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canique de nos organes, & par conféquent elle doit dépendre de la facilité, comme de la promptitude de leurs mouvemens. Voilà pourquoi le même difcours ébranle en des tems inégaux un' homme d'un tempérament vif, & un autre homme d'un tempérament lent, quoiqu'ils en viennent enfin à prendre le même intérêt à la chofe dont il s'agit. L'expérience qui eft plus décifive dans les faits, que tous les raifonnemens, nous enfeigne que la chofe eft ainfi. Un François qui ne fçait l'Espagnol que comme une langue étrangere, n'eft pas affecté par le mot querer, comme par le mot aimer, quoique ces mots fignifient la même chofe.

Cependant les vers Latins plaifent plus, ils affectent plus que les vers François. On ne fçauroit recufer le témoignage des Etrangers à qui l'usage de la langue Françoise eft beaucoup plus familier aujourd'hui que l'ufage de la langue Latine. Ils difent tous que les vers François leur font moins de plaisir que les vers Latins, quoique la plupart ils ayent appris le François avant que d'apprendre le Latin. Les François mêmes qui fçavent affez bien le Latin pour

entendre facilement les Poëtes qui ont compofé dans cette langue, font de leur avis. En fuppofant que le Poëte François & le Poëte Latin ayent traité la même matiere, qu'ils ayent également réuffi, les François, dont je parle, trouvent plus de plaifir à lire les vers Latins. On fçait le bon mot de Bourbon, qu'il croyoit boire de l'eau, quand il lifoic des vers François. Enfin les François & les Etrangers, je parle de ceux qui fçavent notre langue auffi bien que nousmêmes, & qui ont été élevés un Horace dans une main, & un Defpreaux dans l'autre,ne fçauroient fouffrir qu'on mette en comparaifon les vers Latins & les vers François confidérés mécaniquement. Il faut donc qu'il fe rencontre dans les vers Latins une excellence qui ne foit pas dans les vers François : l'Etranger qui fait plutôt fortune dans une Cour, qu'un homme du pays, eft réputé avoir plus de mérite que celui qu'il a laiffé derriere lui.

SECTION XXXVIII.

Que les Peintres du tems de Raphaël n'avoient point d'avantage fur ceux d'aujourd'hui. Des Peintres de l'Antiquité. Nos Poëtes François font donc à plaindre, lorfqu'on veut leur faire effuyer la comparaifon des Poëtes Latins qui avoient tant de fecours & tant de facilité pour faire mieux qu'il n'eft poffible de faire aux Poëtes François. Ils pourroient dire ce que Quintilien répond, pour , pour les Poëtes Latins, aux Critiques qui avoient voulu exiger des Ecrivains Latins qu'ils touchaffent au. tant que les Ecrivains Grecs: Rendez donc notre langue auffi féconde en expreffions & auffi agréable dans la prononciation, que la langue de ceux que vous prétendez que nous devions égaler pour mériter votre eftime. Det mihi in loquendo eamdem jucunditatem & раrem copiam (a). L'Architecte qui ne fçauroit bâtir qu'avec de la brique, ne peut pas élever un édifice qui plaife

(a) Inftit. lib. 12.

autant que s'il pouvoit le bâtir avec de la pierre & avec du marbre. Nos Peintres font en cela bien plus heureux que nos Poëtes. Les Peintres qui travaillent aujourd'hui, emploient les mêmes couleurs & les mêmes inftrumens qu'ont employé les Peintres, dont on peut op. pofer les ouvrages à ceux qu'ils font tous les jours. Nos Peintres, pour ainfi dire, compofent dans la même langue que parloient leurs prédéceffeurs. En parlant des Peintres les prédéceffeurs des nôtres, je n'entends point parler des Peintres du tems d'Alexandre le Grand, & de ceux du tems d'Augufte. Nous ne fçavons pas affez diftinctement les détails de la mécanique de la peinture antique, pour en faire un paralléle avec la mécanique de la peinture moderne. Par les Peintres prédéceffeurs des nô tres, j'entends parler feulement des Peintres qui fe font produits depuis le renouvellement des Lettres & des beaux

Arts.

Je ne fçache point qu'il foit venu juf ques à nous aucun tableau des Peintres de l'ancienne Grece. Ceux qui nous ref tent des Peintres de l'ancienne Rome, font en fi petite quantité, &ils font en

core d'une efpece telle, qu'il eft bien difficile de juger fur l'infpection de ces tableaux, de l'habileté des meilleurs ouvriers de ce tems là, ni des couleurs qu'ils employoient, Nous ne pouvons fçavoir pofitivement s'ils en avoient que nous n'ayons plus; mais il y a beau coup d'apparence qu'ils n'avoient point les couleurs que nos ouvriers tirent de l'Amérique & de quelques autres pays, avec lefquels l'Europe n'a un commerce réglé que depuis deux fiécles.

Un grand nombre des morceaux de la peinture antique qui nous refte, eft exécuté en Mofaïque, c'eft à dire, en peinture faite avec de petites pierres coloriées; & des aiguilles de verre compaffées & rapportées ensemble, de maniere qu'elles imitent dans leur affemblage le trait & la couleur des objets qu'on a voulu repréfenter. On voit, par exemple, dans le palais que les Barberins ont fait bâtir dans la ville. de Palestrine, à vingt-cinq milles de Rome, un grand morceau de Mofaïque qui peut avoir douze pieds de long fur dix pieds de hauteur, & qui fert de pavé à une espece de grande niche, dont la voûte foutient les deux ram

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