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s'en vont en pluie. Cela n'a pas été vu pour une fois à la Chine; j'ai trouvé cette observation en deux temps assez éloignés, sans compter une étoile qui s'en va crever vers l'Orient, comme une fusée, toujours avec un grand bruit. Il est fâcheux que ces spectacles-là soient réservés pour la Chine, et que ces paysci n'en aient jamais eu leur part. Il n'y a pas long-temps que tous nos philosophes şe croyoient fondés en expérience, pour soutenir que les cieux et tous les corps célestes étoient incorruptibles et incapables de changemens; et pendant ce temps-là d'autres hommes, à l'autre bout de la terre, voyoient des étoiles se dissoudre par milliers: cela est assez différent. Mais, dit-elle, n'ai-je pas toujours oui dire que les Chinois étoient de si grands Astronomes? Il est vrai, reprisje; mais les Chinois y ont gagné à être séparés de nous par un long espace de terre, comme les Grecs et les Romains à être séparés par une longue suite de siecles; tout éloignement est en droit de nous en imposer. En vérité, je crois toujours de plus en plus qu'il y a un certain génie qui n'a point encore été hors de notre Europe, ou qui du moins ne s'en est pas beaucoup éloigné. Peut-être qu'il ne lui est pas permis de se répandre dans une grande étendue de terre à la fois, et que

quelque fatalité lui prescrit des borne assez étroites. Jouissons-en tandis que nous le possédons; ce qu'il y a de meilleur, c'est qu'il ne se renferme pas dans les sciences et dans les spéculations seches; il s'étend avec autant de succès jusqu'aux choses d'agrément, sur lesquelles je doute qu'aucun peuple nous égale. Ce sont celles-là, Madame, auxquelles il vous appartient de vous occuper, et qui doivent composer toute votre philosophie.

DIALOGUES

DES

MORTS ANCIENS.

Par M. DE FONTENELLE.

A

LUCIEN,

AUX CHAMPS ÉLISIENS.

ILLUSTRE MORT,

Il est bien juste qu'après avoir pris une idée qui vous appartient, je vous en rende quelque sorte d'hommage. L'auteur dont on a tiré le plus de secours dans un livre, est le vrai héros de l'Epitre Dédicatoire ; c'est lui dont on peut publier les louanges avec sincérité, et qu'on doit choisir pour pro tecteur. Peut-être on trouvera que j'ai été bien hardi d'avoir ose travailler sur votre plan; mais il me semble que je l'eusse éte encore davantage, si j'eusse travaillé sur un Plan de mon imagination. J'ai quelque

lieu d'espérer que le dessein qui est de vous, fera passer les choses qui sont de moi ; et si j'ose vous dire hasard mes si que par Dialogues avoient un peu de succès, ils vous feroient plus d'honneur que les vôtres mêmes ne vous en ont fait; puisqu'on verroit que cette idée est assez agréuble, pour n'avoir pas besoin d'être bien exécutée. J'ai fait tant de fonds sur elle, que j'ai cru qu'une partie m'en pourroit suffire. J'ai supprimé Pluton, Caron, Cerbere et tout ce qui est usé dans les enfers. Que je suis fâché que vous ayiez épuisé toutes ces belles matieres de l'égalité des morts, du regret qu'ils ont à la vie, de la fausse fermeté que les philosophes affectent de faire paroître en mourant, du ridicule malheur de ces jeunes gens qui meurent avant les vieillards dont ils croient hériter, et à qui ils faisoient la cour! Mais après tout puisque vous aviez inventé ce dessein, il étoit raisonnable que vous en prissiez ce qu'il y avoit de plus beau. Du moins j'ai táche de vous imiter dans la fin que vous vous étiez proposée. Tous vos dialogues renferment leur morale, et j'ai fait moraliser tous mes morts; autrement ce n'eut pas été la peine de les faire parler. Des vivans auroient suffi pour dire des choses inutiles. De plus, il y a cela de commode, qu'on peut supposer que les morts sont gens de grande réflexion, tant à cause de leur expérience, que de leur loisir ; et on doit croire

pour leur honneur, qu'ils pensent un peu plus qu'on ne fait d'ordinaire pendant la vie. Ils raisonnent mieux que nous des choses d'ici-haut, parce qu'ils les regardent avec plus d'indifférence et plus de tranquillité; et ils veulent bien en raisonner, parce qu'ils y prennent un reste d'intérêt. Vous avez fait la plupart de leurs Dialogues si courts, qu'il paroît que vous n'avez pas cru qu'ils fussent de grands parleurs, et je suis entré aisément dans votre pensée. Comme les Morts ont bien de l'esprit, ils devroient voir bientôt le bout de toutes les matieres. Je croirois même sans peine qu'ils devroient être assez éclairés, pour convenir de tout les uns avec les autres, et par consé quent pour ne se parler jamais; car il me semble qu'il n'appartient de disputer qu'à nous autres ignorans, qui ne découvrons pas la vérité; de même qu'il n'appartient qu'à des aveugles, qui ne voient pas le but où ils vont, de s'entre-heurter dans un chemin. Mais on ne pourroit pas se persuader ici , que les Morts eussent changé de caracteres jusqu'au point de n'avoir plus de sentimens opposés. Quand on a une fois conçu dans le monde une opinion des gens, on n'en sauroit revenir. Ainsi je me suis attaché à rendre les Morts reconnoissables, du moins ceux qui sont fort connus. Vous n'avez pas fait de difficulté d'en supposer quelques-uns, et peut-être aussi quelques-unes des aventures que vous leur attribuez, mais

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