Page images
PDF
EPUB

Qu'il fallait, par ses soins et par sa complaisance, se remettre au même point où elle avait été ; et qu'ainsi étant unie avec madame de Senecey, madame de Hautefort, et le reste de ceux en qui la reine se confiait, qui m'avaient tous donné parole d'être entièrement dans ses intérêts, elle serait en état de détruire ou protéger le cardinal Mazarin selon que sa conservation ou sa ruine seraient utiles au public.

Madame de Chevreuse me témoigna d'approuver mes pensées, et me promit affirmativement de les suivre : elle arriva auprès de la reine dans cette résolution-là, et quoiqu'elle en fût reçue avec beaucoup de marques d'amitié, je n'eus pas grande peine à remarquer la différence de la joie qu'elle avait de la voir, à celle qu'elle avait eue autrefois de m'en parler; et je connus par de certains défauts qu'elle remarqua en sa personne, que les mauvais offices qu'on lui avait rendus avaient fait une assez grande impression sur son esprit.

Madame de Chevreuse les méprisa tous néanmoins, et crut que sa présence détruirait en un moment tout ce que ses ennemis avaient fait contre elle pendant son absence.

Elle fut fortifiée dans cette opinion par le duc de Beaufort; et ils crurent l'un et l'autre qu'étant unis ils pourraient facilement détruire le cardinal Mazarin devant qu'il eût eu le temps de s'établir.

Cette pensée fit recevoir à madame de Chevreuse toutes les avances du cardinal Mazarin comme des marques de sa faiblesse; et elle crut que c'était assez y répondre que de ne pas se déclarer ouvertement de vouloir sa ruine, mais seulement de la procurer en établissant M. de Châteauneuf dans les affaires.

Elle crut aussi être obligée d'appuyer mes intérêts, et voyant la reine dans le dessein de me donner quelque établissement considérable, elle insista fort pour me faire avoir le gouvernement du Havre-de-Grâce qui est entre les mains du duc de Richelieu, afin qu'en me procurant du bien elle pût commencer la persécution et la ruine de cette maison-là.

Cependant le cardinal Mazarin voyant bien que la reine n'était plus en état d'entreprendre une affaire de cette importance sans sa participation, crut que, pour l'empêcher, il suffisait de dire qu'il approuverait toujours avec beaucoup de soumission toutes les volontés de la reine, mais qu'il croyait être obligé, non-seulement pour la reconnaissance qu'il lui devait, mais aussi pour l'intérêt du service de la reine, de lui représenter les raisons qu'elle avait de maintenir la maison de Richelieu; qu'il souhaiterait toujours qu'elle les approuvât, mais qu'il ne croirait point avoir sujet de se plaindre quand on ne suivrait point son avis. Il ne se

déclara pas si ouvertement sur le retour de M. de Châteauneuf, soit qu'il le crût si ruiné dans l'esprit de la reine qu'il s'imaginât lui pouvoir donner cette marque de sa modération sans aucun péril, et qu'elle était assez éloignée de le remettre dans les affaires par son propre sentiment, sans qu'il essayât de faire quelque effort pour cela; mais enfin il se contenta de laisser agir M. le chancelier qui, étant obligé pour sa propre conservation d'exclure M. de Châteauneuf qui ne pouvait revenir à la cour sans lui ôter les sceaux, avait pris toutes les précautions imaginables auprès de la reine, par le moyen d'une de ses sœurs qui était religieuse à Pontoise, et de ce même Montaigu dont j'ai déjà parlé. Cependant tous ces retardemens aigrissaient au dernier point madame de Chevreuse; elle les considérait comme des artifices du cardinal Mazarin, qui non-seulement accoutumaient par là la reine à ne lui accorder pas d'abord les choses qu'elle en désirait, mais qui diminuaient beaucoup dans l'esprit du monde la bonne opinion qu'elle y voulait donner de son crédit : elle témoignait souvent sa mauvaise satisfaction à la reine, et dans ses plaintes elle y mêlait toujours quelque chose de piquant contre cardinal Mazarin : elle ne pouvait souffrir d'être obligée de lui parler de ce qu'elle désirait de la reine, et elle faisait paraître qu'elle aimait mieux n'en recevoir point de grâces, que d'en devoir une partie à l'entremise du cardinal: lui, au contraire, qui voyait que cette conduite de madame de Chevreuse persuadait mieux à la reine qu'elle avait dessein de la gouverner que tout ce qu'il avait employé jusque-là pour le lui faire croire, prit des voies bien différentes pour la ruiner.

