troubles, il ne put se défendre des vives instances de l'abbé de La Rivière, pour lui donner la nomination de la France au chapeau, parce qu'il avait besoin d'une entière protection de M. le duc d'Orléans; mais il crut ou que du côté de Rome il y trouverait des obstacles qu'il fomenterait sous main, ou même que le temps ferait naître des occasions à la cour qui en traverseraient l'effet. L'abbé envoie son agent à sa Sainteté, qui lui donne assurance de sa promotion à la première qui se fera; et dans cette attente il porte son maître à préserver du naufrage cette fortune si fort agitée du cardinal. Comme il se croyait au comble de ses désirs, le prince de Conti, qui ne s'était point encore déclaré pour le chapeau de cardinal, du moins que par une promotion extraordinaire plus honorable

à sa naissance, demande, à la persuasion de la cour, la nomination du roi pour la première promotion; on ne la lui peut refuser, et la concurrence de La Rivière est trop faible pour disputer cette préférence; si bien que, ne pouvant s'en prendre au prince de Conti, il s'en prend au cardinal, déteste son ingratitude, et oblige M. le duc d'Orléans à ne plus parler à lui : or comme il ne pense qu'aux moyens de rompre la nomination du prince de Conti, il tente celui de M. le Prince, et lui fait proposer par Vineuil, qu'en cas qu'il ôte à monsieur son frère l'envie du chapeau, que son Altesse royale lui procuréra tel gouvernement qu'il voudra. M. le Prince répond à Vineuil qu'il a assez de bien et d'établissement pour se conserver par ses services et par sa fidélité, que s'il en avait davantage il deviendrait justement suspect au roi; qui n'aurait point d'autre objet que de le détruire lorsqu'il serait grand; et que sa fortune est dans un état qu'il n'a besoin que de la modération dans ses désirs. Ces paroles si vertueuses m'ont semblé dignes d'être rapportées, pour faire voir combien l'homme est différent de lui-même, et que son assiette est sujette au changement.

que

Durant cette division, le roi vint de Saint-Germain à Paris, où M. le duc d'Orléans donnait des marques continuelles de son aigreur contre le cardinal; il allait fort peu au Palais-Royal, on ne prenait aucune résolution au conseil, tous les mécontens se ralliaient à lui, il écoutait les frondeurs du parlement ; enfin il fallait que ces brouilleries se terminassent par un dernier éclat, ou par un accommodement. Le maréchal d'Estrées et Seneterre, personnes de créance, se mêlaient auprès des uns et des autres de l'accord; ils représentaient au duc d'Orléans que cette mẻsintelligence ne peut plus durer entre la reine et lui sans perdre l'État, que la cause en est odieuse pour son Altesse royale, M. le Prince en tirera un notable avantage, parce qu'il sera porté par l'honneur de sa maison et par sa propre grandeur, à prendre hautement la protection de la cour, et la reine à recourir à lui comme à son seul asile; qu'il réduira les choses par l'impétuosité de sa nature aux dernières extrémités, et que déjà l'on parlait qu'il vient forcer avec le régiment des gardes le palais d'Orléans, pour mettre à la raison cette troupe de mutins qui environne sa personne; ils remontraient à La Rivière, s'il prétend pour son intérêt jeter la division dans la maison royale, et causer une guerre civile; s'il est raisonnable qu'il se scandalise de ce qu'on donne la préférence à un prince du sang; qu'il deviendra l'objet de la haine et de la vengeance de M. le Prince et de toute sa maison; que le fardeau qu'il impose à son maître est trop pesant, qu'il s'en lassera bientôt, ou que s'il tombe dans

la rupture, d'autres empiéteront sa faveur; quant au cardinalat, que le prince de Contis 'en déporterait, ou que la cour demanderait deux chapeaux pour la première promotion.

