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dissiper ou d'être défaites. Il voyait encore que les mesures qu'il avait prises avec les Espagnols du côté de ses places de Champagne n'auraient aucun effet; et que ses troupes et les Espagnols même n'auraient pour aucun autre chef qui pût remplir ce poste, la même confiance et la même estime qu'ils avaient pour M. de Turenne.

Toutes ces raisons touchaient sensiblement M. le Prince, bien qu'il essayât d'être maître de son ressentiment. Néanmoins il répondit assez sèchement à M. de Bouillon. Il lui manda qu'il n'était pas temps d'écouter des propositions qu'on ne voulait pas effectuer; qu'il se déclarât comme il l'avait promis: que M. de Turenne se rendît à la tête de ses troupes qui avaient marché à Stenay; et qu'alors il serait en état d'entendre les offres de la cour, et de faire un traité sûr et glorieux. Il chargea Gourville de cette réponse, et de rendre compte à M. le duc d'Orléans des raisons qui lui faisaient refuser l'entrevue de Richelieu. Les principales étaient que le but de cette conférence n'était pas de faire la paix, mais seulement de l'empêcher de soutenir la guerre; que dans un temps où tous les corps de l'État étaient sur le point de se déclarer contre la cour, et que les Espagnols préparaient des secours considérables d'hommes, d'argent et de vaisseaux, on le voulait engager à une négociation publique, dont le seul bruit empêcherait ses levées, et ferait changer de sentiment à tout ce qui était prêt à se joindre à son parti.

Outre ces raisons générales, il y en avait encore de particulières qui ne permettaient pas à M. le Prince de confier ses intérêts à M. le duc d'Orléans. C'était sa liaison étroite avec le coadjuteur de Paris, ennemi déclaré de M. le Prince et de son parti, et lié tout de nouveau avec la cour par l'assurance du chapeau de cardinal. Cette dernière considération faisait une extrême peine à M. le Prince; et elle fut cause aussi que les commissions dont il chargea Gourville, ne se bornèrent pas seulement à ce que je viens de dire, mais qu'il lui en donna une autre plus difficile et plus périlleuse; car voyant que le coadjuteur continuait à ne garder aucune mesure vers lui, et que par intérêt et par vanité il affectait de le traverser sans cesse en tout, il résolut de le faire enlever dans Paris, et de le faire conduire dans l'une de ses places. Quelque impossibilité qui parût en ce dessein, Gourville s'en chargea après en avoir reçu un ordre écrit, signé de M. le Prince, et il l'aurait sans doute exécuté, si le coadjuteur, un soir qu'il alla à l'hôtel de Chevreuse, en fût sorti dans le même carrosse qui l'y avait mené; mais l'ayant renvoyé avec ses gens, il ne fut plus possible de savoir certainement dans quel autre il pouvait être sorti. Ainsi l'entreprise fut retardée de quelques

jours, et découverte ensuite, parce qu'il est presque impossible que ceux dont on est obligé de se servir en de telles occasions, aient assez de discrétion pour se contenter de la connaissance qu'on leur veut donner, ou assez de fidélité et de secret pour l'exécuter sûrement.

Tout se disposait ainsi de tous côtés à commencer la guerre. M. de Châteauneuf, qui était alors chef du conseil, avait fait marcher la cour à Bourges; et la présence du roi avait d'abord remis cette ville dans son obéissance. Au bruit de ces heureux commencemens, M. le prince de Conti, madame de Longueville, et M. de Nemours furent obligés de partir de Montrond avec leurs troupes pour se retirer en Guienne. Ils laissèrent le chevalier de La Rochefoucauld à l'extrémité, et il mourut le même jour qu'ils partirent de Montrond. Il fut regretté, avec quelque justice, de ceux qui le connaissaient; car outre qu'il avait toutes les qualités nécessaires à un homme de sa condition, il se trouvera peu de personnes de son âge qui aient donné autant de preuves que lui de conduite, de fidélité et de désintéressement dans des rencontres aussi importantes et aussi hasardeuses que celles où il s'est trouvé. Le marquis de Persan demeura pour commander dans la place. Elle était bloquée par un petit corps d'armée logé à Saint-Amand, dont Palluau était lieutenantgénéral. La cour s'était ensuite avancée à Poitiers, et M. de Châteauneuf insistait pour la faire marcher à Angoulême. Il jugeait que la guerre civile n'ayant d'autre prétexte que le retour du cardinal, il fallait profiter de son absence, et qu'il suffisait pour les intérêts de l'État, et encore plus pour les siens particuliers, de faire durer son éloignement. Il représentait aussi avec raison que dans la naissance des désordres la présence du roi est un puissant moyen pour retenir les peuples; que la Guienne et le parlement de Bordeaux étaient encore mal assurés à M. le Prince, et qu'en s'approchant de lui on dissiperait facilement ses desseins, qui, au contraire, s'affermiraient par l'éloignement de la cour. Mais les conseils de M. de Châteauneuf étaient trop suspects au cardipour être suivis à Poitiers sans avoir été examinés à Cologne; et comme il fallait attendre ses ordres, leur retardement et leur diversité causèrent des irrésolutions continuelles, et tinrent la cour incertaine à Poitiers jusqu'à son retour qui arriva bientôt après.