GUERRE DE PARIS.

Il est presque impossible d'écrire une relation bien juste des

mouvemens passés, parce que ceux qui les ont causés, ayant agi par de mauvais principes, ont pris soin d'en dérober la connaissance, de peur que la postérité ne leur imputât d'avoir dévoué à leurs intérêts la félicité de leur patrie; outre cette raison, il est assez malaisé à celui qui écrit des affaires de son temps, qu'il conserve ses passions si pures qu'il ne s'abandonne à la haine ou à la flatterie, qui sont les écueils ordinaires où la vérité fait naufrage. Quant à moi, je me propose de faire un récit désintéressé de qui s'est passé, pour laisser à ceux qui le liront la liberté entière du blâme ou de la louange.

La France avait déclaré la guerre en l'année 1635 à la maison

d'Autriche, et la fortune avait favorisé une si haute entreprise par tant d'heureux succès, qu'elle était victorieuse par tous les endroits où elle portait ses armes. Nous avions pénétré dans le coeur de la Flandre, ayant assujetti toute la rivière du Lys: l'on avait porté en Allemagne la victoire jusques au Danube, par la fameuse bataille de Norlingue : le Milanais était le théâtre de la guerre d'Italie; et du côté d'Espagne nos conquêtes n'auraient pas été bornées par le Roussillon et la Catalogne, sans Lerida qui en était le terme fatal.

Ces prospérités qui avaient commencé du temps du feu roi, avaient encore continué avec plus d'éclat pendant les cinq premières années de la régence, qui s'étaient rendues fameuses par de si belles et célèbres victoires; non sans admiration, que dans un temps de minorité, d'ordinaire exposé aux guerres civiles et domestiques, l'on eût remporté des avantages si considérables sur les étrangers.

Mais comme c'est l'étoile de notre nation de se lasser de son propre bonheur, et de se combattre elle-même quand elle ne trouve pas de résistance au dehors; ou bien que Dieu ait prescrit aux empires de certaines limites de puissance et de durée, qui sont hors de la jurisdiction des hommes, nous avons perdu dans une campagne, par nos divisions, la plupart des conquêtes que nous avions faites pendant le cours heureux de plusieurs années. Mais avant que d'entrer dans la narration de ces troubles, il est à propos de dire comme les choses se gouvernaient dans le cabinet.

Le conseil du roi pendant la régence de la reine était composé de M. le duc d'Orléans, de M. le Prince, et du cardinal Mazarin.

Les autres ministres, comme le chancelier, M. de Longueville, le surintendant Chavigny, et Servien, y avaient peu de considération.

Les principales affaires se réglaient du conseil des princes et du cardinal, qui en avait l'entière direction, par la confiance que la reine prenait en lui.

Les princes du sang étaient fort unis à la reine, et cette union produisait le bonheur public, d'autant que par là toutes les espérances des nouveautés étant ôtées, auxquelles notre nation a une pente naturelle, chacun aspirait par des services légitimes à quelque accroissement en sa fortune.

Le cardinal Mazarin entretenait cette bonne intelligence, avantageuse à sa conservation; et lorsque l'un des princes voulait s'élever, il le modérait par l'opposition de l'autre; et balançant leur puissance, la sienne était sans comparaison la plus respectée.

D'ailleurs il avait procuré au duc d'Orléans le gouvernement du Languedoc, et s'était si fort rendu dépendant l'abbé de La Rivière, son premier ministre, qu'il envisageait toutes les voies hors des bonnes grâces du cardinal pour son élévation au cardinalat comme des précipices.

Pour le duc d'Enguien le cardinal satisfaisait à son ambition par le gouvernement de Champagne et de Stenay, et par le commandement des armées qu'il lui procurait : joint que Mazarin étant étranger, sans parens, sans établissement, d'une nature assez douce, il était moins appréhendé; et les princes moins appliqués aux affaires s'en déchargeaient sans envie sur lui.