Ces deux émissaires de la cour trouvèrent dans l'esprit de M. le duc d'Orléans et de La Rivière une grande disposition pour bien concevoir leurs raisons; car le temps avait fort travaillé pour l'accommodement, et ce ministre était déjà persuadé par sa propre crainte que les choses devaient retourner au même point de concorde qu'elles étaient auparavant, ainsi qu'il arriva ensuite de cet accord. Il semblait que la déclaration concertée entre le conseil du roi et les députés des cours souveraines assurait le repos de l'Etat, et devait éteindre les moindres étincelles de feu qui l'avaient menacé; mais l'ambition de ceux qui haïssaient le gouvernement présent, et qui désiraient des nouveautés, avait jeté de trop profondes racines dans les esprits pour en demeurer dans les termes de la douceur; ainsi l'on n'omettait aucun soin ni aucune pratique pour inciter le parlement et les peuples à sa perte; on leur représentait que cette grande journée des Barricades, cette victoire des sujets sur leur souverain, cette diminution de l'autorité royale, les invectives publiques contre le cardinal ne s'effaceraient jamais de sa mémoire; que sa faiblesse lui en faisait à présent dissimuler avec prudence les ressentimens, mais qu'ils éclateraient avec d'autant plus de violence, qu'il est inoui qu'on ait attaqué un ministre si puissant sans le ruiner de fond en comble; qu'il attendait des occasions favorables, une division dans le parlement, une mutation dans les peuples, la majorité du roi, bref le bénéfice du temps qui ne peut manquer à celui qui dispose absolument de la puissance royale; partant il fallait se prévaloir des conjonctures présentes pour se défaire d'un adversaire aussi dangereux. Que M. le duc d'Orléans était modéré et trop éclairé dans les affaires du monde pour s'opposer à un concours universel; que M. le Prince fera réflexion que le véritable asile des princes du sang, de sa réputation contre la jalousie des favoris, doit être la bienveillance publique ; si bien que tout au plus pour complaire à la reine, ils paraîtront le défendre, mais avec faiblesse et retenue; qu'enfin il faut considérer que la déclaration qui n'a été extorquée que par l'impuissance de la cour, et qui n'aura lieu qu'autant que cette impuissance durera, n'est pas une amitié sincère dans le cœur de la reine, mais une nécessité attendant le moment de se venger.

Ceux qui répandaient ces discours dans le parlement, et les plus déclarés contre la cour, étaient, après Broussel et Longueil, le président de Novion et Blancmenil, ennemis du cardinal, à

cause de la disgrâce de l'évêque de Beauvais, leur oncle, et pour le refus qu'on avait fait de la coadjutorerie de cet évêché à leur cousin ; et Viole offensé du manquement à la parole qu'il avait eue d'être chancelier de la reine : mais le personnage en ce tempslà qui par entremise de ses amis dans le parlement et de ses émissaires dans le peuple, travaillait avec plus de fruit pour former un parti de leur union, était le coadjuteur de Paris. Cet homme ayant joint à plusieurs belles qualités naturelles et acquises, le défaut que la corruption des esprits fait passer pour vertu, était entaché d'une ambition extrême, et d'un désir déréglé d'accroître sa fortune et sa réputation par toute sorte de voies; si bien que la fermeté de son courage et son puissant génie trouvèrent un triste et malheureux objet qui fut le trouble de l'État, et la confusion de la ville capitale dont il était archevêque or comme il jugeait que ce parti sans un chef ne pourrait pas subsister, il jeta les yeux sur M. le Prince, qu'il tenta par de si fortes raisons que l'on a dit qu'il en fut persuadé, ou qu'il fit semblant de l'être; même qu'il avait donné sa parole à Broussel et à Longueil de se mettre à leur tête; soit que cette parole ne fût pas véritable, et que le duc de Châtillon qui négociait de sa part avec les frondeurs, l'eût avancée sans ordre par sa propre inclination, ou plutôt que M. le Prince la donnât exprès pour les empêcher de s'adresser à M. le duc d'Orléans durant son mécontentement; tant y a qu'il détrompa ceux qui le soupçonnaient de favoriser

ces nouveautés.

