Page images
PDF
EPUB

Les choses en étaient en ces termes lorsque M. le Prince quitta Saint-Maur pour retourner à Paris. 11 crut être en état par le nombre de ses amis et de ses créatures de s'y maintenir contre la cour, et que cette conduite fière et hardie donnerait de la réputation à ses affaires. Il fit partir en même temps madame la Princesse, M. le duc d'Enguien, et madaine de Longueville pour aller à Montrond, dans la résolution de les y aller joindre bientôt, et de passer en Guienne, où l'on était disposé à le recevoir. Il avait envoyé le comte de Tavanes en Champagne pour y commander ses troupes qui servaient dans l'armée, avec ordre de les faire marcher en corps à Stenay aussitôt qu'il le lui manderait. Il avait pourvu à ses autres places, et avait deux cent mille écus d'argent comptant. Ainsi il se préparait à la guerre, bien qu'il n'en eût pas encore entièrement formé le dessein. Il essayait néanmoins dans cette vue d'engager des gens de qualité dans ses intérêts, et, entre autres, le duc de Bouillon et M. de Turenne.

Ils étaient l'un et l'autre particulièrement amis du duc de La Rochefoucauld, et il n'oublia rien pour leur faire prendre le même parti qu'il se voyait obligé de suivre; le duc de Bouillon lui parut irrésolu, désirant de trouver ses sûretés et ses avantages, se défiant presque également de la cour et de M. le Prince, et voulant voir l'affaire engagée avant que de se déclarer. M. de Turenne au contraire lui parla toujours d'une même manière depuis son retour de Stenay. Il lui dit que M. le Prince ne l'avait ménagé sur rien après son retour à Paris, et que bien loin de prendre ses mesures de concert avec lui, et de lui faire part de ses desseins, il s'en était non-seulement éloigné, mais avait mieux aimé laisser périr les troupes de M. de Turenne qui venaient de combattre pour lui, que de dire un mot pour leur faire donner des quartiers d'hiver. Il ajouta encore qu'il avait affecté de ne se louer ni de se plaindre de M. le Prince, pour ne pas donner lieu à des éclaircissemens dans lesquels il ne voulait pas entrer; qu'il croyait n'avoir rien oublié pour contribuer à sa liberté; mais qu'il prétendait aussi que l'engagement qu'il avait avec lui avait dû finir avec sa prison, et qu'ainsi il pouvait prendre des liaisons selon ses inclinations ou ses intérêts. Ce furent là les raisons par lesquelles M. de Turenne refusa de suivre une seconde fois la fortune de M. le Prince.

Cependant le duc de Bouillon, qui voulait éviter de s'expliquer avec lui, se trouvait bien embarrassé pour s'empêcher de répondre précisément. M. le Prince et lui avaient choisi pour médiateur entre eux le duc de La Rochefoucauld. Mais comme ce

La Rochefoucauld.

7

dernier jugeait bien qu'un poste comme celui-là est toujours délicat parmi des gens qui doivent convenir sur tant de différens articles et si importans, il les engagea à se dire à eux-mêmes, en sa présence, leurs sentimens; et il arriva, contre l'ordinaire de semblables éclaircissemens, que la conversation finit sans aigreur, et qu'ils demeurèrent satisfaits l'un de l'autre, sans être liés ni engagés à rien.

mens,

Il semblait alors que le principal but de la cour et de M. le Prince fût de se rendre le parlement favorable. Les frondeurs affectaient d'y paraître sans autre intérêt que celui du public : mais sous ce prétexte, ils choquaient M. le Prince en toutes choses, et s'opposaient directement à tous ses desseins. Dans les commenceils l'accusaient encore avec quelque retenue; mais se voyant ouvertement appuyé de la cour, le coadjuteur trouva de la vanité à paraître ennemi déclaré de M. le Prince : et dès-lors, non-seulement il s'opposa, sans garder de mesures, à tout ce qu'il proposait, mais encore il n'alla plus au palais sans être suivi de ses amis et d'un grand nombre de gens armés. Un procédé si fier déplut, avec raison, à M. le Prince, et il ne trouvait pas moins insupportable d'être obligé de se faire suivre au palais pour disputer le pavé avec le coadjuteur, que d'y aller seul, et d'exposer ainsi sa vie et sa liberté entre les mains de son plus dangereux ennemi. Il crut néanmoins devoir préférer sa sûreté à tout le reste, et il résolut enfin de n'aller plus au parlement, sans être accompagné de tout ce qui était dans ses intérêts.