Or comme il prévoyait que la liaison des princes et de leur autorité affaiblirait celle de la reine, il jetait adroitement dans leurs esprits des soupçons de jalousie et de défiance, l'un de l'autre, lesquels il dissipait à propos, de crainte qu'ils ne vinssent à une rupture : ainsi étant l'auteur de leurs différends, il lui était aisé d'être l'arbitre de leur réconciliation, et même de s'en attirer le mérite. Pour les autres grands du royaume, comime ils étaient sans pouvoir, leur bonne ou mauvaise volonté n'était pas regardée.

Telle était l'assiette de la cour, lorsque des événemens rompant cette union, si nécessaire à l'État, lui causèrent des maux très-funestes.

Avant que de les dire, je remarquerai la mort du prince, de Condé arrivée à la veille de ces mouvemens, d'autant plus considérable que l'opinion publique est que s'il eût vécu il les aurait prévenus par sa prudence et son autorité, qui donnait de la retenue aux ministres, et à laquelle le parlement aurait déféré.

L'union de ces puissances était un gage si solide de la tranquillité du royaume, qu'elle donnait trop de confiance aux ministres, et ne retenait point Emery, surintendant des finances, de faire de grandes levées de deniers.

Or co.nme cette conduite, quoique colorée de la guerre étrangère et de la défense de l'État, avait été introduite durant le ministère du cardinal de Richelieu, et qu'elle n'en était qu'une suite, il ne sera pas inutile d'en parler.

Ce ministre, dont la politique absolue avait violé les anciennes lois du royaume pour établir l'autorité immodérée de son maître, dont il était le dispensateur, avait considéré tous les réglemens de cet État comme des concessions forcées et des bornes imposées à la puissance des rois, plutôt que des fondemens solides pour bien régner; et comme son administration trop longue avait été autorisée par de grands succès pendant la vie du feu roi, il renversa toutes les formes de la justice et des finances, et introduisit

pour le souverain tribunal de la vie et des biens des hommes la volonté royale.

Ce gouvernement si violent subsista jusqu'à sa mort, et le roi ne lui ayant survécu que de peu de mois après, laissa à la reine avec la régence, l'établissement de ses ordres de finances, qui semblaient nécessaires pour subvenir aux dépenses de la guerre.

Sa majesté, dans les premiers jours de sa régence, pressée de faire ses libéralités, épuisa l'épargne des plus clairs deniers ; et par là Emery fut obligé de mettre en pratique tous les expédiens que son esprit lui fournissait, sans être retenu ni par la justice, ni par la pitié, ni par le désespoir où il portait le monde.

Pour cet effet, après avoir consommé la substance des peuples par des subsides nouveaux, il porte ses soins dans les villes, taxe les aisés et malaisés, fait de nouvelles créations d'offices, prend les gages des anciens officiers, saisit les rentes publiques, exige des emprunts, prépare encore de nouveaux édits, et par cette inquisition rigoureuse sur les biens de toute nature, il poussa dans une révolte secrète les compagnies, les communautés et les corps de ville; enfin, toutes ressources étant épuisées, il veut prendre les gages des chambres des comptes, des cours des aides et grand conseil, qui firent leurs plaintes au parlement, qui donna ce célèbre arrêt d'union.

Cet arrêt fut un signal pour tous les mécontens, les rentiers, les trésoriers de France, les secrétaires du roi, les élus, les officiers des tailles et des gabelles. Enfin les peuples de toutes conditions se rallièrent, exposant leurs griefs au parlement, et en demandant la réparation.

Les noms des partisans et d'Émery tombèrent dans l'exécration publique; chacun déclame contre l'exaction violente des traitans, la puissance démesurée des intendans, la cruauté des fusiliers, les contraintes rigoureuses contre le pauvre peuple, par la vente de leurs biens, l'emprisonnement de leurs personnes, la solidité réelle des tailles; bref, cette oppression dernière, nuisible à la vie, à la liberté et aux biens de tous les sujets du roi.

Le parlement paraissant touché des misères publiques, reçoit les supplications des malheureux, offre de leur faire justice, et par la part qu'il témoigne prendre aux souffrances des peuples, acquiert leur bienveillance en un point qu'ils sont respectés comme leurs dieux vengeurs et libérateurs.

Je ne prétends pas faire un récit des assemblées des chambres, des matières que l'on y a traitées, des avis et résultats, et des remontrances de la compagnie, portées par le premier président

« PreviousContinue »