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raisonnables de la paix, et que M. le Prince puisse envoyer en Espagne pour les ajuster, et arrêter le lieu de la conférence.

5. Qu'on fasse un conseil composé de personnes qui ne seront pas suspectes, et dont on conviendra.

6. Qu'on ôte le surintendant, et qu'on règle semblablement les finances par un bon conseil.

7. Que tous ceux qui ont servi Monsieur ou messieurs les Princes, soient rétablis dans leurs biens et dans leurs charges et gouvernemens, pensions et assignations, et qu'ils soient réassignés sur de bons fonds, et messieurs les Princes aussi.

8. Que Monsieur soit satisfait sur les choses qu'il peut désirer pour lui et pour ses amis et serviteurs.

9. Que les troupes et les officiers qui ont suivi messieurs les Princes seront traitées comme elles l'étaient auparavant, et auront le même rang qu'elles avaient.

10. Qu'on accorde à messieurs de Bordeaux les choses qu'ils demandaient avant cette guerre, et pour lesquelles ils avaient des députés à la cour.

11. Qu'on accorde quelque décharge des tailles dans la Guienne, selon qu'on conviendra de bonne foi.

12. Qu'on accorde à M. le prince de Conti la permission de traiter du gouvernement de Provence avec M. d'Angoulême, et de lui donner la Champagne en échange, ou de vendre ce gouvernement-là à qui il voudra pour en donner l'argent à M. d'Angoulême, et le surplus lui sera baillé par le roi.

13. Qu'on donne à M. de Nemours le gouvernement d'Au

vergne.

14. Qu'on donne à M. le président Viole la permission de traiter d'une charge de président à mortier, ou de secrétaire d'état, et parole que ce sera la première, et une somme d'argent dès cette heure pour lui en faciliter la récompense.

15. Qu'on accorde à M. de La Rochefoucauld et le brevet qu'il demande pareil à celui de messieurs de Bouillon et de Guémené pour le rang de leurs maisons, et six vingt mille écus pour traiter du gouvernement de Saintonge et d'Angoumois si on le veut vendre, ou de tel autre qu'il voudra.

16. Qu'on donnera à M. le prince de Tarente un brevet pour son rang pareil à celui de M. de Bouillon, duquel on le mettra en possession, et une somme de deniers pour le dédommagement des pertes qu'il a souffertes à la prise et rasement de Taillebourg, suivant le mémoire qu'il en donnera.

17. Qu'on fasse messieurs de Marchin et du Doignon, maréchaux de France.

18. Qu'on donne des lettres de duc à M. de Montespan.

19. Qu'on rétablisse M. de Rohan dans son gouvernemen! d'Angers, et qu'on lui donne le pont de Cé et le ressort de Saumur.

20. Qu'on donne à M. de La Force le gouvernement de Bergerac et Sainte-Foi, et la survivance à M. de Castelnau son fils. 21. Qu'on assure M. le marquis de Sillery de le faire chevalier de l'ordre à la première promotion, dont il lui sera donné un brevet.

Moyennant tout ce que dessus, on promet de poser les armes, et consentir de bonne foi à tous les avantages de M. le cardinal Mazarin, à tout ce qu'il pourra faire pour sa justification, et à son retour même dans trois mois, ou dans le temps que M. le Prince, après avoir ajusté les points de la paix générale avec les Espagnols, sera arrivé au lieu de la conférence avec les ministres d'Espagne, et qu'il aura mandé que la paix sera près d'être signée, laquelle néanmoins il ne signera qu'après le retour de M. le cardinal Mazarin. Cependant que l'argent mentionné par le traité sera donné auparavant son retour.

Le cardina! écouta les popositions de Gourville, et y parut très-facile, soit qu'il eût véritablement l'intention de les accorder, ou qu'il voulût découvrir les sentimens du duc de Bouillon sur ce qu'on lui proposait, particulièrement sur l'article de sa sortie hors du royaume, et juger par là si le duc de Bouillon essayerait de se prévaloir de son absence, ou s'il demeurerait ferme dans ses intérêts; mais le duc de Bouillon qui pénétra son intention, et qui craignait de plus que la paix se fit sans qu'il eût pour lui le duché d'Albret qu'on devait retirer de M. le Prince pour faire une partie de la récompense de Sedan, dit au cardinal, que, puisqu'il trouvait juste de faire des grâces à tous les amis de M. le Prince, qui étaient ses ennemis déclarés, il croyait qu'il était encore plus raisonnable de faire justice à ses amis qui l'avaient assisté et maintenu contre M. le Prince. Qu'il ne trouvait rien à dire à ce qu'on voulait faire les ducs de Nemours et de La Rochefoucauld, Marchin et les autres; mais qu'il pensait aussi qu'ayant un intérêt aussi considérable que le duché d'Albret, on ne devait rien conclure sans obliger M. le Prince à le satisfaire là-dessus. De quelque esprit que partissent les raisons du duc de Bouillon, elles empêchèrent le cardinal de passer outre, et il renvoya Gourville vers M. le Prince pour lever cette difficulté. Mais comme dans toutes les grandes affaires les retardemens sont d'ordinaire très-considérables, ils le devaient être particulièrement dans celle-ci, qui était composée, . non-seulement de tant d'intérêts différens, et regardée par tant de cabales opposées qui la voulaient rompre, mais encore qui

