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fans. Ces derniers fçavent tous les fe crets, ils connoiffent toutes les couleurs dont les premiers fe font fervis.>

SECTION XXXIX. :

En quel fens on peut dire que la Nature fe foit enrichie depuis Raphaël.

AU contraire les Peintres qui travaillent aujourd'hui, tirent plus de fecours de l'Art, que Raphaël & fes contemporains n'en pouvoient tirer. Depuis Raphaël, l'Art & la Nature fe font perfectionnés; & fi Raphaël reve noit au monde avec fes talens, il feroit mieux encore qu'il ne l'a pu faire dans le tems où la deftinée l'avoit placé, au lieu que Virgile ne pourroit point écrire un Poëme épique en François, auffi-bien qu'il l'a écrit en Lar tin. L'Ecole Lombarde a porté le cor Joris à une perfection où il n'avoit pas encore atteint du vivant de Raphaël. L'Ecole d'Anvers a fait encore depuis lui plufieurs découvertes fur la magie du clair-obfcur. Michel-Ange de Ca

-ravage & fes imitateurs ont auffi fait fur cette partie de la peinture, des découvertes excellentes, quoiqu'on puif.. fe reprocher d'en avoir été trop amoureux. Enfin depuis Raphaël`, là Nature s'eft embellie. Expliquons ce paradoxe.

Nos Peintres connoiffent préfentement une nature d'arbres & une nature d'animaux plus belle & plus parfaite que celle qui fut connue aux devanciers de Raphaël & à Raphaël luimême. Je me contenterai d'en alléguer trois exemples, les arbres des PaysBas, les animaux d'Angleterre & de quelques autres Pays : enfin les fruits, les fleurs & les arbres des Indes, tant Orientales qu'Occidentales.

Raphaël & fes contemporains ont vécu dans des tems où l'Afie Orientale & l'Amérique n'étoient pas encore découvertes par les Peintres. Un pays n'eft découvert pour les gens d'une certaire profeflion, ils ne fçauroient profiter de celles de fes richeffes, qui font à leur ufage, qu'après qu'il y a paffé des gens de leur profeffion. Le Bréfil, par exemple, étoit découvert pour les Marchands long-tems avant

que

que d'être découvert pour les Médecins. Ce n'a été qu'après que Pifon & d'autres Médecins habiles ont été au Bréfil, que les Médecins d'Európe en ont bien connu les fimples & les arbres. De même l'Afie Orientale & l'Améri que étoient déja découvértes pour les Epiciers & pour les Lapidaires au tems de Raphaël; mais ce n'eft qu'après lui que ces parties du monde ont été découvertes pour les Peintres, & qu'on en a rapporté les deffeins des plantes, des fruits & des animaux rares qui s'y trou vent, & qui peuvent fervir à l'embellif fement des tableaux.

La température du climat des PaysBas, & la nature du fol, y font croître les arbres plus près l'un de l'autre, plus droits, plus hauts & mieux garnis de feuilles, que les arbres de la même efpece qui viennent en Grece, en Italie & même en plufieurs Provinces de la France.Les feuilles des arbres des PaysBas font non-feulement en plus grande quantité, mais elles font encore plus vertes & plus larges. Ainfi les collines des Pays-bas donnent l'idée d'un paysa. ge plus vert, plus frais & plus riant que les collines d'Italie.

Tome I.

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Les vaches, les taureaux, les moutons & même les porcs, ont en Angle terre le corfage bien mieux formé qu'ils ne l'ont en Italie & en Grece. Avant Raphaël les Marchands Vénitiens fré quentoient bien les Ports d'Angleterre; les Pellerins Anglois alloient bien à Rome en grand nombre gagner les pardons, mais les uns & les autres n'étoient pas Peintres, & ce qu'ils pouvoient raconter des animaux de ce Pays-là, n'en étoit pas un deffein.

Il eft vrai que Raphaël & fes contemporains n'étudioient pas la Nature feulement dans la Nature même. Ils l'étudioient encore dans les ouvrages des Anciens. Mais les Anciens euxmêmes ne connoiffoient pas les arbres & les animaux dont nous venons de parler. L'idée de la belle Nature que les Anciens s'étoient formée sur certains arbres & fur certains animaux, en prenant pour modeles les arbres & les animaux de la Grece & de l'Italie, cette idée, dis-je, n'approche pas de ce que la Nature produit en ce genrelà, Pourquoi les beaux chevaux antiques, même celui fur lequel MarcAurele eft monté, & à qui Pierre de

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Cortonne adreffoit la parole toutes les fois qu'il paffoit dans la cour du Capitole, en lui difant par un enthousiasme pittorefque: Avance donc ne fçais-tu pas que tu es vivant? n'ont pas les proportions auffi élégantes, ni le corfage & l'air auffi nobles que les chevaux que les Sculpteurs ont faits depuis qu'ils ont connu les chevaux du nord de l'Angleterre, & que l'efpece de ces animaux s'eft embellie dans différens pays par le mélange que les Nations induftrieufes ont fçu faire des races ?

Les chevaux de Montécavallo, par la proportion vicieuse de différentes parties de leurs corps, & principalement par leur encolure énorme, font pitié à tous ceux qui connoiffent les chevaux d'Angleterre & d'Andaloufie. L'infcription mife fous ces chevaux, & qui nous affure que l'un eft l'ouvrage de Phidias, & l'autre, l'ouvrage de Praxitéle, eft une impofture. J'en tombe d'accord. Mais il falloit néanmoins que les Anciens les eftimaffent beaucoup, puifque Conftantin les fit venir d'Alexandrie à Rome, comme un monument précieux dont il vouloit. orner ses Thermes. La vache de My

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