Page images
PDF
EPUB

III. LETTRES.

Les lettres de La Rochefoucauld que nous publions, ont été copiées sur les originaux conservés à la bibliothèque du roi (1): ce ne sont en partie que des billets, mais elles intéressent par les détails qu'elles contiennent relativement aux Maximes; elles nous font connaître surtout, la manière dont ce recueil a été composé, comme nous l'avons dit plus haut. D'ailleurs tout ce qui a rapport à la vie, aux opinions et aux affections d'un homme célèbre, excite la curiosité; nous avons donc cru faire plaisir au public, en joignant ces lettres inédites aux Maximes et aux Mémoires, et en lui offrant ainsi la première édition complète des œuvres de La Rochefoucauld qui ait encore été faite jusqu'à ce jour. Les éditions complètes sont quelquefois un impôt que les éditeurs, à l'aide de grands noms, mettent sur les lecteurs; mais c'est une plainte que n'exciteront sûrement pas les œuvres d'un grand écrivain, admirable par sa concision.

D.

(1) Les deux dernières ont été imprimées dans le Petit Magasin des Dames, 1804.

[ocr errors]

DE

PAUL DE GONDY, CARDINAL DE RETZ,

Par le Duc de LA ROCHEFOUCAULD.

Le cardinal de Retz a beaucoup d'élévation, d'étendue d'esprit, et plus d'ostentation que de vraie grandeur. Il a une mémoire extraordinaire, plus de force que de politesse dans ses paroles, l'humeur facile, de la solidité et de la faiblesse à souffrir les plaintes et les reproches de ses amis; peu de piété, quelques apparences de religion.

Il paraît ambitieux, sans l'être. La vanité et ceux qui l'ont conduit, lui ont fait entreprendre de grandes choses, presque toutes opposées à sa profession. Il a suscité les plus grands désordres de l'Etat, sans avoir un dessein formé de s'en prévaloir; et, bien loin de se déclarer ennemi du cardinal Mazarin pour occuper sa place, il n'a pensé qu'à lui paraître redoutable et à se flatter de la fausse vanité de lui être opposé. Il a su néanmoins profiter avec habileté des malheurs publics pour se faire cardinal. Il a souffert sa prison avec fermeté, et n'a dû sa liberté qu'à sa hardiesse. La paresse l'a soutenu avec gloire durant plusieurs années dans l'obscurité d'une vie errante et cachée. Il a conservé l'archevêché de Paris, contre la puissance du cardinal Mazarin; mais après la mort de ce ministre, il s'en est démis sans connaître ce qu'il faisait, et sans prendre cette conjoncture pour ménager les intérêts de ses amis et les siens propres. Il est entré dans divers conclaves, et sa conduite a toujours augmenté sa réputation.

Sa pente naturelle est l'oisiveté; il travaille néanmoins avec activité dans les affaires qui le pressent, et il se repose avec nonchalance quand elles sont finies. Il a une grande présence d'esprit, et sait tellement tourner à son avantage les occasions que la fortune lui offre, qu'il semble qu'il les ait prévues et désirées. Il aime à raconter: il veut éblouir indifféremment tous ceux qui l'écoutent, par des aventures extraordinaires; et souvent son imagination lui fournit plus que sa mémoire.

Il est faux dans la plupart de ses qualités; et ce qui a le plus contribué à sa réputation, est de savoir donner un beau jour à ses défauts. Il est insensible à la haine et à l'amitié, quelque soin

I.

qu'il ait pris de paraître occupé de l'une ou de l'autre. Il est incapable d'envie et d'avarice, soit par vertu, soit par inapplication. Il a plus emprunté de ses amis, qu'un particulier ne pouvait espérer de pouvoir leur rendre. Il n'a point de goût ni de délicatesse. Il s'amuse à tout et ne se plaît à rien. Il évite avec adresse de laisser pénétrer qu'il n'a qu'une légère connaissance de toutes choses. La retraite qu'il vient de faire, est la plus éclatante et la plus fausse action de sa vie ; c'est un sacrifice qu'il fait à son orgueil, sous prétexte de dévotion: il quitte la cour où il ne peut s'attacher, et il s'éloigne du monde qui s'éloigne de lui.

DU DUC

DE LA ROCHEFOUCAULD,

Fait par lui-même, imprimé en 1658.

Je suis d'une taille médiocre, libre et bien proportionnée. J'ai le teint brun, mais assez uni; le front élevé et d'une raisonnable grandeur; les yeux noirs, petits et enfoncés ; et les sourcils noirs et épais, mais bien tournés. Je serais fort empêché de dire de quelle sorte j'ai le nez fait; car il n'est ni camus, ni aquilin, ni gros, ni pointu, au moins à ce que je crois : tout ce que je sais, c'est qu'il est plutôt grand que petit, et qu'il descend un peu trop bas. J'ai la bouche grande, et les lèvres assez rouges d'ordinaire, et ni bien ni mal taillées. J'ai les dents blanches et passablement bien rangées. On m'a dit autrefois que j'avais un peu trop de menton : je viens de me regarder dans le miroir pour savoir ce qui en est ; et je ne sais pas trop bien qu'en juger. Pour le tour du visage, je l'ai ou carré, ou en ovale; lequel des deux, il me serait fort difficile de le dire. J'ai les cheveux noirs, naturellement frisés, et avec cela assez épais et assez longs pour pouvoir prétendre en belle tête.

J'ai quelque chose de chagrin et de fier dans la mine: cela fait croire à la plupart des gens que je suis méprisant, quoique je ne le sois point du tout. J'ai l'action fort aisée, et même un peu trop, et jusqu'à faire beaucoup de gestes en parlant. Voilà naïvement comme je pense que je suis fait au dehors, et l'on trouvera, je crois, que ce que je pense de moi là-dessus, n'est pas fort éloigné de ce qui en est. J'en userai avec la même fidélité dans ce qui me reste à faire de mon portrait; car je me suis assez étudié pour me bien connaître, et je ne manquerai ni d'assurance pour dire librement ce que je puis avoir de bonnes qualités, ni de sincérité pour avouer franchement ce que j'ai de défauts.

Premièrement, pour parler de mon humeur, je suis mélancolique, et je le suis à un point que, depuis trois ou quatre ans, à peine m'a-t-on vu rire trois ou quatre fois. J'aurais pourtant, ce me semble, une mélancolie assez supportable et assez douce, si je n'en avais point d'autre que celle qui me vient de mon tempérament; mais il m'en vient tant d'ailleurs, et ce qui m'en vient me remplit de telle sorte l'imagination, et m'occupe si fort l'esprit, que la plupart du temps, ou je rêve sans dire mot, ou

La Rochefoucauld.

I

« PreviousContinue »