Page images
PDF
EPUB

Molé à leurs majestés; assez de mémoires en sont remplis, il ne suffit de dire qu'il y avait trois sortes de partis dans le parle

ment.

Le premier était des Frondeurs, nom donné par raillerie à ceux qui étaient contre les sentimens de la cour. Ces gens-là étant touchés du désir d'arrêter le cours des calamités présentes, avaient le même objet, quoique par un différent motif que ceux qui étaient intéressés par leur fortune ou par leur haine particulière contre le principal ministre.

Le deuxième parti était des Mazarins, qui étaient persuadés que l'on devait une obéissance aveugle à la cour, les uns par conscience, pour entretenir le repos de l'État, les autres par les liaisons qu'ils avaient avec les ministres, ou par intérêt avec les gens d'affaires.

Et le dernier était de ceux qui blåmaient l'emportement des premiers, et n'approuvaient pas aussi la retenue des seconds, et qui se tenaient dans un parti mitoyen, pour agir dans les occasions on selon leur intérêt, ou selon leur devoir.

C'était la disposition du parlement, dont la plupart qui au commencement n'avaient point d'amour pour les nouveautés, parce que l'expérience des affaires du monde leur manquait, étaient bien aises d'être commis pour régler des abus qui s'étaient glissés dans l'administration de l'Etat, et de se voir médiateurs. entre la cour et le peuple.

On leur insinuait que cet emploi donnerait de la considération et de l'éclat à leurs personnes; que la charité les obligeait de secourir les malheureux dans leurs pressantes nécessités, et que le devoir de leurs charges qui sont instituées pour modérer l'extrême puissance des rois, et s'opposer à leurs déréglemens, les y conviait; qu'ils devaient savoir que, depuis quelques années, les ministres de France sont persuadés que c'est régner précairement quand leur empire ne s'étend que sur les choses permises; que les lois sont étouffées par la crainte, et la justice par la force; que pour notre infortune nos derniers rois leur ont si fort abandonné la conduite de l'État, qu'ils se sont rendus la proie de leurs passions; que le temps est venu qu'il faut remettre les anciens ordres, et cette relation harmonique qui doit exister entre un commandement légitime et une obéissance raisonnable; que pour cet effet les peuples réclamaient leur justice comme le seul asile pour prévenir leur dernière oppression, qu'une si sainte mission étant approuvée du ciel, et suivie des acclamations publiques, les mettrait à couvert de toute crainte; mais quand il y aurait du péril, que c'est le propre d'une rare vertu de se signaler plutôt dans la tempête que dans le calme, et que

La Rochefoucauld.

2

la mort, qui est égale pour tous les hommes, n'est distinguée que par l'oubli ou par la gloire.

Ces discours empoisonnés firent d'autant plus d'impression sur leurs esprits, que les hommes ont une inclination naturelle à croire ce qui flatte leur grandeur; si bien qu'ils se laissèrent charmer par ces douces voix de dieux tutélaires de la patrie et de restaurateurs de la liberté publique.

Celui qui leur inspirait ce venin avec plus d'artifice était Longueil, conseiller en la grand'chambre, lequel poussé d'un esprit d'ambition de rendre sa fortune meilleure dans les divisions publiques, avait depuis quelques années, en des assemblées secrètes, préparé plusieurs de ses confrères à combattre la domination des favoris, sous couleur du bien du royaume de sorte que dans la naissance de ces mouvemens et dans leurs progrès, il était consulté comme l'oracle de la Fronde, tant qu'il a été constant dans son parti.

- Cependant le parlement paraissant appliqué à la réformation. de l'Etat, s'assemblait tous les jours il avait déjà supprimé des édits et des droits nouveaux ; il avait révoqué les intendans des provinces, et rétabli les trésoriers de France et les élus en la fonction de leurs charges; il prétendait encore faire rendre compte de l'emploi des deniers levés depuis la régence, et insensiblement il attaquait l'administration du cardinal.

D'ailleurs la cour n'oubliait aucun moyen qui servît à faire cesser les assemblées; M. le duc d'Orléans, le premier président et le présient de Mesmes en représentaient la conséquence préjudiciable à la paix générale ; que les ennemis s'en figuraient un triomphe qui les rétablirait de leurs pertes passées et néanmoins le roi avait autorisé tous les arrêts que la compagnie avait donnés; mais les voies de douceur étaient mal interprétées, et passaient pour des marques de faiblesse et de crainte, qui rendaient les ennemis du cardinal plus fiers et plus actifs à le pousser.