:

Le coadjuteur se voyant hors d'espérance d'avoir un chef de cette considération, tourna ses espérances vers le prince de Conti, dont la seule naissance a de grandes suites dans le royaume. Ce prince était mal satisfait de n'avoir pas place au conseil, et l'était encore davantage du peu de cas que M. le Prince faisait de lui; d'ailleurs comme il était possédé entièrement par la duchesse de Longueville, sa sœur, qui était piquée de l'indifférence que M. le Prince avait pour elle, il s'abandonnait sans réserve à tous ses sentimens. Cette princesse qui aura grande part à la suite de ces affaires, avait tous les avantages de l'esprit et de la beauté en si haut point, et avec tant d'agrément, qu'il semblait que la nature avait pris plaisir de former en sa personne un ouvrage parfait et achevé; mais ces belles qualités étaient moins brillantes à cause d'une tache qui ne s'est jamais vue en une princesse de ce mérite, qui est que bien loin de donner la loi à ceux qui avaient une particulière adoration pour elle, elle se transformait si fort dans leurs sentimens, qu'elle ne reconnaissait plus les siens propres.

En ce temps-là le prince de Marsillac avait part dans son es

prit, et comme il joignait l'ambition à son amour, il lui inspira le désir des affaires, encore qu'elle y eût une aversion naturelle, et s'aida de la passion qu'elle avait de se venger de M. le Prince en lui opposant le prince de Conti. Le coadjuteur fut heureux dans son projet par la disposition où il trouva le frère et la sœur qui se lièrent avec les frondeurs par un traité, dans lequel entra aussi le duc de Longueville, poussé par des espérances de faire réussir au parlement ses prétentions mal fondées de prince du

sang.

La cour voyant que les menées de ses ennemis prévalaient à un point qu'on demandait ouvertement la perte du cardinal, mit toute son espérance à M. le duc d'Orléans et à M. le Prince, et crut que leur union à leurs majestés les mettrait à la raison; or comme le mal avait pénétré si avant qu'il fallait la force pour le déraciner, elle jugea que la nature tempérée de M. le duc d'Orléans y serait moins propre que celle de M. le Prince, incapable de toute modération, joint à cela que sa réputation dans la guerre, l'éclat de ses victoires, le secours de ses troupes, donneraient de la terreur dans les esprits; de sorte qu'on s'appliqua particulièrement à l'acquérir à une cause si juste. La reine y employa des persuasions très-puissantes, à savoir des larmes et des paroles assez tendres, en lui disant qu'elle le tenait pour son troisième fils. Le cardinal lui promit qu'il serait toute sa vie dépendant de ses volontés : le roi même en l'embrassant lui recommanda le salut de son État et de sa personne, si bien que la cour le considérait comme le principal défenseur de sa fortune; mais ceux qui le déterminèrent furent le maréchal de Grammont et Le Tellier par de semblables persuasions: ils lui représentèrent que de degré en degré le parlement envahissait toute l'autorité; que sans borner son ambition par la déclaration du 28 octobre, non-seulement il voulait connaître des affaires de la guerre, mais encore se donner le pouvoir d'òter les ministres, afin qu'en même temps il s'attribuât celui d'en établir de nouveaux à son choix, et qu'encore que les mutations fréquentes soient pernicieuses aux États, voire même qu'il soit plus avantageux quelquefois d'en souffrir un mauvais que de le changer; qu'il y a péril que si on souffre une usurpation jusques à présent inouie, il n'attaque les personnes privilégies, et qu'il y ait rien d'assez sacré qui ne soit violé par cette licence; que la condition des conseillers serait belle s'ils imposaient des lois aux rois, et celle des princes du sang, misérable s'ils les recevaient; que cette nouvelle pratique choque la monarchie qui est absolue et indépendante, et contraire aux constitutions de la France, et même à l'institution du parlement; que s'il y a des abus dans le royaume, ils doivent

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