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a plû à Corneille de faire cette faute, en confondant deux Flaminius, quand les Sçavans la reprochoient depuis longtems à l'Auteur de la vie des Hommes Illuftres, qui eft fous le nom d'Aurelius Victor.

Il eft vrai que les Tragiques Grecs ont fait quelquefois de femblables fau-" tes, mais elles n'excufent point celles des modernes, d'autant plus que l'Art devroit du moins être aujourd'hui plus parfait. D'ailleurs on a toujours repris les Poëtes tragiques de la Grece de ces fautes qui nuifent à la vraisemblance de leurs fuppofitions, en combattant des vérités certaines & connues. Paterculus (a) reproche même à ces Poëtes, comme une erreur groffiere, d'avoir appellé Theffalie cette partie de la Grece qui fut ainfi nommée dans la fuite, en des tems où elle ne portoit pas encore ce nom. Quo nomine mirari convenit eos, qui, Iliaca componentes tempora, de ca regione ut Theffalia commemorant ; quòd cum alii faciant Tragici, frequentiffime faciunt, quibus minimè id concedendum eft, nihil enim fub perfona Poëtæ, fed omnia fub eorum, qui illo tempore vixerunt,

(a) Lib. prim. Hift. Tome I.

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dixerunt. En effet la faute choque d'autant plus dans le Poëte tragique, qu'il la fait commettre à un perfonnage qui vivoit dans les tems où il ne pouvoit point faire cette faute. Nous pouvons encore confirmer notre fentiment par ce qu'Ariftote dit (a) au fujet de la vrai femblance hiftorique qu'il faut garder dans les Poëmes. Il blâme ceux qui prétendent que l'exactitude à fe conformer à cette vraisemblance, foit une, affectation inutile; & même il reprend Sophocle d'avoir fait annoncer dans la Tragédie d'Electre qu'Orefte s'étoit tué aux Jeux Pythiens, parce que ces. jeux ne furent inftitués que plufieurs fiécles après Orefte. Mais il eft plus fa cile aux Poëtes de traiter cette exactitude de pédanterie, que d'acquérir les connoiffances néceffaires pour ne point faire de fautes pareilles à l'erreur qu'A riftote reproche à Sophocle,

(a) Poëtic. ch. 25.

SECTION X X X.

De la vraisemblance en Peinture, & des égards que les Peintres doivent aux Traditions reçues.

Left deux fortes de vraisemblance en peinture, la vraisemblance poëtique & la vraisemblance mécanique. La vraisemblance mécanique confifte à ne rien représenter qui ne foit poffible, fuivant les loix de la ftatique, les loix, du mouvement, & les loix de l'opti-, que.

Cette vraisemblance mécanique confifte donc à ne point donner à une lumiere d'autres effets que ceux qu'elle auroit dans la Nature: par exemple, à ne lui point faire éclairer les corps fur lefquels d'autres corps interpofés l'empêchent de tomber. Elle confifte à ne point s'éloigner fenfiblement de la proportion naturelle des corps; à: ne point leur donner plus de force qu'il eft vraisemblable qu'ils en puiffent avoir. Un Peintre pécheroit contre ces loix, s'il faifoit lever par un hom

me qui feroit mis dans une attitude; laquelle ne lui laifferoit que la moitié de fes forces, un fardeau qu'un homme, qui peut faire ufage de toutes fes forces, auroit peine à ébranler. Encore moins faut-il faire porter à une figure un tronçon de colonne, ou quelque autre fardeau d'une pefanteur exceffive, & au-deffus des forces d'un Hercule. Mais fi l'on fuppofe, dira-t'on, que ces figures font des Génies bons ou mauvais, dont les forces font plus qu'humaines, alors la vraifemblance: n'en fouffrira point, A cela je réplique, que le Peintre aura bien alors la raifon, pour lui, mais il aura les fens contre. lui. A qui doit-il, plaire principalement? Je ne parlerai point plus au long de la vraisemblance méchanique, parce qu'on en trouve des régles très-detaillées dans les livres qui traitent de l'Art de la Peinture,

Lavraifemblance poctique confifte à donner à fes perfonnages les paffions qui leur conviennent, fuivant leur âge, leur dignité, fuivant le tempérament qu'on leur prête, & l'intérêt qu'on leur fait prendre dans l'action. Elle confifte à observer dans son tableau ce que les,

Italiens appellent il Coftumé, c'eft àdire, à s'y conformer à ce que nous fçavons des mœurs, des habits, des bâtimens & des armes particulieres des peuples qu'on veut représenter. La vraifemblance poëtique confifte enfin à donner aux personnages d'un tableau leur tête & leur caractere connu, quand ils en ont un, foit que ce caractere ait été pris fur des portraits, foit qu'il ait été imaginé. Nous parlerons tantôt plus au long de ces caracteres connus.

Quoique tous les fpectateurs dans un tableau deviennent des Acteurs, leur action néanmoins ne doit être vive qu'à proportion de l'intérêt qu'ils prennent à l'événement dont on les rend témoins. Ainfi le foldat qui voit le facrifice d'Iphigénie doit être ému, mais il ne doit point être auffi ému qu'un frere de la victime. Une femme qui affifte au jugement de Suzanne, & qu'on ne recon noît point à fon air de tête ou à fes traits pour être la fœur ou la mere de Suzanne, ne doit pas montrer le même dégré d'affliction, qu'une parente. Il faut qu'un jeune homme applaudiffe avec plus d'empreffement qu'un vieillard.

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