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SECTION XLVII.

Quels vers font les plus propres à être mis en Mufique.

APRES celaj'oferai décider que géné ralement parlant, la mufique eft beaucoup plus efficace que la fimple déclamation, que la mufique donne plus de force aux vers que la déclamation, quand ces vers font propres à être mis en mufique. Mais il s'en faut infiniment que tous les vers y foient également propres, & que la mufique leur puisse prêter la même énergie.

Nous avons dit, en parlant de la poëfie du ftyle, qu'elle devoit exprimer avec des termes fimples les fentimens ; mais qu'elle devoit nous préfenter tous les autres objets, dont elle parle, fous des images & des peintures.Nous avons expofé,en parlant de la mufique, qu'elle devoit imiter dans fes chants les tons, les foupirs, les accens, & tous ces fons inarticulés de la voix, qui font les fignes naturels de nos fentimens & de nos paffions. Il est très-aifé d'inférer

de ces deux vérités, que les vers qui contiennent des fentimens, font trèspropres à être mis en mufique ; & que ceux qui contiennent des peintures, n'y font pas bien propres.

La nature fournit elle même, pour ainfi dire, les chants propres à exprimer les fentimens. Nous ne fçaurions même prononcer avec affection les vers qui contiennent des fentimens tendres & touchans, fans faire des foupirs, fans employer des accens & des ports de voix qu'un homme doué du génie de la mufique, réduit facilement en un chant continu. Je fais certain que Lulli n'a pas cherché longtems le chant de ces vers que dit Medée dans l'Opera de Théfée.

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Mon cœur auroit encor fa premiere innocence
S'il n'avoit jamais eu d'amour.

Il ya plus. L'homme de génie, qui compofe fur des paroles femblables, frouve qu'il a fait des chants variés, même fans avoir penfé à les diverfifier. Chaque fentiment a fes tons, fes accens & fes foupirs propres. Ainfi le Muficien en compofant fur des vers, tels que ceux dont nous parlons içi,

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fait des chants aufli variés que la naturé -même eft variée.

Les vers qui contiennent des peintures & des images, & ce qu'on appelle fouvent par excellence de la poëfie, ne donnent pas au Muficien la même faci-lité de bien faire. La nature ne fournit prefque rien à l'expreffion. L'art feul aide le Muficien qui voudroit mettre en chant des vers tels que ceux où Corneille fait une peinture fi magnifique du Triumvirat.

Le méchant par le prix au crime encouragé,
Le mari dans fon lit par fa femme égorgé :
Le fils tout dégoutant du meurtre de fon pere
Et fa tête à la main demandant fon falaire
&c.

En effet, le Muficien obligé de mettre en mufique de pareils vers, ne trouveroit pas beaucoup de reffource pour fa mélodie dans la déclamation naturelle des paroles. Il faut donc qu'il fe jette dans des chants, plutôt nobles & impofans qu'expreffifs; & parce que la nature ne lui aide pas à varier ces chants, il faut encore qu'ils deviennent à la fin uniformes. Comme la mufique n'ajoute prefque point d'énergie aux vers dont la beauté confifte

fifte dans des images, quoiqu'elle en émouffe la force en rallentiffant leur prononciation.Un bon Poëte Lyrique, quelque riche que fa veine puiffe être, ne mettra guéres dans fes ouvrages de vers pareils à ceux de Corneillé quej'ai cités. Ainfi le reproche qu'on fai foit à Quinault, quand il compofa fes premiers Opera: Que fes vers étoient dénués de ces images & de ces peintures qui font le fublime de la Poëfie, fe trouve un reproche mal - fondé. On comptoit pour un défaut dans fes vers ce qui en faifoit le mérite. Mais on ne connoiffoit pas encore en France en quoi confifte le mérite des vers faits pour être mis en mufique. Nous n'avions encore compofé que des chanfons; & comme ces petits Poëmes ne font destinés qu'à l'expreffion de quelques fentimens, ils n'avoient pas donné lieu à faire fur la Poëfie Lyrique les ob fervations que nous avons pu faire depuis. Dès que nous avons eu fait des Opera, l'efprit philofophique, qui eft excellent pour mettre en évidence la vérité, pourvu qu'il chemine à la fuite de l'expérience, nous a fait trouver que les vers les plus remplis d'images, Tome I.

Y

& généralement parlant les plus beaux; ne font pas les plus propres à réuffir en mufique. Il n'y a pas de comparaifon entre les deux Strophes que je vais citer, quand elles font déclamées.La premiere eft de l'Opera de Théfée écrit par Quinault.

Doux repos, innocente paix,

Heureux, heureux un cœur qui ne vous perd jamais
L'impitoyable amour m'a toujours poursuivie,
N'etoit-ce point affez des maux qu'il m'avoit faits?
Pourquoi ce Dieu cruel avec de nouveaux traits,
Vient il encore troubler le refte de ma vie?

La feconde eft de l'Idille de Sceaux, par Racine.

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"

Déja grondoient les horribles tonneres

Par qui font brifés les remparts,

Déja marchoit devant les étendards

Bellone les cheveux épars,

Et fe flattoit d'éternifer les guerres
Que ses fureurs fouffloient de toutes parts.

Il s'en faut beaucoup que ces deux Strophes n'ayent réuffi également en mufique Frente perfonnes ont retenu la premiere pour une qui aura retent la feconde. Cependant l'une & l'autre font mifes en chant par Lulli, qui même avoit dix années d'expérience de plus, lorfqu'il compofa Pidille de Sceaux.

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