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69. S'il y a un amour pur et exempt du mélange de nos autres passions, c'est celui qui est caché au fond du cœur, et que nous ignorons nous-mêmes.

70. Il n'y a point de déguisement qui puisse long-temps cacher l'amour où il est, ni le feindre où il n'est pas.

71. Comme on n'est jamais en liberté d'aimer ou de cesser d'aimer, l'amant ne peut pas se plaindre avec justice de l'inconstance de sa maîtresse, ni elle de la légèreté de son amant.

72. Si on juge de l'amour par la plupart de ses effets, il ressemble plus à la haine qu'à l'amitié.

73. On peut trouver des femmes qui n'ont jamais eu de galanterie; mais il est rare d'en trouver qui n'en aient jamais eu qu'une.

74. Il n'y a que d'une sorte d'amour, mais il y en a mille différentes copies.

75. L'amour, aussi bien que le feu, ne peut subsister sans un mouvement continuel, et il cesse de vivre dès qu'il cesse d'espérer ou de craindre.

76. Il en est du véritable amour comme de l'apparition des esprits tout le monde en parle, mais peu de gens en ont vu.

77. L'amour prête son nom à un nombre infini de commerces qu'on lui attribue, et où il n'a non plus de part que le doge à ce qui se fait à Venise.

78. L'amour de la justice n'est, en la plupart des hommes, que la crainte de souffrir l'injustice.

79. Le silence est le parti le plus sûr pour celui qui se défie de soi-même.

80. Ce qui nous rend si changeans dans nos amitiés, c'est qu'il est difficile de connaître les qualités de l'âme, et facile de connaître celles de l'esprit.

81. L'amitié la plus désintéressée n'est qu'un commerce où notre amour-propre se propose toujours quelque chose à gagner.

82. La réconciliation avec nos ennemis n'est qu'un désir de rendre notre condition meilleure, une lassitude de la guerre, et une crainte de quelque mauvais événement.

83. Quand nous sommes las d'aimer, nous sommes bien aises qu'on nous devienne infidèle pour nous dégager de notre fidélité. 84. Il est plus honteux de se défier de ses amis que d'en être trompé.

85. Nous nous persuadons souvent d'aimer les gens plus puissans que nous, et néanmoins c'est l'intérêt seul qui produit notre

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amitié; nous ne nous donnons pas à eux pour le bien que nous leur voulons faire, mais pour celui que nous en voulons recevoir. 86. Notre défiance justifie la tromperie d'autrui.

87. Comment prétendons-nous qu'un autre garde notre secret, si nous ne pouvons le garder nous-mêmes?

88. L'amour-propre nous augmente ou nous diminue les bonnes qualités de nos amis à proportion de la satisfaction que nous avons d'eux; et nous jugeons de leur mérite la manière

dont ils vivent avec nous.

par

89. Tout le monde se plaint de sa mémoire, et personne ne se plaint de son jugement.

90. Il n'y en a point qui pressent tant les autres que les paresseux; lorsqu'ils ont satisfait à leur paresse, ils veulent paraître diligens.

91. La plus grande ambition n'en a pas la moindre apparence, lorsqu'elle se rencontre dans une impossibilité absolue d'arriver où elle aspire.

92. Détromper un homme préocupé de son mérite, c'est lui rendre un aussi mauvais office que celui que l'on rendit à ce fou d'Athènes qui croyait que tous les vaisseaux qui arrivaient dans le port étaient à lui.

93. Les vieillards aiment à donner de bons préceptes, pour se consoler de n'être plus en état de donner de mauvais exemples. 94. Les grands noms abaissent, au lieu d'élever ceux qui ne les savent pas soutenir.

95. La marque d'un mérite extraordinaire est de voir qui l'envient le plus sont contraints de le louer.

que ceux

96. C'est une preuve de peu d'amitié, de ne s'apercevoir pas du refroidissement de celle de nos amis.

97. On s'est trompé lorsqu'on a cru que l'esprit et le jugement étaient deux choses différentes : le jugement n'est que la grandeur de la lumière de l'esprit ; cette lumière pénètre le fond des choses; elle y remarque tout ce qu'il faut remarquer, et aperçoit celles qui semblent imperceptibles. Ainsi il faut demeurer d'accord que c'est l'étendue de la lumière de l'esprit qui produit tous les effets qu'on attribue au jugement.

98. Chacun dit du bien de son cœur, et personne dire de son esprit.

n'en ose

99. La politesse de l'esprit consiste à penser des choses honnêtes et délicates.

100. La galanterie de l'esprit est de dire des choses flatteuses d'une manière agréable.

101. Il arrive souvent que des choses se présentent plus achevées à notre esprit, qu'il ne les pourrait faire avec beaucoup d'art. 102. L'esprit est toujours la dupe du cœur.

103. Tous ceux qui connaissent leur esprit, ne connaissent pas leur cœur.

104. Les hommes et les affaires ont leur point de perspective. Il y en a qu'il faut voir de près pour en bien juger; et d'autres dont on ne juge jamais si bien que quand on en est éloigné.

105. Celui-là n'est pas raisonnable à qui le hasard fait trouver la raison; mais celui qui la connaît, qui la discerne et qui la goûte.

106. Pour bien savoir les choses, il en faut savoir le détail; et comme il est presque infini, nos connaissances sont toujours superficielles et imparfaites.

