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chaque particulier espérait de profiter. Les intérêts différens des principaux du royaume et des plus considérables du parlement, les obligerent bientôt à prendre parti entre la reine et Monsieur; et si les brigues qu'on faisait pour eux n'éclataient pas davantage, c'est que la santé du roi qui semblait se rétablir, leur faisait craindre qu'il ne fût averti de leurs pratiques, et qu'il ne fit passer pour un crime les précautions qu'ils prenaient d'établir leur autorité après sa mort. Ce fut dans cette conjecture-là que je crus qu'il importait à la reine d'être assurée du duc d'Enguien. Elle approuva la proposition que je lui fis de se l'acquérir, et m'étant rencontré dans une liaison très-particulière d'amitié avec Coligny, en qui le duc d'Enguien avait toute confiance, je leur représentai à l'un et à l'autre les avantages que la reine et le duc d'Enguien rencontreraient à être unis; et qu'outre l'intérêt particulier qu'ils avaient de s'opposer à l'autorité de Monsieur, celui de l'Etat les y obligeait encore. Cette proposition était assez avantageuse au duc d'Enguien pour qu'il la reçût agréablement. Il m'ordonna donc de contribuer à la faire réus sir; et comme le commerce que j'aurais eu avec lui eût peut-être été suspect au roi ou à Monsieur, principalement dans un temps où l'on venait de lui donner le commandement de l'armée, et qu'en toutes façons il importait grandement de le tenir en secret, il désira que ce fût à Coligny seul que je rendisse les réponses de la reine, et que nous fussions les seuls témoins de leur intelligence. Il n'y eut aucune condition par écrit, et Coligny et moi fûmes dépositaires de la parole que la reine donnait au duc d'Enguien de le préférer à Monsieur, non-seulement par des marques de son estime et de sa confiance, mais aussi dans tous les emplois d'où elle pourrait exclure Monsieur par des biais dont ils conviendraient ensemble, et qui ne pourraient point porter Monsieur à une rupture ouverte avec la reine. Le duc d'Enguien promettait de son côté d'être inséparablement attaché aux intérêts de la reine, et de ne prétendre que par elle toutes les grâces qu'il désirerait de la cour. Le duc d'Enguien partit peu de temps après pour aller commander l'armée en Flandre, et donner commencement aux grandes choses qu'il a depuis si glorieusement exécutées. Le roi, de qui la maladie augmentait tous les jours, voulant donner dans la fin de sa vie quelques marques de clémence, soit par dévotion, ou pour témoigner que le cardinal de Richelieu avait eu plus de part que lui à toutes les violences qui s'étaient faites depuis la disgrâce de la reine sa mère, consentit de faire revenir à la cour les plus considérables de ceux qui avaient été persécutés ; et il s'y disposa d'autant plus volontiers, que les ministres prévoyant beaucoup de désordres, es

sayaient d'obliger des personnes de condition, pour s'assurer contre tout ce qui pouvait arriver dans une révolution comme celle qui les menaçait.

Presque tout ce qui avait été banni revint; et comme il y en avait beaucoup d'attachés à la reine par des services qu'ils lui avaient rendus, ou par la liaison que la disgrâce fait d'ordinaire entre les personnes persécutées, il y en eut peu qui n'eussent pas assez bonne opinion de leurs services pour n'en attendre pas une récompense proportionnée à leur ambition ; et beaucoup crurent que la reine leur ayant promis toutes choses, conserverait dans la souveraine autorité les mêmes sentimens qu'elle avait ens dans sa disgrâce.

Le duc de Beaufort était celui qui avait conçu les plus grandes espérances: il avait été depuis très-long-temps particulièrement attaché à la reine; et elle lui avait donné une preuve si publique de sa confiance, en le choisissant pour garder monsieur le dauphin et monsieur d'Anjou un jour que l'on croyait que le roi allait mourir, que ce ne fut pas sans fondement que l'on commença à considérer son crédit, et à trouver beaucoup d'apparence à l'opinion qu'il essayait d'en donner.