On crut que la reine fut bien aise de voir naître ce nouveau sujet de division entre deux personnes que, dans son cœur, elle haissait presque également; et qu'elle imaginait assez quelles en pourraient être les suites pour espérer d'être vengée de l'un par l'autre, ou de les voir périr tous deux. Elle donnait néanmoins toutes les apparences de sa protection au coadjuteur, elle voulut qu'il fût escorté par une partie des gendarmes et des chevau-légers du roi, et par des officiers et des soldats du régiment des gardes. M. le Prince était suivi d'un grand nombre de personnes de qualité, de plusieurs officiers d'armée, et d'une foule de gens de toute sorte de professions, qui ne le quittaient plus depuis son retour de Saint-Maur. Cette confusion de gens de différens partis se trouvant tous ensemble dans la grande salle du palais fit appréhender au parlement de voir arriver un désordre qui les pourrait tous envelopper dans un même péril, et que personne ne serait capable d'apaiser. Le premier président, pour prévenir le mal, résolut de prier M. le Prince de ne se faire plus accompagner au palais.

Il arriva même un jour que M. le duc d'Orléans ne s'était point trouvé au palais, et que M. le Prince et le coadjuteur s'y étaient rendus avec tous leurs amis; leur nombre et l'aigreur qui paraissait dans les esprits augmenta de beaucoup la crainte du premier président. M. le Prince dit même quelques paroles piquantes qui s'adressaient au coadjuteur; mais il y répondit sans s'étonner, et osa dire publiquement que ses ennemis ne l'accuseraient pas au moins d'avoir manqué à ses promesses, et que peu de personnes se trouvaient aujourd'hui exemptes de ce reproche, voulant distinguer par là M. le Prince, et lui reprocher tacitement la rupture du mariage de mademoiselle de Chevreuse, le traité de Noisi, et l'abandonnement des frondeurs quand il se réconcilia avec le cardinal.

Ces bruits semés dans le monde par les partisans du coadjuteur, et renouvelés encore avec tant d'audace devant le parlement assemblé, et en présence de M. le Prince même, le devaient trouver sans doute plus sensible à cette injure qu'il ne le parut alors. Il fut maître de son ressentiment, et ne répondit rien au discours du coadjuteur : mais en même temps on vint avertir le premier président que la grande salle était remplie de gens armés, et qu'étant de partis si opposés, il n'était pas possible qu'il n'arrivât quelque grand malheur, si on n'y apportait un prompt remède. Alors le premier président dit à M. le Prince que la compagnie lui serait obligée, s'il lui plaisait de faire retirer tous ceux qui l'avaient suivi: qu'on était assemblé pour remédier aux désordres de l'Etat, et non pas pour les augmenter, et que personne ne croirait avoir la liberté entière d'opiner, tant qu'on verrait le palais, qui devait être l'asile de la justice, servir ainsi de place d'armes. M. le Prince s'offrit, sans hésiter, de faire retirer ses amis, et pria le duc de La Rochefoucauld de les faire sortir sans désordre. En même temps le coadjuteur se leva, et voulant que l'on crût qu'il le fallait traiter d'égal avec M. le Prince en cette rencontre, il dit qu'il allait donc de son côté faire la même chose; et sans attendre de réponse, il sortit de la grand'chambre pour aller parler à ses amis. Le duc de La Rochefoucauld, aigri de ce procédé, marchait huit ou dix pas derrière lui; et il était encore dans le parquet des huissiers, lorsque le coadjuteur était déjà arrivé dans la grande salle. A sa vue, tout ce qui tenait son parti mit l'épée à la main sans en savoir la raison; et les amis de M. le Prince firent aussi la même chose : chacun se rangea du côté qu'il servait, et en un instant les deux troupes ne furent séparées que de la longueur de leurs épées, sans que, parmi un si grand nombre de braves gens, et animés par tant de haines différentes et par tant d'intérêts contraires, il s'en