pour

était conduite par M. le Prince d'une part, et par le cardinal Mazarin de l'autre, lesquels, pour avoir tant de qualités directement opposées, ne laissaient pas dans la conjoncture présente de conyenir en la manière de traiter cette affaire l'un et l'autre sans y avoir de prétention limitée, ce qui fait que lorsqu'on leur a accordé ce qu'ils demandent, ils croient toujours en pouvoir obtenir davantage, et se persuadent tellement que tout est dû à leur bonne fortune, que la balance ne peut jamais être assez égale, ni demeurer assez long-temps en cet état pour leur donner loisir de résoudre un traité et de le conclure.

D'autres obstacles se joignirent encore à ceux-ci. L'intérêt du cardinal de Retz était d'empêcher la paix, parce qu'étant faite sans sa participation, et M. le duc d'Orléans et M. le Prince étant unis avec la cour, il demeurait exposé et sans protection. D'ailleurs, M. de Chavigny, ensuite du mauvais succès de sa négociation, et piqué contre la cour et contre M. le Prince, aimait mieux que la paix se rompît que de la voir faire par d'autres voies que la sienne. Je ne puis dire si cette conformité d'intérêts qui se rencontra alors entre le cardinal de Retz et M. de Chavigny, le fit agir de concert pour empêcher le traité de M. le Prince, ou si l'un des deux fit agir M. le duc d'Orléans : mais j'ai su depuis, par une personne que je dois croire, que, dans le temps que Gourville était à Saint-Germain, Monsieur manda au cardinal Mazarin par le duc d'Anville qu'il ne conclût rien avec M. le Prince; que Monsieur voulait avoir, vers la cour, le mérite de la paix, et qu'il était prêt à aller trouver le roi, et à donner par là un exemple qui serait suivi du peuple et du parlement de Paris. Il y avait apparence qu'une proposition comme celle-là, serait écoutée préférablement à toutes les autres; et en effet, soit par cette raison, soit par celles que j'ai dites de la disposition où étaient M. le Prince et M. le cardinal Mazarin, ou soit, comme j'ai toujours cru, que le cardinal n'ait jamais voulu cette paix et qu'il s'est seulement servi des négociations comme d'un piége pour surprendre ses ennemis; enfin les choses furent si brouillées et si éloignées en peu de temps, que le duc de La Rochefoucauld ne voulut plus que ses gens eussent part à des négociations qui ruinaient son parti, et ordonna à Gourville de tirer une réponse positive du cardinal, la seconde fois qu'il alla à Saint-Germain, sans y plus retournèr.

Cependant, outre que l'esprit de M. le Prince n'était pas toujours constamment arrêté à vouloir la paix, il était combattu sans cesse par les divers intérêts de ceux qui l'en voulaient détourner. Les ennemis du cardinal Mazarin ne se croyaient pas vengés s'il demeurait en France, et le cardinal de Retz jugeait