L'évêque de Beauvais, qui était le seul des serviteurs de la reine que le cardinal de Richelieu avait trop peu considéré pour l'ôter d'auprès d'elle, et qui par son assiduité avait trouvé occasion d'y détruire presque tous ceux qu'elle avait considérés, crut ne se devoir point opposer à la faveur du duc de Beaufort, et souhaita de faire une liaison avec lui pour ruiner, de concert, le cardinal Mazarin qui commençait de s'établir. Ils crurent d'en venir facilement à bout, non-seulement par l'opinion qu'ils avaient de leur crédit, et par l'expérience que l'évêque de Beauvais avait faite de la facilité avec laquelle il avait ruiné des personnes qui devaient être plus considérables à la reine par leurs services que le cardinal Mazarin, mais encore parce qu'étant créature du cardinal de Richelieu, ils croyaient que cette raison-là seule lui devait donner l'exclusion, et que la reine avait condamné trop publiquement la conduite du cardinal de Richelieu pour conserver dans les affaires une personne qui y était mise de sa main, et qui était auteur de la déclaration que le roi venait de faire, dont la reine paraissait aigrie au dernier point.

Cette confiance fit négliger au duc de Beaufort et à l'évêque de Beauvais beaucoup de précautions durant les derniers jours de la vie du roi, qui leur eussent été bien nécessaires après sa mort, et la reine était encore assez irrésolue en ce temps-là pour recevoir les impressions que l'on eût voulu lui donner.

Elle me cachait moins l'état de son esprit qu'aux autres, parce

que n'ayant point eu d'autres intérêts que les siens, elle ne me soupçonnait pas d'appuyer d'autre parti que celui qu'elle choi

sirait.

C'était elle qui avait voulu que je fusse ami du duc de Beaufort dans une querelle qu'il eut contre le maréchal de La Meilleraye, et qui m'avait ordonné de voir le cardinal Mazarin, afin d'éviter un sujet de plainte au roi, qui était persuadé qu'elle empêchait ses serviteurs de voir ceux en qui il avait confiance; de sorte que ne lui étant point suspect, je pouvais connaître plus facilement que personne l'impression que les raisons de l'un et de l'autre parti faisaient dans son esprit.

Elle commençait à craindre l'humeur impétueuse et altière du duc de Beaufort, qui ne se contentant pas d'appuyer les prétentions du duc de Vendôme, son père, sur le gouvernement de Bretagne, appuyait encore celles de tous ceux qui avaient souffert sous l'autorité du cardinal de Richelieu, non-seulement pour attirer presque toutes les personnes de condition par leur intérêt particulier dans une cause qui leur paraissait juste, mais encore pour avoir un prétexte de choquer par là le cardinal Mazarin; et en remplissant les principales charges de l'État, se faire des créatures, et donner des marques si éclatantes de sa faveur, que l'on en pût attribuer la cause à tout ce qui eût été de plus capable de satisfaire son ambition et même sa vanité.

D'un autre côté la reine considérait qu'après avoir confié ses enfans au duc de Beaufort, ce serait une légèreté que tout le monde condamnerait, que de la voir passer en si peu de temps d'une extrémité à l'autre sans aucun sujet apparent.

La fidélité du cardinal Mazarin et de M. de Chavigny ne lui était pas assez connue pour être assurée qu'ils n'eussent point de part à la déclaration; et ainsi trouvant des doutes de tous côtés, il lui était malaisé de prendre une résolution sans s'en repentir. La mort du roi l'y obligea néanmoins, et on connut bientôt que les soins du cardinal Mazarin avaient eu le succès qu'il désirait : car dans le temps que l'on croyait que la reine le considérait comme l'auteur de la déclaration, toute l'aigreur en tomba sur M. de Chavigny; et soit que le cardinal Mazarin fût innocent, ou qu'il se fût justifié aux dépens de son ami, qui apparemment n'était pas plus coupable que lui, enfin il demeura dans le conseil.

Or, comme je ne prétends pas écrire toutes les particularités de ce qui s'est passé en ce temps-là, et que ce que j'en fais présentement est plutôt pour ne pas oublier quelques circonstances que j'ai vues, dont quelqu'un de mes amis a eu curiosité, que pour les faire voir, je me contenterai de rapporter seulement ce

qui me regarde, ou au moins les choses dont j'ai été témoin. Peu de temps après la mort du roi, il me fut bien aisé de connaître l'augmentation du crédit du cardinal Mazarin, et la diminution de celui du duc de Beaufort; l'un et l'autre paraissaient dans la confiance que la reine témoignait avoir pour le cardinal Mazarin, puisque ce dernier étant directement opposé au duc de Beaufort, la puissance de l'un était entièrement la ruine de l'autre.

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La cour était néanmoins encore fort partagée, et on attendait le retour de madame de Chevreuse comme la décision de toutes choses: on ne la considérait pas comme une personne qui voulût se contenter d'appuyer l'un des deux partis, mais qui détruirait certainement celui qui dépendrait le moins d'elle. J'avais moins desujet que les autres de juger si avantageusement de son autorité.

