Page images
PDF
EPUB

147. Peu de gens sont assez sages pour préférer le blâme qui leur est utile à la louange qui les trahit.

148. Il y a des reproches qui louent, et des louanges qui médisent.

149. Le refus de la louange est un désir d'être loué deux fois.

150. Le désir de mériter les louanges qu'on nous donne fortifie notre vertu; et celles qu'on donne à l'esprit, à la valeur et à la beauté, contribuent à les augmenter.

151. Il est plus difficile de s'empêcher d'être gouverné que de gouverner les autres.

152. Si nous ne nous flattions point nous-mêmes, la flatterie des autres ne nous pourrait nuire.

153. La nature fait le mérite, et la fortune le met en œuvre. 154. La fortune nous corrige de plusieurs défauts que la raison. ne saurait corriger.

155. Il y a des gens dégoûtans avec du mérite, et d'autres qui plaisent avec des défauts.

156. Il y a des gens dont tout le mérite consiste à dire et à faire des sottises utilement, et qui gâteraient tout s'ils changeaient de conduite.

157. La gloire des hommes se doit toujours mesurer aux moyens dont ils se sont servis pour l'acquérir.

158. Les rois font des hommes comme des pièces de monnaie : ils les font valoir ce qu'ils veulent, et l'on est forcé de les recevoir selon leur cours, et non pas selon leur véritable prix.

159. Ce n'est pas assez d'avoir de grandes qualités; il en faut avoir l'économie.

160. Quelque éclatante que soit une action, elle ne doit pas passer pour grande lorsqu'elle n'est pas l'effet d'un grand dessein.

161. Il doit y avoir une certaine proportion entre les actions et les desseins, si on en veut tirer tous les effets qu'elles peuvent produire.

162. L'art de savoir bien mettre en œuvre de médiocres qualités, dérobe l'estime et donne souvent plus de réputation que le véritable mérite.

163. Il y a une infinité de conduites qui paraissent ridicules, et dont les raisons cachées sont très-sages et très-solides.

164. Il est plus facile de paraître digne des emplois qu'on n'a pas, que de ceux qu'on exerce.

165. Notre mérite nous attire l'estime des honnêtes gens, et notre étoile celle du public.

166. Le monde récompense plus souvent les apparences du mérite que le mérite même.

167. L'avarice est plus opposée à l'économie que la libéralité. 168. L'espérance, toute trompeuse qu'elle est, sert au moins à nous mener à la fin de la vie par un chemin agréable.

169. Pendant que la paresse et la timidité nous retiennent dans notre devoir, notre vertu en a souvent tout l'honneur.

170. Il est difficile de démêler si un procédé net, sincère et honnête, est un effet de probité ou d'habileté.

171. Les vertus se perdent dans l'intérêt, comme les fleuves se perdent dans la mer.

172. Si on examine bien les divers effets de l'ennui, on trouvera qu'il fait manquer à plus de devoirs que l'intérêt.

173. Il y a diverses sortes de curiosité; l'une d'intérêt, qui nous porte à désirer d'apprendre ce qui nous peut être utile; et l'autre d'orgueil, qui vient du désir de savoir ce que les autres ignorent.

174. Il vaut mieux employer notre esprit à supporter les infortunes qui nous arrivent, qu'à prévoir celles qui nous peuvent arriver.

175. La constance en amour est une inconstance perpétuelle, qui fait que notre cœur s'attache successivement à toutes les qualités de la personne que nous aimons, donnant tantôt la préférence à l'une, tantôt à l'autre, de sorte que cette constance n'est qu'une inconstance arrêtée et renfermée dans un même - sujet.

176. Il y a deux sortes de constance en amour : l'une vient de ce que l'on trouve sans cesse dans la personne que l'on aime de nouveaux sujets d'aimer, et l'autre vient de ce qu'on se fait un honneur d'être constant.