trouvât aucun qui allongeât un coup d'épée, ou qui tirât un coup de pistolet. Le coadjuteur, voyant un si grand désordre, connut le péril où il était, et voulut, pour s'en tirer, retourner dans la grand'chambre. Mais en arrivant à la porte de la salle par où il était sorti, il trouva que le duc de La Rochefoucauld s'en était rendu le maître. Il essaya de l'ouvrir avec effort; mais comme elle ne s'ouvrait que par la moitié, et que le duc de La Rochefoucauld la tenait, il la referma en sorte, dans le temps que le coadjuteur rentrait, qu'il l'arrêta, ayant la tête passée du côté du parquet des huissiers, et le corps dans la grande salle. On pouvait croire que cette occasion tenterait le duc de La Rochefoucauld, après tout ce qui s'était passé entre eux, et que les raisons générales et particulières le pousseraient à perdre son plus cruel ennemi. Outre la satisfation de s'en venger en vengeant M. le Prince des paroles audacieuses qu'il venait de dire contre lui, on pouvait croire encore qu'il était juste que la vie du coadjuteur répondit de l'événement du désordre qu'il avait ému, et duquel le succès pouvait apparemment être terrible; mais le duc de La Rochefoucauld considérant qu'on ne se battait point dans la salle, et que de ceux qui étaient amis du coadjuteur dans le parquet des huissiers, pas un ue mettait l'épée à la main pour le défendre, il crut n'avoir pas le même prétexte de se venger de lui, qu'il aurait eu si le combat eût été commencé en quelque endroit. Les gens même de M. le Prince, qui étaient près du duc de La Rochefoucauld, ne sentaient pas de quel poids était le service qu'ils pouvaient rendre à leur maître en cette rencontre. Et enfin l'un, pour ne vouloir pas faire une action qui eût paru cruelle, et les autres, pour être irrésolus dans une si grande affaire, donnèrent temps à Champlatreux, fils du premier président, d'arriver avec ordre de la grand'chambre, de dégager le coadjuteur. Ce qu'il fit, et ainsi il le retira du plus grand péril où il se fût jamais trouvé. Le duc de La Rochefoucauld, le voyant entre les mains de Champlatreux, retourna dans la grand'chambre prendre sa place, et le coadjuteur y arriva dans le même temps avec le trouble qu'un péril tel que celui qu'il venait d'éviter lui devait causer. Il commença par se plaindre à l'assemblée de la violence du duc de La Rochefoucauld. Il dit qu'il avait été près d'être assassiné, et qu'on ne l'avait tenu à la porte que pour l'exposer à tout ce que ses ennemis auraient voulu entreprendre contre sa personne. Le duc de La Rochefoucauld se tournant vers le premier président, répondit qu'il fallait sans doute que la peur eût ôté au coadjuteur la liberté de juger de ce qui s'était passé dans cette rencontre: qu'autrement il aurait vu qu'il n'avait pas eu dessein de le perdre, puisqu'il ne

l'avait pas fait, ayant eu long-temps sa vie entre ses mains: qu'en effet, il s'était rendu maître de la porte, et l'avait empêché de rentrer; mais qu'il ne s'était pas cru obligé de remédier à sa peur, en exposant M. le Prince et le parlement à une sédition que ceux de son parti avaient émue en le voyant arriver. Ce discours fut suivi de quelques paroles aigres et piquantes qui obligèrent le duc de Brissac, beau-frère du duc de Retz, de répondre; et le duc de La Rochefoucauld et lui résolurent de se battre le jour même, sans seconds. Mais comme le sujet de leur querelle fut public, elle fut accordée au sortir du palais par M. le due d'Orléans.

Cette affaire qui, selon les apparences, devait avoir tant de suites, finit ce qui pouvait le plus contribuer au désordre: car le coadjuteur évita de retourner au palais; et ainsi, ne se trouvant plus où était M. le Prince, il n'y eut plus lieu de craindre un accident pareil à celui qui avait été si près d'arriver. Néanmoins comme la fortune règle les événemens plus souvent que la conduite des hommes, elle fit rencontrer M. le Prince et le coadjuteur dans le temps qu'ils se cherchaient le moins, mais dans un état à la vérité bien différent de celui où ils avaient été au palais. Car un jour que M. le Prince en sortait avec le duc de La Rochefoucauld, dans son carrosse, et suivi d'une foule innombrable de peuple, il rencontra la procession de Notre-Dame, et le coadjuteur revêtu de ses habits pontificaux, marchant après plusieurs châsses et reliques. M. le Prince s'arrêta aussitôt pour rendre un plus grand respect à l'église; et le coadjuteur continuant son chemin sans s'émouvoir, lorsqu'il fut vis-à-vis de M. le Prince, lui fit une profonde révérence, et lui donna sa bénédiction, et au duc de La Rochefoucauld aussi. Elle fut reçue de l'un et de l'autre avec toutes les apparences de respect, bien que nul des deux ne souhaitât qu'elle eût l'effet que le coadjuteur pouvait désirer. En ce même temps, le peuple, qui suivait le carrosse de M. le Prince, ému par une telle rencontre, dit mille injures au coadjuteur, et se préparait à le mettre en pièces, si M. le Prince n'eût fait descendre ses gens pour apaiser le tumulte.

GUERRE DE GUIENNE.

CEPENDANT tout contribuait à augmenter les défiances et les soupçons de M. le Prince. Il voyait que la majorité du roi allait rendre son autorité absolue: il connaissait l'aigreur de la reine

« PreviousContinue »