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D'autre part, le baron de Bateville était arrivé dans la rivière de Bordeaux avec la flotte d'Espague, composée de huit vaisseaux de guerre et de quelques brûlots. Il fortifiait Talmont, où il y avait un corps d'infanterie de quinze cents hommes. La ville de Saintes s'était rendue sans résistance. Taillebourg, qui a un

pont sur la Charente, était assez bien fortifié; et, excepté Cognac, M. le Prince était maître de la rivière jusques à Angoulême. Le comte de Jonzac, lieutenant de roi de Saintonge, et gouverneur particulier de Cognac, s'y était retiré, afin que cette place lui aidât à rendre sa condition meilleure dans le parti où il entrerait, ne sachant encore auquel il se devait joindre. Dans cette incertitude il entra en commerce de lettres avec M. le Prince, et lui écrivit d'une manière qui lui donnait lieu de croire qu'il ne demandait qu'à sauver les apparences, et qu'il remettrait bientôt la ville entre ses mains, si on faisait mine de l'assiéger. Cette espérance, plutôt que l'état des forces de M. le Prince, qui étaient alors très-petites, lui fit prendre le dessein de marcher à Cognac. Il voyait de quelle importance il lui était de donner réputation à ses armes. Mais il savait bien aussi que, manquant de troupes, et de tout ce qui est nécesssaire pour faire un siége, il n'y avait que celui-là seul où il pût prétendre de réussir de sorte que fondant toutes ses espérances sur le gouverneur, il fit partir le duc de La Rochefoucauld de Bordeaux pour assembler ce qui se trouverait sur pied, qui n'était en tout que trois régimens d'infanterie et trois cents chevaux, et lui donna ordre d'aller investir Cognac, où le prince de Tarente se devait rendre avec ce qu'il avait de troupes.

Le bruit de leur marche s'étant répandu dans le pays, on retira en diligence à Cognac tout ce qui y put être transporté de la campagne. Beaucoup de noblesse s'y retira aussi pour témoigner son zèle au service du roi, et plus apparemment encore pour garder eux-mêmes ce qu'ils y avaient fait porter. Ce nombre considérable de gentilshommes retint aisément les bourgeois, et les fit résoudre à fermer les portes de la ville, dans l'espérance d'être bientôt secourus par le comte d'Harcourt, général des troupes du roi qui s'avançait vers eux; mais comme ils avaient peu de confiance au comte de Jonzac, et qu'ils le soupçonnaient presque également d'être faible, et d'être gagné par M. le Prince, ils l'observèrent, et lui firent connaître de telle sorte qu'il fallait nécessairement servir le roi, qu'on peut dire qu'il se résolut enfin de défendre la place, parce qu'il n'eut pas le pouvoir de la rendre. Ce fut en cela seul que la noblesse témoigna quelque vigueur; car, pour le reste, durant huit jours que ce peu de troupes de M. le Prince, sans armes, sans munitions, sans officiers, et avec encore moins de discipline, demeura devant Cognac, et quoiqu'ils fussent fatigués par des pluies continuelles qui emportèrent le pont de bateaux qu'on avait fait sur la Chatente pour la communication des quartiers, jamais ceux de dedans ne se prévalurent de ces désordres, mais demeurèrent ren

fermés avec les bourgeois, se contentant de faire tirer de derrière les murailles. M. le Prince étant averti que la ville était néanmoins sur le point de se rendre, partit de Bordeaux, et se rendit au camp avec le duc de Nemours. Le lendemain de son arrivée, le comte d'Harcourt, averti que le pont de bataux était rompu, et que Nort, maréchal-de-camp, était retranché dans un faubourg, de l'autre côté de la rivière, avec cinq cents hommes, sans qu'il pût être secouru, il marcha à lui avec deux mille hommes de pied des gardes Françaises et Suisses, les gendarmes et les chevau-légers du roi, ses gardes, et de la noblesse. Il força Nort dans son quartier sans trouver presque de résistance, et secourut ainsi Cognac à la vue de M. le Prince qui était logé au-deçà de la rivière. Le comte d'Harcourt se contenta d'avoir sauvé cete place, et laissa retirer M. le Prince sans le suivre.