177. Il n'y a guère de gens qui ne soient honteux de s'être aimés, quand ils ne s'aiment plus.

178. Nous ne pouvons rien aimer que par rapport à nous, et nous ne faisons que suivre notre goût et notre plaisir quand nous préférons nos amis à nous-mêmes; c'est néanmoins par cette préférence seule que l'amitié peut être vraie et parfaite.

179. Le premier mouvement de joie que nous avons du bonheur de nos amis, ne vient pas toujours de la bonté de notre naturel, ni de l'amitié que nous avons pour eux : c'est le plus souvent un effet de l'amour-propre, qui nous flatte de l'espérance d'être heureux à notre tour, ou de retirer quelque utilité de leur bonne fortune.

180. Les hommes ne vivraient pas long-temps en société, s'ils n'étaient les dupes les uns des autres.

181. La persévérance n'est digne ni de blâme, ni de louange, parce qu'elle n'est que la durée des goûts et des sentimens, qu'on ne s'ôte et qu'on ne se donne point.

182. Ce qui nous fait aimer les nouvelles connaissances, n'est pas tant la lassitude que nous avons des vieilles, ou le plaisir de changer, que le dégoût de n'être pas assez admiré de ceux qui nous connaissent trop, et l'espérance de l'être davantage de ceux qui ne nous connaissent pas tant.

183. Nous nous plaignons quelquefois légèrement de nos amis, pour justifier par avance notre légèreté.

184. Notre repentir n'est pas tant un regret du mal que nous avons fait, qu'une crainte de celui qui nous en peut arriver.

185. Il y a une inconstance qui vient de la légèreté de l'esprit, ou de sa faiblesse qui lui fait recevoir toutes les opinions d'autrui : il y en a une autre qui est plus excusable, qui vient du dégoût des choses.

186. Les vices entrent dans la composition des vertus, comme les poisons entrent dans la composition des remèdes. La prudence les assemble et les tempère, et elle s'en sert utilement contre les maux de la vie.

187. Il faut demeurer d'accord, à l'honneur de la vertu, que les plus grands malheurs des hommes sont ceux où ils tombent par leurs crimes.

188. Il y a des crimes qui deviennent innocens et même glorieux par leur éclat, leur nombre et leurs excès. De là vient que les voleries publiques sont des habiletés, et que prendre des provinces injustement s'appelle faire des conquêtes.

189. Nous avouons nos défauts pour réparer par notre sincérité le tort qu'ils nous font dans l'esprit des autres.

190. Il y a des héros en mal comme en bien.

191. On ne méprise pas tous ceux qui ont des vices; mais on méprise tous ceux qui n'ont aucune vertu.

192. Le nom de la vertu sert à l'intérêt aussi utilement que les vices.

193. La santé de l'âme n'est pas plus assurée que celle du corps; et quoique l'on paraisse éloigné des passions, on n'est past moins en danger de s'y laisser emporter que de tomber malade quand on se porte bien.

194. Il semble que la nature ait prescrit à chaque homme,

des sa naissance, des bornes pour les vertus et pour les vices. 195. Il n'appartient qu'aux grands hommes d'avoir de grands défauts.

196. On peut dire que les vices nous attendent dans le cours de la vie, comme des hôtes chez qui il faut successivement loger; et je doute que l'expérience nous les fit éviter, s'il nous était permis de faire deux fois le même chemin.

197. Quand les vices nous quittent, nous nous flattons de la créance que c'est nous qui les quittons.

198. Il y a des rechutes dans les maladies de l'âme comme dans celles du corps. Ce que nous prenons pour notre guérison, n'est le plus souvent qu'un relâche ou un changement de mal.

199. Les défauts de l'âme sont comme les blessures du corps ; quelque soin qu'on prenne de les guérir, la cicatrice paraît toujours, et elles sont à tout moment en danger de se rouvrir.

