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aux Miniftres odieux de fon frere:Ayez peur, méchans: Céfar qui eft jufte, va venir la force à la main: Il arrive avec des troupes. Sa pensée a bien un autre éclat, elle paroît bien plus relevée, lorfqu'elle eft revêtue de figures poëtiques, & lorfqu'elle met entre les mains de Céfar l'inftrument de la vengeance de Jupiter. Ce vers (a).

Tremblez, méchans, tremblez: voici venir la foudre;

me préfente Céfar armé du tonnerre, & les meurtriers de Pompée foudroyés. Dire fimplement qu'il n'y a pas un grand mérite à fe faire aimer d'un homme qui devient amoureux facilement, mais qu'il eft beau de fe faire aimer par un homme qui ne témoigna jamais de difpofition à l'amour, ce feroit dire une vérité commune, & qui ne s'attireroit pas beaucoup d'attention. Quand Racine met dans la bouche d'Aricie cette vérité, revêtue des beautés que lui prê te la Poëfie de fon ftyle, elle nous char. me. Nous fommes féduits par les images dont le Poëte fe fert pour l'exprimer ; & la pensée, de triviale qu'elle fe

(a) Mort de Pompée.

roit, devient dans fes Vers un difcours éloquent qui nous frappe, & que nous retenons (a).

Pour moi, je fuis plus fière, & fuis la gloire aisée
D'arracher un hommage à mille autres offert,
Et d'entrer dans un cœur de toutes parts ouvert.
Mais de faire fléchir un courage inflexible,
De porter la douleur dans une ame insensible,
D'enchaîner un captif de fes fers étonné,
Contre un joug qui lui plaît vainement mutiné
Voilà ce qui me plaît. voilà ce qui m'irrite.

Ces vers tracent cinq tableaux dans l'imagination.

Un homme qui nous diroit fimplement, Je mourrai dans le même château où je fuis né, ne toucheroit pas beaucoup. Mourir, eft la deftinée de tous les hommes; & finir dans le fein de fes Pénates, c'eft la deftinée des plus heureux. L'Abbé de Chaulieu nous préfente cependant cette pensée fous des images qui la rendent capable de toucher infiniment:

Fontenay, lieux délicieux

Où je vis d'abord la lumiere;
Bientôt au bout de ma carriere
Chez toi je joindrai mes Ayeux.
Mufes, qui dans ce lieu champêtre
Avec foin me fîtes nourrir;
Beaux arbres, qui m'avez vu naître,
Bientôt vous me verrez mourir.

b) Phedr. Act. II.

Ces apoftrophes me font voir le Poëte en converfation avec les Divinités & avec les arbres de ce lieu. Je m'imagine qu'ils font attendris par la nouvelle qu'il leur annonce ; & le fentiment qu'il leur prête, fait naître dans mon cœur un sentiment approchant du leur.

L'art d'émouvoir les hommes & de les amener où l'on veut, confifte principalement à fçavoir faire un bon ufage de ces images. L'Ecrivain le plus auftere, celui qui fait la profeffion la plus férieuse de ne mettre en œuvre, pour nous perfuader, que la raifon toute nuë, fent bientôt que pour nous convaincre, il nous faut émouvoir; & qu'il faut, pour nous émouvoir, mettre fous nos yeux par des peintures les objets dont il nous parle. Un des plus grands partifans du raifonnement févere que nous ayons eu, le Pere Malebranche, a écrit contre la contagion des imaginations fortes, dont le charme, pour nous féduire, confifte dans leur fécondité en images, & dans le talent qu'elles ont de peindre vivement les objets (a). Mais qu'on ne s'attende point à voir dans fon difcours une précifion féche qui (a) Recherche de la Vérité, liv. 2, part. 3.

Ny

écarte toutes les figures capables de nous émouvoir & de nous féduire, ni qui fe borne aux raifons concluantes.. Ĉe difcours eft rempli d'images & de peintures, & c'est à notre imagination: qu'il parle contre l'abus de l'imagina

tion.

La Poëfie du ftyle fait la plus grande différence qui foit entre les vers & la profe. Bien des métaphores qui pafferoient pour des figures trop hardies. dans le ftyle oratoire le plus élevé, font reçues en Poëfie. Les images & les figu res doivent être encore plus fréquentes: dans la plupart des genres de la Poëfie, que dans les difcours oratoires. La Réthorique, qui veut perfuader notre raifon, doit toujours conferver un air de modération & de fincérité. Il n'en eft pas de même de la Poëfie qui fonge à nous émouvoir préférablement à toutes chofes, & qui tombera d'accord fi l'on veut, qu'elle eft fouvent de mauvaise foi. C'est donc la Poëfie du Style qui fait le Poëte, plutôt que la rime & la céfure. Suivant Horace, on peut être Poëte en un difcours en profe, & l'on n'eft fouvent que profateur dans un difcours écrit en vers. Quintillien ex

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plique fi bien la nature & Pufage des images & des figures dans les derniers chapitres de fon huitiéme Livre, & dans les premiers chapitres du Livre fuivant, qu'il ne laisse rien à faire que d'admirer fa pénétration & fon grand fens.

Cette partie de la Poëfie la plus importante, eft en même tems la plus difficile. C'eft pour inventer des images. qui peignent bien ce que le Poëte veut dire, c'eft pour trouver les expreffions: propres à leur donner l'être, qu'il a be foin d'un feu divin, & non pas pour rimer. Un Poëte médiocre peut, à force de confultation & de travail, faire un plan régulier, & donner des mœurs décentes à fes perfonnages; mais il n'y a qu'un homme doué du génie de l'Art qui puiffe foutenir fes vers par des fictions continuelles, & par des images renaiffantes à chaque période. Un hom me fans génie tombe bientôt dans la froideur qui naît des figures qui manquent de jufteffe, & qui ne peignent point nettement leur objet, ou dans le ridicule qui naît des figures, lefquelles ne font point convenables au fujet. Tel les font, par exemple, les figures que met en œuvre le Carme Auteur du poč

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