107. C'est une espèce de coquetterie de faire remarquer qu'on n'en fait jamais.

108. L'esprit ne saurait jouer long-temps le personnage du

cœur.

109. La jeunesse change ses goûts par l'ardeur du sang, et la vieillesse conserve les siens par l'accoutumance.

110. On ne donne rien si libéralement que ses conseils. 111. Plus on aime une maîtresse, et plus on est près de la haïr. 112. Les défauts de l'esprit augmentent en vieillissant, comme ceux du visage.

113. Il y a de bons mariages; mais il n'y en a point de délicieux.

114. On ne se peut consoler d'être trompé par ses ennemis et trahi par ses amis, et l'on est souvent satisfait de l'être par

soi-même.

115. Il est aussi facile de se tromper soi-même sans s'en apercevoir, qu'il est difficile de tromper les autres sans qu'ils s'en aperçoivent.

116. Rien n'est moins sincère que la manière de demander et de donner des conseils. Celui qui en demande paraît avoir une déférence respectueuse pour les sentimens de son ami, bien qu'il ne pense qu'à lui faire approuver les siens, et à le rendre garant de sa conduite; et celui qui conseille paie la confiance qu'on lui témoigne d'un zèle ardent et désintéressé, quoiqu'il ne cherche

le plus souvent dans les conseils qu'il donne que son propre intérêt ou sa gloire.

117. La plus subtile de toutes les finesses est de savoir bien feindre de tomber dans les piéges qu'on nous tend, et l'on n'est jamais si aisément trompé que quand on songe à tromper les

autres.

118. L'intention de ne jamais tromper nous expose à être souvent trompés.

119. Nous sommes si accoutumés à nous déguiser aux autres, qu'à la fin nous nous déguisons à nous-mêmes.

120. On fait plus souvent des trahisons par faiblesse que par un dessein formé de trahir.

121. On fait souvent du bien pour pouvoir impunément faire

du mal.

122. Si nous résistons à nos passions, c'est plus par leur faiblesse que par notre force.

123. On n'aurait guère de plaisirs si l'on ne se flattait jamais.

124. Les plus habiles affectent toute leur vie de blâmer les finesses, pour s'en servir en quelque grande occasion et pour quelque grand intérêt.

125. L'usage ordinaire de la finesse est la marque d'un petit esprit, et il arrive presque toujours que celui qui s'en sert pour se couvrir en un endroit, se découvre en un autre.

126. Les finesses et les trahisons ne viennent que de manque d'habileté.

127. Le vrai moyen d'être trompé, c'est de se croire plus fin

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128. La trop grande subtilité est une fausse délicatesse ; et la véritable délicatesse est une solide subtilité.

129. Il suffit quelquefois d'être grossier pour n'être pas trompé par un habile homme.

130. La faiblesse est le seul défaut qu'on ne saurait corriger. 131. Le moindre défaut des femmes qui se sont abandonnées à faire l'amour, c'est de faire l'amour.

132. Il est plus aisé d'être sage pour les autres, que de l'être pour soi-même.

133. Les seules bonnes copies sont celles qui nous font voir le ridicule des méchans originaux.

134. On n'est jamais si ridicule par les qualités que l'on a, que par celles que l'on affecte d'avoir.

135. On est quelquefois aussi différent de soi-même que des

autres.

136. Il y a des gens qui n'auraient jamais été amoureux, s'ils n'avaient jamais entendu parler de l'amour.

137. On parle peu quand la vanité ne fait pas parler.

138. On aime mieux dire du mal de soi-même que de n'en point parler.

139. Une des choses qui fait que l'on trouve si peu de gens qui paraissent raisonnables et agréables dans la conversation, c'est qu'il n'y a presque personne qui ne pense plutôt à ce qu'il veut dire qu'à répondre précisément à ce qu'on lui dit. Les plus habiles et les plus complaisans se contentent de montrer seulement une mine attentive, en même temps que l'on voit dans leurs yeux et dans leur esprit un égarement pour ce qu'on leur dit, et une précipitation pour retourner à ce qu'ils veulent dire; au lieu de considérer que c'est un mauvais moyen de plaire aux autres ou de les persuader, que de chercher si fort à se plaire à soi-même, et que bien écouter et bien répondre est une des plus grandes perfections qu'on puisse avoir dans la conversation.

140. Un homme d'esprit serait souvent bien embarrassé dans la compagnie des sots.

141. Nous nous vantons souvent de ne nous point ennuyer; nous sommes si glorieux que nous ne voulons pas nous trouver de mauvaise compagnie.

142. Comme c'est le caractère des grands esprits de faire entendre en peu de paroles beaucoup de choses, les petits esprits, au contraire, ont le don de beaucoup parler et de ne rien dire.

143. C'est plutôt par l'estime de nos propres sentimens que nous exagérons les bonnes qualités des autres, que par l'estime de leur mérite; et nous voulons nous attirer des louanges, lorsqu'il semble que nous leur en dounons.

144. On n'aime point à louer et on ne loue jamais personne sans intérêt. La louange est une flatterie habile, cachée et délicate, qui satisfait différemment celui qui la donne et celui qui la reçoit l'un la prend comme une récompense de son mérite; l'autre la donne pour faire remarquer son équité et son dis

cernement.

145. Nous choisissons souvent des louanges empoisonnées, qui font voir par contre-coup en ceux que nous louons des défauts que nous n'osons découvrir d'une autre sorte.

146. On ne loue d'ordinaire que pour être loué.

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