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SECTION VI I.

la

Que la Tragédie nous affecte plus que Comédie, à cause de la nature des fujets que la Tragédie traite.

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QUANDON UAND on fait réflexion que la Tragédie affecte, qu'elle occupe plus une grande partie des hommes que la Comédie, il n'eft plus permis de douter que les imitations ne nous intéreffent qu'à proportion de l'impreffion plus ou moins grande que l'objet imité auroit fait fur nous. Or il eft certain que les hommes en général ne font pas autant émus par l'action théatrale, qu'ils ne font pas auffi livrés au fpectacle durant les représentations des Comédies, que durant celles des Tragédies. Ceux qui font leur amusement de la Poëfie Dramatique parlent plus fouvent & avec plus d'affection des Tragédies que des Comédies qu'ils ont vûes ; ils fçavent un plus grand nombre de vers des piéces de Corneille & de Racine, que de celles de Moliere. Enfin nous fouffrons plus volontiers le médiocre dans le genre tragique que

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dans le genre Comique, qui femble n'avoir pas le même droit fur notre attention que le premier :

habet Comedia tanto

Plus oneris, quanto veniæ minus.

difoit Horace (a'. Tous ceux qui travaillent pour notre théâtre parlent de même, & ils affurent qu'il eft moins dangereux de donner un rendez vous au public pour le divertir en le faifant pleurer, que pour le divertir en le faifant rire.

Il femble cependant que la Comédie dût attacher les hommes plus que la Tragédie. Un Poëte Comique ne dépeint pas aux fpectateurs des Héros, ou des caractères qu'ils n'ayent jamais connus que par les idées vagues que leur imagination peut en avoir formées fur le rapport des Hiftoriens: il n'entretient pas le parterre de conjurations contre l'Etat, d'oracles ni d'autres événemens merveilleux, & tels que la plupart des fpectateurs, qui jamais n'ont eu part à des avantures femblables, ne fçauroient bien connoître fi les circonftances & les fuites de ces aventures font exposées (a) Lib. prim. Epiftolà primă.

avec vraisemblance. Au contraire, let Poëte Comique dépeint nos amis, & les perfonnes avec qui nous vivons tous les jours. Le Théâtre, fuivant Platon (a), ne fubfifte, pour ainfi dire, que des fautes où tombent les hommes, parce qu'ils ne fe connoiffent pas bien eux-mêmes. Les uns s'imaginent être plus puiffans qu'ils ne font, d'autres plus éclairés, & d'autres enfin plus aimables.

Le Poëte Tragique nous expofe les inconvéniens dont l'ignorance de foimême eft caufe parmi les Souverains, & les autres perfonnes indépendantes qui peuvent fe venger avec éclat, dont le reffentiment eft naturellement violent, & dont les paffions propres à être traitées fur la fcène, peuvent donner lieu à de grands événemens. Le Poëte Comique nous expofe qu'elles font les fuites de cette ignorance de foi-même parmi le commun des hommes, dont le reffentiment est afservi aux loix, & dont les paffions propres au théâtre ne fçauroient produire que des brouilleries, en un mot des projets & des événemens ordinaires.

(a)In Phil. p. 48,

Le Poëte Comique nous entretient donc des aventures de nos égaux, & il nous présente des portraits dont nous voyons tous les jours les originaux. Qu'on me pardonne l'expreffion : il fait monter le parterre même fur la scène. Les hommes toujours avides de démêler le ridicule d'autrui, & naturellement defireux d'acquérir toutes les lumieres qui peuvent les autorifer à moins eftimer les autres, devroient donc trouver mieux leur compte avec Thalie qu'avec Melpomêne: Thalie eft encore plus fertile que Melpomêne en leçons à notre ufage. Si la Comédie ne corrige pas tous les défauts qu'elle jouë, elle enfeigne du moins comment il faut vivre avec les hommes qui font fujets à ces défauts, & comment il faut s'y pren

dre pour éviter avec eux la dureté qui les irrite, & la baffe complaifance qui les flatte. Au contraire la Tragédie repréfente des Héros à qui notre fituation ne nous permet guères de vouloir reffembler, & fes leçons & fes exemples roulent fur des événemens fit peu femblables à ceux qui nous peuvent arriver, que les applications que nous en voudrions faire, feroient toujours

bien vagues & bien imparfaites.

Mais la Comédie, fuivant la définition d'Ariftote (a) eft l'imitation du ridicule des hommes: & la Tragédie, fuivant la fignification qu'on donnoit à ce mot (b), eft l'imitation de la vie & du difcours des Héros, ou des hommes fujets par leur élévation aux paffions les plus violentes. Elle eft l'imitation des crimes & des malheurs des grands hommes, comme des vertus les plus fublimes dont ils foient capables. Le Poëte Tragique nous fait voir les hommes en proie aux paffions les plus emportées & dans les plus grandes agitations. Ce font des Dieux injuftes, mais tout puiffans qui demandent qu'on égorge aux pieds de leurs autels une jeune Princeffe innocente. C'est le grand Pompée, le vainqueur de tant de Nations, & la terreur des Rois de l'Orient, maffacré par de vils efclaves. Nous ne reconnoiffons pas nos amis dans les perfonnages du Poëte Tragique, mais leurs paffions font plus impétueules; & comme les loix ne font pour ces paffions qu'un frein trèsfoible, elles ont bien d'autres fuites que

(a) Poëtic. chap. s.
(b) Vet. Etym. Græc.

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