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en cinq parties, ni divifé ce qu'on appelle en général l'ordonnance, en compofition pittorefque & en compófition poëtique, il tombe dans des propofitions infoutenables, comme eft celle de placer au même dégré de sa balance Paul Veronefe & le Pouffin en qualité deCompofiteurs.Cependant les Italiens mêmes tomberont d'accord qué Paul Veronefe n'eft nullement comparable dans la Poëfie de la Peinture au Pouffin, qu'on a nommé dès fon vivant le Peintre des gens d'efprit, éloge le plus flateur qu'un Artifan pût recevoir.i

Le même Paul Veronefe fe trouve encore placé dans notre balance à côté de le Brun, quoique dans la partie de la comparaifon poëtique, la feule don't il s'agit ici le Brun ait peut être été auffi loin que Raphaël. On voit dans le grand appartement du Roi à Verfailles les deux excellens tableaux, pla cés vis-à-vis l'un de l'autre, les PelleC rins d'Emmaüs par Paul Veronefe, & les Reines de Perfe aux pieds d'Alexandre, par le Brun. Un peu d'attention fur ces tableaux fera juger que, fi Paul Veronefe eft un méchant voisin pour le Brun quant au coloris, le Fran

çois eft encore un plus méchant voifin pour l'Italien, quant à la Poëfie pittorefque & à l'expreffion. Il n'eft pas difficile de deviner à qui Raphaël auroit donné le prix fuivant l'apparence, Raphaël auroit prononcé en faveur du genre de mérite dans lequel il excelloit, je veux dire en faveur de l'expreffion, & de la Poëfie. Je confeille à mon Lecteur de lire dans le premier volume des Paralléles de Perrault, (a) le jugement raisonné qu'il porte fur ces deux tableaux. Ce galant homme, dont la mémoire fera toujours en vénération à ceux qui l'ont connu, nonobftant tout ce qu'il peut avoir écrit fur l'antiquité, étoit auffi capable de faire une bonne comparaifon de l'ouvrage de Paul Ve ronese & de celui de le Brun, qu'il étoit incapable, fuivant Woton, de faire un bon paralléle entre les Poëtes anciens & les Poëtes modernes.

-(a) Pag-zis.

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SECTION XXXII.

De l'importance des fautes que les Peintres & les Poëtes peuvent faire contre leurs régles.

COMME les parties d'un tableau font toujours placées l'une à côté de l'autre, & qu'on en voit l'Enfemble du même coup d'œil, les défauts qui font dans fon ordonnance, nuifent beaucoup à l'effet de fes beautés. On ap perçoit fans peine fes fautes relatives, quand on a fous les yeux en même tems les objets qui n'ont pas entr'eux le rap port qu'ils doivent avoir. Si cette faute confifte comme celle du Bandinelli, dans une figure de femme plus haute qu'une figure d'homme d'égale dignité, elle eft facilement remarquée, puifque ces deux figures font l'une à côté de l'autre. Il n'en eft pas de même d'un poëme de quelque étendue. Comme nous ne voyons que fucceffivement un Poëme dramatique ou un Poëme épique, & comme il faut employer plufieurs jours à lire ce dernier, les

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défauts qui font dans l'ordonnance & dans la diftribution de ces Poëmes, ne viennent pas fauter aux yeux, comme y fautent les défauts pareils qui font dans un tableau. Pour remarquer les fautes relatives d'un Poëme, il faut fe rappeller ce qu'on a déjà vu ou entendu, & retourner, pour ainfi dire, fur fes pas, afin de comparer les objets qui manquent de rapport ou de proportion. Par exemple, il faut fe reffouvenir que l'incident qui fait le dénouement dans le cinquiéme Acte, n'aura point été fuffisamment préparé dans les Actes précédens; ou qu'une chofe dite par un perfonnage dans le quatriéme Acte, dément le caractère qu'on lui a donné dans le premier. Voilà ce que tous les hommes n'obfervent point tou jours plufieurs même ne l'obfervent jamais. Ils ne lifent point les Poëmes pour examiner fi rien ne s'y dément, mais pour jouir du plaifir d'être touchés. Ils lifent les Poëmes comme ils regardent les tableaux ; & ils font choqués feulement des fautes qui, pour ainfi dire, tombent fous le fentiment, & qui diminuent beaucoup leur plaifir. ' D'ailleurs les fautes réelles qui font

dans

dans un tableau, comme une figure trop courte,un bras eftropié, ou un perfonnage qui nous préfente une grimace, au lieu de l'expreffion naturelle, font toujours à côté de fes beautés. Nous ne voyons pas ce que le Peintre a fait de bon, féparément de ce qu'il a fait de mauvais. Ainfi le mauvais empêche le bon de faire fur nous toute l'impreffion qu'il devroit faire. Il n'en eft pas de même d'un Poëme; fes fautes réelles, comme une fcène qui fort de la vraisemblance, ou des fentimens qui ne conviennent point à la fituation dans laquelle un perfonnage eft fuppofé, ne nous dégoûtent que de la partie d'un bon Poëme où elles fe trouvent. Elles ne jettent même fur les beautés voifines qu'une ombre bien légere.

Tome I.

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