bien que l'accommodement de M. le Prince lui ôtait toute sa considération, et l'exposait à ses ennemis ; au lieu que la guerre ne pouvait durer sans perdre ou sans éloigner M. le Prince, et qu'ainsi, demeurant seul auprès de M. le duc d'Orléans, il pourrait se rendre considérable à la cour pour en tirer ses avantages. D'autre part, les Espagnols offraient à M. le Prince tout ce qui était le plus capable de le tenter, et mettaient tout en usage pour faire durer la guerre civile. Ses plus proches parens, ses amis, et ses domestiques même appuyaient ce sentiment pour leur intérêt particulier. Enfin, tout était partagé en cabales pour faire la paix ou pour continuer la guerre ; et tout ce qu'il y a de plus raffiné dans la politique était exposé aux yeux de M. le Prince pour l'obliger à prendre l'un de ces deux partis, lorsque madame de Châtillon lui fit naître le désir de la paix par des moyens plus agréables. Elle crut qu'un si grand bien devait être l'ouvrage de sa beauté ; et mêlant de l'ambition avec le dessein de faire une nouvelle conquête, elle voulut en même temps triompher du cœur de M. le Prince, et tirer de la cour des avantages de la négociation. Ces raisons ne furent pas les seules qui lui donnèrent ces pensées. Un intérêt de vanité et de vengeance y eut autant de part que le reste. L'émulation que la beauté et la galanterie produisent souvent parmi les dames, avait causé une aigreur extrême entre madame de Longueville et madame de Châtillon. Elles avaient long-temps caché leurs sentimens ; mais enfin ils parurent avec éclat de part et d'autre, et madame de Châtillon ne borna pas seulement sa victoire à obliger M. de Nemours de rompre la liaison qu'il avait avec madame de Longueville; elle voulut ôter aussi à madame de Longueville la connaissance des affaires, et disposer seule de la conduite et des intérêts de M. le Prince. Le duc de Nemours, qui avait beaucoup d'engagement avec elle, approuva ce dessein. Il crut que pouvant régler la conduite de madame de Châtillon envers M. le Prince, elle lui inspirerait les sentimens qu'il voudrait, et qu'ainsi il disposerait de l'esprit de M. le Prince par le pouvoir qu'il avait sur celui de madame de Châtillon. Le duc de La Rochefoucauld de son côté avait alors plus de part que nul autre à la confiance de M. le Prince, et se trouvait en même temps dans une liaison étroite avec le duc de Nemours et madame de Châtillon. Il connaissait l'irrésolution de M. le Prince pour la paix ; et craignant, ce qui arriva depuis, que la cabale des Espagnols et celle de madame de Longueville ne se joignissent ensemble pour éloigner M. le Prince de Paris, où il pouvait traiter tous les jours sans leur participation, il crut que l'entremise de madame de Châtillon pouvait lever tous les obstacles de la paix. Dans cette pen

sée il porta M. le Prince à s'engager avec elle, et à lui donner la terre de Merlou en propre. Il disposa aussi madame de Châtillon à ménager M. le Prince et M. de Nemours, en sorte qu'elle les conservât tous deux, et il fit approuver à M. de Nemours cette liaison qui ne lui devait pas être suspecte, puisqu'on lui en voulait rendre compte, et ne s'en servir que pour lui donner la principale part aux affaires.

Cette machine étant conduite et réglée par le duc de La Rochefoucauld, lui donna la disposition presque entière de tout ce qui la composait; et ainsi ces quatre personnes y trouvant également leurs avantages, elle eût eu sans doute à la fin le succès qu'il s'était proposé, si la fortune ne s'y fût opposée par divers accidens qu'il fut impossible d'éviter. Cependant madame de Châtillon voulut paraître à la cour avec l'éclat que son nouveau crédit lui devait donner. Elle y alla avec un pouvoir si général de disposer des intérêts de M. le Prince, qu'on le prit plutôt pour un effet de sa complaisance envers elle, et une envie de flatter sa vanité, que pour une intention véritable de faire un accommodement. Elle revint à Paris, avec de grandes espérances. Mais le cardinal tira des avantages solides de cette négociation. Il gagnait du temps, il augmentait le soupçon des cabales opposées, et il amusait M. le Prince à Paris, sous l'espérance d'un traité, pendant qu'on lui ôtait la Guienne, qu'on prenait ses places, que l'armée du roi, commandée par messieurs de Turenne, et d'Hocquincourt, tenait la campagne, lorsque la sienne était retirée dans Etampes. Elle ne put même y demeurer long-temps sans recevoir une perte considérable; car M. de Turenne ayant avis que Mademoiselle, revenant d'Orléans, et passant par Étampes, avait voulu voir l'armée en bataille; il fit marcher ses troupes, et arriva au faubourg d'Etampes, avant que celles de l'armée des princes, qui y avaient leur quartier, y fussent rentrées, et en état de le défendre. Il fut forcé et pillé, et M. de Turenne et le maréchal d'Hocquincourt se retirèrent en leur quartier après avoir tué mille ou douze cents hommes des meilleures troupes de M. le Prince, et emmené plusieurs prisonniers.

Ce succès augmenta les espérances de la cour, et fit naître le dessein d'assiéger dans Étampes toute l'armée des princes qui y était renfermée. Quelque difficile que parût cette entreprise, elle fut néanmoins résolue, sur l'espérance de trouver des troupes étonnées, des chefs divisés, une place ouverte en plusieurs endroits, fort mal munie, et hors d'état d'être secourue que par M. de Lorraine, avec lequel la cour croyait avoir traité. Il semble aussi que l'on considéra moins l'événement du siége que la réputation qu'un si grand dessein devait donner aux armes

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