En ce temps-là, M. le Prince commandait l'armée du roi en Flandre, il avait pris Ypres ; mais durant ce siége les Espagnols avaient repris Courtray, et remporté d'autres petits avantages: or, comme son génie est puissant et heureux à la guerre, il trouva l'armée d'Espagne le vingt-unième jour d'août dans les plaines d'Arras et de Lens, la combattit, et obtint une victoire célèbre.

Le duc de Châtillon, qui s'y était glorieusement signalé, vint de sa part en porter les nouvelles à la cour.

Le conseil du roi regarda ce grand succès comme un coup du ciel, dont il se fallait prévaloir pour arrêter le cours des dé

sordres que le temps et la patience augmentaient, et résolut de s'assurer de ceux du parlement qui étaient les plus animés principalement de Broussel, conseiller en la grand'chambre, personnage d'une ancienne probité, de médiocre suffisance, et qui avait vieilli dans la haine des favoris.

Ce bon homme, inspiré par ses propres sentimens et par les persuasions de Longueil, et d'autres qui avaient pris créance dans son esprit, ouvrait les avis les plus rigoureux qui étaient suivis par la cabale des frondeurs : de sorte que son nom faisait bruit dans les assemblées des chambres; et il s'était rendu chef de ce parti dans le parlement, d'autant plus accrédité que son âge et sa pauvreté le mettaient hors des atteintes de l'envie.

Or comme le peuple, qui ne bougeait du palais, était informé qu'il s'intéressait puissamment pour son soulagement, il le prit en affection, et lui donna ce beau titre de son père. L'arrêter était un coup bien hardi, et pouvait être très-salutaire s'il eût réussi, mais aussi il pouvait avoir des suites dangereuses comme nous verrons; pourtant il fut heureusement exécuté par Comminges (1), le matin que l'on chanta le Te Deum à NotreDame, de la victoire de Lens, durant que les compagnies des gardes étaient en haie dans les rues; et il fut conduit en sûreté hors la ville avec le président de Blancmenil pour être transféré à Sedan.

Deux heures après que le bruit de l'enlèvement de Broussel se fût répandu, les bourgeois du quartier Notre-Dame et des rues Saint-Denis, Saint-Martin et Saint-Honoré et des autres endroits, fermèrent leurs boutiques, et prirent tumultuairement les armes; chacun ressentant avec douleur ce qui était arrivé en la personne de Broussel, qu'ils réclamaient comme leur martyr. D'un autre côté, les grands, les ministres et toutes les personnes les plus qualifiées se rendirent au Palais-Royal, où l'on dissimulait l'excès du désordre; et ceux qui avaient eu grande peur en y allant, avaient la complaisance de dire à la reine que ce n'était que quelques canailles que l'on mettrait bientôt à la raison.

(1) On lit, dans une relation manuscrite concernant la journée des Barricades, les détails suivans:

« Le matin du 26 août 1648, M. de Comminges, lieutenant des gardes de la reine, accompagné de quinze ou seize de ses gardes, alla chercher M. de Broussel, conseiller de la grand'chambre, en sa maison au port Saint-Landry, proche Notre-Dame. Ce magistrat achevait de dîner, on ne lui donna pas le temps de prendre son manteau; il eut seulement celui de dire à ses enfans ces paroles remarquables: « Mes enfans, je n'espère pas vous revoir jamais, je » vous donne ma bénédiction ; je ne vous laisse point de bien, mais je vous » laisse un peu d'honneur; ayez soin de le conserver. »

Le coadjuteur de Paris, qui jusqu'alors n'avait point paru sur le théâtre du monde, et s'était renfermé dans l'étendue de sa profession, fut offrir son service à la reine, à qui il ne déguisa rien de ce qui se passait ses offres et ses avis furent également mal reçus, il ne laissa pas apparemment d'employer la dignité de son caractère et ses persuasions pour calmer les orages, et puis vint rendre compte de la sédition au Palais-Royal, où n'ayant pas reçu la satisfaction qu'il prétendait, il conçut du dépit contre le cardinal, qui fut la cause ou le prétexte qu'il prit pour, avec le refus qu'on lui avait fait de traiter le gouvernement de Paris, s'intéresser si avant dans le parti opposé à la cour.