Bien que ce succès fût de soi peu considérable, il augmenta néanmoins les espérances du comte d'Harcourt, et donna de la réputation à ses armes. Il se crut même en état de pouvoir faire des progrès; et sachant que le marquis d'Estissac avait remis la Rochelle à l'obéissance du roi, excepté les tours qui ferment le port, il fit dessein d'y aller avec ses troupes, s'assurant de la bonne volonté des habitans qui pouvaient être bien disposés, non-seulement par leur devoir, mais encore plus par la haine qu'ils portaient au comte de Doignon, leur gouverneur. Il avait fait fortifier les tours, et y tenait une garnison suisse, se défiant presque de tout le monde, et croyant trouver plus de fidélité parmi cette nation que dans la sienne propre. Mais l'événement lui fit bientôt voir que ses mesures étaient fausses; car la peur et l'intérêt fournirent des prétextes aux Suisses de faire encore plus que ce qu'il avait appréhendé des Français. Il est certain que l'on peut dire que cette défiance et ces soupçons du comte de Doignon furent la ruine du parti de M. le Prince, puisque sans cela il aurait marché d'abord à la Rochelle avec toutes ses troupes pour en rétablir les anciennes fortifications et y faire le siége de la guerre avec tous les avantages et toute la commodité qu'une telle situation lui pouvait apporter : au lieu que, pour ménager l'esprit jaloux et incertain de cet homme, il fut contraint de demeurer inutile à Tonnay-Charente, et de voir prendre la Rochelle sans oser même proposer de la secourir. Il est vrai aussi que le peu de résistance de la garnison des tours ne lui donna pas grand loisir d'en former le dessein; car le comte d'Harcourt étant arrivé avec ses troupes à la Rochelle, assisté du marquis d'Estissac pourvu nouvellement par le roi des gouvernemens du comte de Doignon, trouva les habitans disposés à lui donner toute l'assistance qu'il en pouvait attendre. Cependant

les tours étaient en état de l'arrêter quelque temps, si les Suisses eussent été aussi braves et aussi fidèles que le comte de Doignon l'avait cru. Mais au lieu de répondre à ce qu'il en attendait, et après avoir seulement résisté trois jours, le comte d'Harcourt leur ayant mandé qu'il ne leur ferait point de quartier s'ils ne poignardaient le commandant nommé Besse, un tel ordre ne leur donna point d'horreur : ils commençèrent à l'exécuter. Mais lui, croyant trouver plus de compassion près du comte d'Harcourt que parmi ses propres soldats, se jeta tout blessé qu'il était du haut des tours dans le port, demandant la vie sans la pouvoir obtenir; car le comte d'Harcourt fit achever de le tuer en sa présence sans pouvoir être fléchi, ni par les prières de ses officiers qui demandaient sa grâce, ni par un spectacle si pitoyable. La perte de cette place qu'on n'avait pas seulement essayé de secourir, nuisit à la réputation des armes de M. le Prince; et on attribua au peu de confiance qu'il avait en ses troupes, ce qui n'était qu'un fâcheux égard qu'il avait fallu avoir aux soupçons du comte de Doignon. Il fut vivement touché de cette nouvelle ; et le comte de Doignon s'imaginant que toutes ses autres places suivraient cet exemple, se retira à Brouage, et n'en sortit plus qu'après avoir fait son traité avec la cour, dont apparemment il a eu sujet de se repentir.

Le comte d'Harcourt, encouragé par ces bons succès, et fortifié par des troupes qui avaient joint son armée, se résolut de marcher à M. le Prince, qui était à Tonnay-Charente; mais lui, jugeant bien par le nombre et par le peu de discipline de ses troupes, qu'il était de beaucoup inférieur à l'armée royale, il ne crut pas le devoir attendre dans ce poste, et passant la rivière la nuit sur un pont de bateaux, il se retira à la Bergerie qui n'est qu'à demi-lieue de Tonnay-Charente. Les troupes du roi se contentèrent d'avoir poussé et défait deux escadrons le jour précédent, et lui donnèrent tout le temps nécessaire pour faire sauter la tour de Tonnay-Charente, et se retirer de-là l'eau à la Bergerie sans être poussé. Le comte d'Harcourt perdit alors une belle occasion de le combattre dans sa retraite et à demi passé : il en eut encore ce jour même une plus avantageuse dont il ne sut pas se prévaloir; car il arriva que M. le Prince se reposa entièrement sur le soin d'un maréchal de camp, à qui il avait ordonné de brûler ou de rompre le pont de bateaux, en sorte qu'il ne pût être rétabli ; et sur cette assurance, il mit ses troupes dans des quartiers séparés, dont quelques uns étaient éloignés du sien d'une lieue et demie, sans craindre qu'on pût aller à lui, la rivière étant entre deux mais l'officier, au lieu de suivre exactement son ordre, se contenta de détacher les bateaux, et

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