La reine qui m'avait toujours témoigné l'amitié qu'elle avait pour elle, m'en avait parlé depuis quelque temps avec assez de froideur; et l'incertitude où je la vis si elle la ferait revenir à la cour, me tira de celle où j'étais que les mauvais offices de l'évêque de Beauvais n'eussent point fait autant d'impression contre elle que contre tout le reste qu'il avait essayé de détruire.

La reine m'avait déjà ordonné de voir le cardinal Mazarin, et bien qu'elle eût approuvé la déclaration que je lui fis, que je ne pouvais être son ami et son serviteur qu'autant que je le verrais attaché au service de sa majesté, et qu'il ferait dans les grandes et dans les petites choses ce qu'on devait attendre d'un homme de bien et digne de l'emploi qu'il avait, je sus toutefois qu'elle eût souhaité que je lui eusse parlé avec moins de réserve, et qu'elle eût désiré que je lui eusse promis toutes choses aussi facilement que plusieurs autres personnes qui s'y étaient engagées d'autant plus aisément, qu'ils étaient résolus de n'en tenir aucune qu'en tant que leurs intérêts les y obligeraient. Elle me parut néanmoins satisfaite de ma visite, et ne me témoigna pas désirer rien de moi de plus que ce que j'avais fait.

On eut avis en ce temps-là que madame de Chevreuse revenait en France, et la reine me parut plus irrésolue que jamais sur son retour à la cour; non pas, comme je crois, qu'elle en fût retenue par aucune difficulté qu'il y eut à lui accorder cette grâce, mais seulement afin que le cardinal Mazarin s'entremit pour la lui faire obtenir, et que madame de Chevreuse lui fût obligée de ce qu'il aurait porté la reine à surmonter les raisons qui la retenaient, qui était une clause particulière de la déclaration, et une aversion étrange que le roi avait témoignée contre elle en mourant.

Je demandai permission à la reine d'aller au-devant de ma

dame de Chevreuse, et elle me l'accorda d'autant plus volontiers, qu'elle crut que je disposerais son esprit à souhaiter l'amitié du cardinal Mazarin, puisque je voyais bien que c'était une des choses que la reine désirait le plus.

Montaigu avait été envoyé vers elle pour lui faire des propositions qui étaient davantage dans les intérêts du cardinal Mazarin; et c'était ensuite de quelques autres qu'on lui avait fait faire en Flandre, par le même homme, deux ou trois mois avant la mort du roi.

Je rencontrai madame de Chevreuse à Brie, et Montaigu qui était arrivé quelque temps devant moi avait eu tout celui qu'il avait désiré pour faire réussir ses projets. Elle me témoigna d'abord qu'il lui était suspect, soit que véritablement elle manquât de confiance pour lui, ou qu'elle crût que je ne serais pas. bien aise de partager la sienne avec une personne que je ne connaissais point par moi, et que je n'avais pas grand sujet d'estimer sur le rapport des autres.

Elle désira donc que je ne lui parlasse point devant lui; mais comme il lui importait d'être informée de l'état de la cour et de l'esprit de la reine, et que je vis bien qu'elle se méprendrait indubitablement à l'un et à l'autre si elle en jugeait par ses propres connaissances, et par les sentimens que la reine avait eus autrefois pour elle, je crus être obligé de lui représenter les choses comme elles me paraissaient, et de l'assurer que les pensées de la reine étant fort différentes de ce qu'elle les avait vues, il était nécessaire de prendre d'autres précautions que celles dont elle s'était

servie.

Que la reine était certainement résolue de retenir auprès d'elle le cardinal Mazarin, qu'il était malaisé de juger d'autre sorte que par les événemens, si c'était là un bon ou un mauvais conseil, pour ce qu'étant créature du cardinal de Richelieu et uni avec ses parens, il était à craindre qu'il n'autorisât ses maximes; mais aussi que n'ayant point eu de part à ses violences, et étant presque le seul qui eût connaissance des affaires étrangères, je doutais que dans le besoin où étaient la reine et l'Etat d'un homme capable de les ménager, on pût facilement obtenir d'elle d'en exclure le cardinal Mazarin, outre que je ne voyais personne dont la capacité ou la fidélité fussent assez connues pour souhaiter de l'établir dans un emploi ausi difficile et aussi important que celui-là.

Que ma pensée était donc de ne point témoigner à la reine, qu'elle revînt auprès d'elle avec dessein de la gouverner, puisqu'apparemment ses ennemis s'étaient servis de ce prétexte-là pour lui nuire.

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