Cependant la reine, naturellement incapable de peur, commanda aux maréchaux de La Meilleraye et de L'Hôpital de monter à cheval avec leurs amis, d'aller par les rues, et de contenir le peuple par quelque exemple de justice. Ils trouvèrent le mal tel qu'ils ne purent exécuter cet ordre; si bien était réduit à espérer que le tumulte s'apaiserait par la nuit, comme il arriva; mais un accident alluma le lendemain matin le feu qui s'allait éteindre.

que l'on

Le chancelier s'en allant au palais porter une déclaration du roi, qui défendait les assemblées des chambres, fut aperçu par quelque reste de populace mutinée : sa personne, odieuse au public, et sa mission animèrent force gens à courir après son carrosse, qui le firent fuir jusqu'à l'hôtel de Luynes, où ils le cherchaient pour immoler, se disaient-ils, cette âme vénale, ce protecteur des maltôtes, à tant de peuples ruinés par les édits qu'il avait scellés.

L'avis de l'état auquel il était parvint au Palais-Royal, d'où le maréchal de La Meilleraye partit avec quelques compagnies des gardes, qui firent une décharge sur ces séditieux, et délivrèrent le chancelier : mais ce fut un signal pour toute la ville de prendre les armes; car à même temps le peuple ferma les boutiques, tendit les chaînes par les rues, et fit des barricades jusque fort près du Palais-Royal.

Pendant cette émeute, le parlement délibérait sur la détention de leurs confrères avec d'autant plus de courage qu'il voyait le peuple se soulever en sa faveur : sans doute que si le chancelier fût arrivé au palais avec sa commission, on l'aurait retenu pour représaille.

Il fut arrêté d'un commun consentement que le parlement irait en corps à l'heure même supplier leurs majestés de mettre en liberté leurs confrères : ils trouvèrent le peuple par les rues sous les armes ; les uns les menaçaient s'ils ne ramenaient Brous

sel, les autres les conjuraient de ne rien craindre, et qu'ils périraient pour leur conservation, et tous ensemble protestaient de ne point mettre les armes bas qu'ils n'eussent vu le père de la patrie.

Le parlement, après avoir été introduit dans le grand cabinet du Palais-Royal où étaient leurs majestés, accompagnées de M. le duc d'Orléans, du prince de Conti, du cardinal Mazarin, des grands du royaume et des ministres d'état, le premier président représenta la douleur de la compagnie de la détention de leurs confrères, et exposa leurs très-humbles supplications pour leur liberté, qui étaient appuyées des vœux de cent mille hommes armés qui demandaient M. de Broussel. La reine répondit qu'elle s'étonnait que l'on fit tant de bruit pour un simple conseiller, et que le parlement à la détention de feu M. le Prince n'avait rien dit. Le premier président et le président de Mesmes répliquèrent que dans le point où les choses étaient venues, il n'y avait plus lieu de délibérer, et que c'était une nécessité absolue de fléchir sous la volonté des peuples qui n'écoutaient plus la voix du magistrat, et qui avaient perdu le respect et l'obéissance, enfin qui étaient les maîtres. La reine dit qu'elle ne se relâcherait point, et qu'ayant en main le sacré dépôt de l'autorité du roi son fils, elle ne consentirait jamais qu'on le violât en cédant aux passions d'une multitude; que le parlement remontrât aux mutins leur devoir; que ceux qui avaient excité la sédition s'employassent à l'apaiser, et qu'un jour le roi saurait faire la différence des gens de bien d'avec les ennemis de sa couronne. Ces messieurs firent encore des instances, mais en vain, sa majesté demeurant toujours dans une négative absolue ; si bien qu'ils s'en retournèrent au palais pour opiner sur ce refus. Lorsqu'ils furent arrivés à la première barricade, le peuple leur demande s'ils ont obtenu la liberté de monsieur de Broussel, et voyant à leur visage qu'ils ne l'avaient pas obtenue, les renvoie avec furie au Palais-Royal, menaçant que, si dans deux heures on ne la leur accorde, deux cent mille hommes iront en armes en supplier la reine, et qu'ils extermineront les ministres auteurs de la sédition. Ces messieurs retournent représenter ce qu'ils ont vu et ouï ; en fin ajoutent que puisqu'on ne peut vaincre leur désobéissance, ni par la raison ni par la force, il faut recevoir la loi si on ne veut mettre la couronne en péril. Là-dessus on tint conseil, où monsieur le duc d'Orléans et le cardinal furent d'avis, contre les sentimens de la reine, d'accorder la liberté aux prisonniers, ce qui fut incontinent déclaré au parlement: on le fit savoir au peuple, lequel nonobstant toutes les assurances qu'on lui en donna, soupçonnant que l'on ne l'exécuterait pas de bonne foi, persista encore à

« PreviousContinue »