200. Ce qui nous empêche souvent de nous abandonner à un seul vice, est que nous en avons plusieurs.

201. Nous oublions aisément nos fautes, lorsqu'elles ne sont Sues que de nous. 202. Il y a des gens de qui l'on peut ne jamais croire du mal sans l'avoir vu; mais il n'y en a point de qui il nous doive surprendre en le voyant.

203. Nous élevons la gloire des uns pour abaisser celle des autres et quelquefois on louerait moins M. le Prince et M. de Turenne, si on ne les voulait point blâmer tous deux.

204. Le désir de paraître habile empêche souvent de le devenir. 205. La vertu n'irait pas si loin, si la vanité ne lui tenait compagnie.

206. Celui qui croit pouvoir trouver en soi-même de quoi se passer de tout le monde se trompe fort; mais celui qui croit qu'on ne peut se passer de lui se trompe encore davantage.

207. Les faux honnêtes gens sont ceux qui déguisent leurs défauts aux autres et à eux-mêmes. Les vrais honnêtes gens sont ceux qui les connaissent parfaitement et les confessent.

208. Le vrai honnête homme est celui qui ne se pique de rien. 209. La sévérité des femmes est un ajustement et un fard qu'elles ajoutent à leur beauté.

210. L'honnêteté des femmes est souvent l'amour de leur réputation et de leur repos.

211. C'est être véritablement honnête homme que de vouloir être toujours exposé à la vue des honnêtes gens.

212. La folie nous suit dans tous les temps de la vie. Si quelqu'un paraît sage, c'est seulement parce que ses folies sont proportionnées à son âge et à sa fortune.

213. Il y a des gens niais qui se connaissent et qui emploient habilement leur niaiserie.

214. Qui vit sans folie, n'est pas si sage qu'il le croit.

215. En vieillissant on devient plus fou et plus sage.

216. Il y a des gens qui ressemblent aux vaudevilles, qu'on ne chante qu'un certain temps.

217. La plupart des gens ne jugent des hommes que par la vogue qu'ils ont, ou par leur fortune.

218. L'amour de la gloire, la crainte de la honte, le dessein de faire fortune, le désir de rendre notre vie commode et agréable, et l'envie d'abaisser les autres, sont souvent les causes de cette valeur si célèbre parmi les hommes.

219. La valeur est dans les simples soldats un métier périlleux qu'ils ont pris pour gagner leur vie.

220. La parfaite valeur et la poltronnerie complète sont deux extrémités où l'on arrive rarement. L'espace qui est entre deux est vaste, et contient toutes les autres espèces de courage. Il n'y a pas moins de différence entre elles qu'entre le visage et les humeurs. Il y a des hommes qui s'exposent volontiers au commencement d'une action, et qui se relâchent et se rebutent aisément par sa durée. Il y en a qui sont contens quand ils ont satisfait à l'honneur du monde, et qui font fort peu de chose audela. On en voit qui ne sont pas toujours également maîtres de leur peur. D'autres se laissent quelquefois entraîner à des terreurs générales; d'autres vont à la charge parce qu'ils n'osent demeurer dans leurs postes. Il s'en trouve à qui l'habitude des moindres périls affermit le courage et les prépare à s'exposer à de plus grands. Il y en a qui sont braves, l'épée à la main, et qui craignent les coups de mousquet; d'autres sont assurés aux coups de mousquet et appréhendent de se battre à l'épée. Tous ces courages de différentes espèces conviennent en ce que la nuit augmentant la crainte et cachant les bonnes et les mauvaises actions, elle donne la liberté de se ménager. Il y a encore un autre ménagement plus général : car on ne voit point d'homme qui fasse tout ce qu'il serait capable de faire dans une occasion, s'il était assuré d'en revenir; de sorte qu'il est visible que la crainte de la mort diminue quelque chose à la valeur.

221. La parfaite valeur est de faire sans témoins ce qu'on serait capable de faire devant tout le monde.

« PreviousContinue »