Page images
PDF
EPUB

les paffions des perfonnages du Poëte Comique. Ainfi la terreur & la pitié, que la peinture des événemens tragiques excite dans notre ame, nous occupent plus que le rire & le mépris que les incidens des Comédies excitent en nous.

[merged small][ocr errors]

Des différens genres de Poëfie, & de leur caractère.

IL en eft de même de tous les genres de Poëfie, & chaque genre nous touche à proportion que l'objet, lequel il eft de fon effence de peindre & d'imiter, eft capable de nous émouvoir. Voilà pourquoi le genre Elégiaque & le genre Bucolique ont plus d'attrait pour nous, que le genre Dogmatique. Ainfi les vers que foupiroit Tibulle & que l'amour lui dictoit, pour me fervir de l'expreffion de l'Auteur de l'Art poëtique, nous plaifent infiniment toutes les fois que nous les relifons. Ovide nous charme dans celles de fes Elégies où il n'a pas fubfti. tué fon efprit au langage de la nature. Perfonne ne quittajamais par ce dégoût

qui vient de fatiété la lecture des Eglogues de Virgile. Elles font encore un plaifir fenfible, quand elles n'ont plus rien de nouveau pour nous, & quand la mémoire devance les yeux dans cette lecture. Ces deux genres de Poëfie nous font entendre des hommes touchés, & qui nous rendroient très-fenfibles à leurs peines comme à leurs plaifirs, s'ils nous entretenoient eux-mêmes.

Les Epigrammes, dont le mérite confifte en jeux de mots, ou dans une allufion ingénieufe, ne nous plaifent guères que lorfqu'elles font nouvelles pour nous. C'eft la premiere furprise qui nous frappe.Le trait eft émouflé, dès que nous en avons retenu le fens: mais les Epigrammes qui peignent des objets capables de nous attendrir, ou de s'attirer une grande attention en quelque manie re que ce foit, font toujours impreffion fur nous. On les relit plufieurs fois, & bien des perfonnes les retiennent fans avoir jamais penfé à les apprendre. Pour ! ne point mettre en jeu les Poëtes mo dernes, les Epigrammes, de Martial, qu'on fait communément, ne font point celles où il a joué fur le mor,mais › bien les Epigrammes où il a dépeint um I

objet capable de nous intéreffer beaucoup. Telle eft l'Epigramme de Martial fur Arria la femme de Pétus.

Les Auteurs fenfés qui ont voulu compofer des Poëmes dogmatiques, & faire fervir les vers à nous donner des leçons, se sont conduits fuivant le principe que je viens d'expofer. Afin de foutenir l'attention du lecteur, ils ont femé leurs vers d'images qui peignent des objets touchans; car les objets qui ne font propres qu'à fatisfaire notre curiofité, ne nous attachent pas autant que les objets qui font capables de nous attendrir. S'il eft permis de parler ainfi, l'efprit eft d'un commerce plus difficile que lecœur.

SECTION IX.

Comment on rend les sujets dogmatiques, intéreffans.

QUAND

UAND Virgile compofa fes Georgiques qui font un Poëme dogmatique, dont le titre nous promet des inftructions fur l'agriculture & fur les occupations de la vie champêtre, il eut attention à le remplir d'imitations faites d'a

près des objets qui nous auroient atta→ chés dans la nature. Virgile ne s'eft pas même contenté de ces images répandues avec un art infini dans tout l'ouvrage. Il place dans un de ces livres une differtation faite à l'occafion des préfages du foleil, & il y traite avec toute l'invention dont la Poëfie eft capable, le meurtre de Jules Céfar, & les commencemens du regne d'Augufte. On ne pouvoit pas entretenir les Romains d'un fujet qui les intéreffât davantage. Virgile met dans un autre livre la fable miraculeuse d'Ariftée, & la Peinture des effets de l'Amour. Dans un autre, c'est un tableau de la vie champêtre qui forme un payfage riant & rempli des figures les plus aimables. Enfin il infere dans cet ouvrage l'aventure tragique d'Orphée & d'Euridice, capable de faire fondre en larmes ceux qui la verroient véritablement. Il eft fi vrai que ce font ces images qui font cause qu'on fe plaît tant à lire les Georgiques, que l'attention fe relâche fur les vers qui donnent les préceptes que le titre a promis. Suppofé même que l'objet, qu'un Poëme dogmatique nous préfente, fût fi curieux qu'on le lût une fois avec plaifir, on ne

[ocr errors][ocr errors]

le reliroit pas avec la même fatisfaction qu'on relit uneEglogue.L'efprit ne fçauroit jouir deux fois du plaifir d'apprendre la même chofe; mais le cœur peut jouir deux fois du plaifir de fentir la même émotion. Le plaifir d'apprendre eft confommé par le plaifir de fçavoir.

Les Poëmes dogmatiques, que leurs Auteurs ont dédaigné d'embellir par des tableaux pathétiques affez fréquens, ne font guères entre les mains du commun des hommes. Quel que foit le mérite de ces Poëmes, on en regarde la lecture comme une occupation férieufe, & non pas comme un plaifir. On les aime moins, & le Public n'en retient guères que les vers qui contiennent des tableaux pareils à ceux dont on loue Virgile d'avoir enrichi fes Georgiques. Il n'est personne qui n'admire le génie & la verve de Lucrèce, l'énergie de fes expreffions, la maniere hardie dont il peint des objets, pour lefquels le pinceau de la Poëlie ne paroiffoit point fait; enfin fa dextérité pour mettre en vers des chofes, que Virgile lui-même auroit peut-être défefpéré de pouvoir dire en langage des Dieux mais Lucrèce eft bien plus admiré qu'il n'eft lû. Il y a plus

« PreviousContinue »